Le désert.
Sous le ciel crépusculaire, piqueté de vautours, se dévoile une gigantesque étendue grisâtre hérissée de carcasses métalliques. Au loin, on aperçoit des falaises couvertes de broussailles pelées, nées d’un déluge ancien, et la ligne des montagnes palpite sous de fins lisérés de nuages. Reflets verts d’oxydation, brillances sous le couchant. Par endroits, la terre ondule comme une mer de lune. Puis elle se rétracte, s’aplanit, soumise par des forces supérieures.
C’est le désert d’avant l’histoire.
Le désert retenant son souffle.
Debout devant sa Jeep, le lieutenant Fuller balaie la plaine du regard, armé de ses seules jumelles. Le samouraï est resté dans la voiture. Comme les fenêtres sont fermées, il n’entend pas le bruit du vent, mais il voit très bien la plaine : les croiseurs échoués, fracassés, par centaines.
Un piège, lui a expliqué le lieutenant, un piège en forme d’installation. C’est une réplique fossilisée de la tragédie de Pearl Harbor, un écho amplifié, démesuré, puisqu’en réalité moins d’une vingtaine de bâtiments ont été détruits. Il y a eu cette volonté de faire résonner le passé. Des navires pilonnés, ventre à l’air, des destroyers coupés en deux, noircis par les flammes, des carcasses criblées d’impacts, des déchirures, une folie, un carnage, on voit même une moitié de bombardier fichée dans le sable, des éclats métalliques éparpillés autour d’elle. Des cratères, des falaises artificielles. Des lacs anciens vaporisés. La proue d’un énorme porte-avions dressée vers le ciel, un mensonge, un symbole. Des amas de caillasse. Aux dégâts factices causés par les peintres, décorateurs, sculpteurs, artificiers s’ajoutent les dommages d’une guerre autrement réelle, les attaques menées par les chasseurs japonais fantômes depuis bientôt trois mois, des Nakijama B5N2, se remémore le lieutenant, des Zéros, des saloperies d’Aichi D3A1.
Füller laisse tomber ses jumelles. Elles pendent à son cou, retenues par la lanière. Il fait signe au samouraï de sortir. Onishi obtempère. Est-ce qu’il s’appelle toujours Onishi ?
L’expression du masque se fige. Elle figure à présent un hurlement muet. L’homme fait rentrer la machine à l’intérieur de son ventre. Giclées de sang, humeurs brunâtres. L’odeur devient pestilentielle.
Le samouraï relève la tête.
Tel un prédateur, la machine se fraie un chemin sous le cœur du maître, et l’organe continue de palpiter, stomp, STOMP ! sous les côtes brisées, effritées, et la machine se bloque sur une plainte stridente à la limite du supportable, et ses circuits enduits de sang, ses câbles internes se mêlent aux veines et aux artères déchirées de son hôte.
Le samouraï marche vers le mur et décroche l’un des katanas qui s’y trouvent.
La machine exhibe un faisceau de caméras à fibre optique qui se tortillent vers lui comme des cheveux de Gorgone.
Le samouraï abat son katana.
L’un après l’autre, il tranche les liens qui le relient à la machine. Il sectionne les câbles de ses chevilles, de son ventre, de ses bras. Il coupe net celui qui s’enfonce dans sa nuque.
L’homme au masque se contorsionne sur son siège comme si quelqu’un le torturait. Mais il ne crie pas. Il émet seulement des couinements et des gémissements auxquels se mêlent les sons de la machine.
La lame du samouraï est couverte d’un sang vert qui s’évapore en quelques secondes. Brusquement, il ne ressent plus rien. Ses cinq sens sont toujours là, mais il se rend compte qu’il a perdu le sixième, qu’il y en avait un sixième, précieux et infini, et que maintenant il a disparu.
Il laisse tomber son katana.
Dans le ventre de l’homme au masque, la machine continue de s’agiter, ramène à elle ses câbles perdus, laisse échapper de petits jets de fumée acide.
Le travail du romancier, explique le docteur comme s’il n’avait pas entendu, consiste à fixer sur papier une matière toujours en mouvement. Certains donnent à cette matière le nom quelque peu galvaudé de réalité. Une denrée rare par les temps qui courent, un truc à piéger sur pellicule, éventuellement, mais pas plus. Maintenant, je travaille pour toi.
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