AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Le blé en herbe, écrit en 1923 par Sidonie-Gabrielle Colette, inspiré d'une liaison amoureuse qu'elle vécut avec le fils de son second mari, fit scandale à l'époque. Aujourd'hui il a perdu de son côté sulfureux, je trouve qu'il en reste quelque chose de bien plus délicieux, comme un goût de sel sur les paupières, comme le sable sous les pieds nus, comme le vent du large qui remonte sous une robe légèrement flottante, entrouverte à la promesse du soir qui vient...
Il y a dans ce roman, un brin désuet, quelque chose de brûlant qui rappelle les saisons de l'adolescence, oui désuet certainement ce roman l'est-il un peu et c'est aussi ce qui fait son charme, sa jeunesse, sa saveur, comme le sont les réminiscences qui nous reviennent parfois de cette période de notre existence et qui nous font sourire, on ne sait pas trop pourquoi, comme si nous en avions un peu honte ou comme si nous aurions voulu à toutes forces ne jamais perdre cette candeur et cette fougue d'alors...
Le blé en herbe, c'est la lumière d'un ciel breton, le ciel bleu de Cancale. Comme chaque année, Phil seize ans et demi et son amie Vinca quinze ans et demi, se retrouvent aux vacances estivales. C'est une tendre et exclusive camaraderie, depuis l'enfance, depuis toujours. Sans se l'avouer, ils se sont promis l'un à l'autre depuis la nuit des temps, ou plutôt ils se le disent un peu comme dans un jeu d'enfants, et le temps vient, passe, qui rend ce serment troublant sous le soleil de l'été breton. Mais voilà ce ne sont plus des enfants et pas encore des adultes, quelque chose est là brutalement dans cet été lumineux, un an de plus, un an qui compte comme le poids d'une voile qui cherche à se déplier dans le vent.
Les jours passent et se ressemblent, des jours à rire, à se chamailler pour un rien, à s'agacer, à se chercher sans cesse, à ne pas voir ou faire semblant qu'ils ont un an de plus depuis l'été dernier et que les douze mois qui les séparent d'âge n'ont jamais été une frontière si ténue qu'aujourd'hui... Les jours passent, il faut prendre les havenets, les vélos, les maillots de bain, filer avec le pique-nique vers la mer, pour la baignade quotidienne.
Le désarroi de leur corps les rend un peu gauches, un peu maladroits. La pudeur se mêle étrangement à la sensualité dans les gestes de Phil et de Vinca, dans l'écriture de Colette aussi pour dire ce qui n'est plus tout à fait là et ce qui n'est pas encore né, pour convoquer le paysage qui a son importance dans ce trouble naissant que réfutent les deux adolescents, parfois avec violence ; ici c'est un ciel laiteux comme une peau nue et iodée, entrevue dans la transparence du jour, là-bas sur la plage un reflet nacré ressemble à l'intérieur d'une coquille...
Le soleil de septembre qui prend le relais de celui d'août, n'a sans doute pas la même lumière...
Un jour, une femme apparaît qui s'est perdue, demande son chemin, celui des goémons. Une dame en blanc. Elle s'appelle Camille Dalleray. Elle a le double de l'âge de Phil... On dirait une apparition dans un conte, c'est peut-être d'ailleurs un conte, il faut des apparitions comme celle-ci pour accueillir dans la vie des rites de passage.
Phil va délaisser Vinca pour cette autre femme.
Le roman devient alors récit d'apprentissage...
Tout d'un coup, c'est un amour immobile où le coeur choit comme un fardeau lourd de désillusion.
La dame en blanc aura disparu, comme elle était apparue, un peu par enchantement, il y a comme un halo de mystère, une éclipse, une comète qui a rayé le ciel breton, dans cette femme qui traverse les pages, qui aura volé brutalement à Phil la légèreté et l'insouciance de ses seize ans, sa hâte, son impatience, sa gaieté, ses fous rires, ses moqueries, ses gestes maladroits, sa curiosité insolente.
Il y a dans ce récit une férocité enfantine. C'est cruel comme l'éclat du jour.
Mais le propos du récit ne serait peut-être rien sans les mots de Colette, j'aime ce roman pour son écriture. Ses phrases sont des enchantements, ciselées à merveille comme les épis d'un blé. Ici la phrase de Colette ressemble à l'adolescence, fuyante, rebelle, audacieuse, cassante, indomptable, déjà charnelle, offerte à la promesse...
Dans la courbe de la phrase, il y a aussi tout ce qui se tait, par pudeur ou par chagrin, les escapades de Phil vers la villa Ker-Anna, la douleur qui naît de l'amour, le visage de Vinca, déjà amante blessée, ses yeux de pervenche avec en dedans l'azur qui fuit de l'autre côté de la mer...
Commenter  J’apprécie          564



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}