Il est sans exemple que J. E. Blanche ait peint autrement que J. E. Blanche. Seul le portrait de Marcel Proust diffère du reste de son oeuvre, par un faire extraordinairement lisse, une affectation de symétrie, l'exaltation d'une beauté qui fut réelle et dura peu. La maladie, le travail et le talent repétrirent ce visage sans pli, ces douces joues pâles et persanes, bouleversèrent les cheveux qui étaient non pas soyeux et fins, mais gros, d'une vitalité à faire peur, drus comme la barbe noire et bleue qui, à peine rasée, perçait la peau... Ceux qui ont passé des soirées avec Marcel Proust se souviennent qu'ils voyaient sa barbe noircir entre 10 heures du soir et 3 heures du matin, cependant que changeait, sous l'influence de la fatigue et de l'alcool, le caractère même de sa physionomie.
Je me rappelle un dîner au Ritz, commencé fort tard, prolongé en souper et en causerie. Marcel Proust était encore à cette époque, dans ses meilleurs jours, un homme presque jeune et charmant, tout empreint d'une prévenance excessive, d'une obligeance suppliante, peinte dans son regard. Mais vers 4 heures du matin j'avais devant moi une sorte de garçon d'honneur pris d'alcool, la cravate blanche désordonnée, le menton et les joues charbonnés de poil renaissant, un gros pinceau de cheveux noirs éployés en éventail entre les sourcils... "Oh ! ce n'est pas lui...", murmura une invitée. Tout au contraire, j'attendais que parût, ravagé mais puissant, le pécheur qui de son poids de génie faisait chanceler le frêle jeune homme en frac...
Ce moment ne vint pas. La nuit se faisait aurore et ne pâlissait qu'à la faveur du plus séduisant bavardage. Personne ne se garde mieux qu'un être qui semble s'abandonner à tous. Derrière sa première ligne de défense entamée à l'eau-de-vie, Marcel Proust, gagnant des postes plus obscurs et plus difficiles à forcer, nous épiait.
Flore et Pomone, p. 550 - 551
Inhospitalier de nature, le Français soigne d'une manière défensive ses abords immédiats, s' entoure d'églantier, d'épine noire et de genévrier ; il barbèle au besoin son jardin et sa première débauche d'imagination est pour la clôture.
Flore et Pomone, p. 537
En nous se glisse un peu de la sérénité de ceux qui ont tout perdu. Et pour nous il n'y a plus de présages, bons ni mauvais.
Fin juin 1940 - Danger :
Lèves tôt, nous ne nous accordons que quelques instants de lucidité, de vertige, de peur, d'étonnement sans bornes, d'"est-ce-possible ?". Le reste de la journée appartient à la pudeur, au mensonge d'une activié scoutiste.
« Chéri » de Colette lu par Julie Pouillon l Livre audio