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Critique de oiseaulire


Sidonie-Gabrielle Colette, dite "Colette", à travers les confidences de ceux qui vécurent des amours non conventionnelles, qu'elle nomme affectueusement ses "monstres", réfléchit, en écho à sa propre expérience, au sentiment et au plaisir amoureux. Elle restitue le coeur même de ces émotions, si différentes les unes des autres, pour les comparer, en toile de fond, à ceux du couple hétérosexuel classique. Encore qu'on puisse se demander si "le" couple hétérosexuel classique existe...

Elle évoque successivement la quête de deux don Juan, toute tramée de ressentiment paradoxal envers l'avidité des femmes qu'ils traquent et la détestation de leur propre sexe ; celle d'une bourgeoise entre deux âges simulant le plaisir entre les bras de son jeune amant pour protéger son amour-propre ; les relations saphiques de certains membres de la haute aristocratie et du milieu artistique en ce tout début du 20 ème siècle : passent les figures de Mathilde de Morny, dite "Missy", de la poétesse Renée Vivien, de la femme de lettres Natalie Barney, de la richissime baronne Hélène de Zuylen, et de tant d'autres ; elle relate l'attendrissante et incroyable histoire des dames de Llangollen, qui se retirèrent du monde en 1778 par la force d'un amour, peut-être platonique, qui le dira, et est-ce vraiment le plus important ? Elle s'attarde sur les amours masculines et leurs diverses déclinaisons, et donne absolument tort à Marcel Proust qui juge de l'homosexualité féminine au prisme de la masculine, alors qu'elles ne sont nullement la réciproque l'une de l'autre ; elle aborde le triolisme, qu'elle rejette comme un marché de dupes, en défaveur souvent de l'étourdi qui l'a initié, l'homme, peu capable d'anticiper la douce complicité des relations entre femmes.

Elle sculpte d'une plume poétique servie par un style riche et délicat, les liens que tissent les êtres humains, à base de tendresse, d'amitié, de sensualité, de jalousie, de complicité, d'instinct de protection, d'affectation, d'hypocrisie, hypocrisie dont le versant positif est la délicatesse et la discrétion, à cultiver sans modération.

Ce qui ressort de l'oeuvre, c'est le gouffre qui sépare l'univers féminin de l'univers masculin ; à tel point qu'hormis l'instant de la volupté, rien ne semble devoir rapprocher vraiment les deux sexes. Et encore, cette volupté n'est-elle très souvent que concédée par la femme pour qui elle n'est pas essentielle, et qui déploie, pour en faire offrande, un art consommé qui va du murmure plaintif au cabotinage effréné, selon les attentes de l'amant ; son domaine à elle est tout de sensualité et de tendres enveloppements, qui n'excluent pas la jouissance paroxystique mais ne la recherchent pas systématiquement.

Au lit comme ailleurs, l'homme est le maître du jeu et ses désirs font loi. Cette dissymétrie menace de laisser les amants chacun dans sa solitude ; heureusement l'androgynie psychique, présente en tout être, assouplit la frontière entre ces territoires adverses et permet de tendre un pont entre eux.

Car il reste impossible d'évacuer l'amour entre femmes et hommes, mystérieuse alchimie des contraires, pourvoyeuse de sentiments exaltés et de ressentiments aigus, sorte de tonneau des Danaïdes désaltérant et assoiffant en même temps.

Parallèlement aux sentiments amoureux, Colette explore les univers de l'addiction, sexuelle, opiomane ou alcoolique qui souvent les accompagne, et les souffrances des malheureux captifs qui y laissent leur santé et leur vie. Car "l'agréable ponette" qu'elle fut, (c'est elle-même qui se qualifie ainsi : un brin de folie en tête mais toujours les deux pieds fermement arrimés au navire), se garda éloignée de tout excès.

Quelles sont donc alors les relations entre "Le pur et l'impur" ? Tel est en effet le titre que Colette donna à cette oeuvre dès 1941, après l'avoir appelé "Ces plaisirs...qu'on nomme, à la légère, physiques", dans l'édition de 1932. "Je n'aime pas les points de suspension", s'expliqua-t-elle de ce changement.

L'innocence, nous dit Colette, ne s'oppose pas au "vice" selon le monde : on peut la découvrir au fond d'une fumerie à opium, entre deux hommes, entre deux femmes, alors que le couple conventionnel recèle souvent des abîmes de perversité, sous couvert du paravent de respectabilité mis en place par le cynisme et la cruauté ambiante.

Ce livre est important. Son auteur d'ailleurs le considérait comme le plus abouti de son oeuvre.

On voit bien l'inspiration qu'ont pu en tirer les études de genre.
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