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EAN : 9789076704425
288 pages
Exhibitions International (22/01/2004)
4.75/5   2 notes
Résumé :
Après les expositions dédiées à Delvaux, Magritte et Ensor qui, ces dernières années, avaient permis au Musée de se positionner sur la scène internationale, nous nous réjouissons de pouvoir présenter à nouveau l'oeuvre d'un artiste belge. Le choix est d'autant plus heureux qu'il s'agit de Fernand Khnopff, une personnalité aux talents multiples qui, de son vivant déjà, joua un rôle prépondérant dans la vie artistique de notre pays et dont le rayonnement se fit sentir... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce qui m'a tout d'abord frappée dans ce catalogue de 2004, consacré à une exposition belge, ce sont les deux coups de gueule de l'Introduction et de l'Avant-propos, sur le désengagement financier des autorités vis-à-vis de l'exposition et sur la gestion des musées sacrifiée à "l'application de techniques empruntées à l'économie et à l'industrie qui rendent certains projets à hauts risques financiers quasiment impossibles à réaliser [...]." Je me rends compte que je n'ai jusqu'à présent dû lire que des catalogues d'exposition français, et, de mémoire, je n'ai jamais été confrontée qu'à du léchage de bottes dans les textes présentant lesdits catalogues, notamment vis-à-vis des généreux mécènes qui ne savent plus quoi faire de leur argent et qui voient dans leur participation à une grande expo une juteuse niche fiscale. Bref, on se rend compte dans ces deux petits textes que le problème que nous rencontrons en France sur la gestion des musées ne date pas d'hier (l'exposition Khnopff de Bruxelles étant déjà vieille de 15 ans), et que malheureusement, nous sommes loin d'être les seuls touchés par une administration néfaste à la culture ; il est ici question autant de la Belgique que du Canada, puisque le musée de Montréal s'était retiré du projet Khnopff en 2004 pour restrictions financières.

Après ce petit aparté, qui a son importance, entrons sans plus tarder dans le vif du sujet. Ce catalogue, en sus de présenter les reproductions des oeuvres de l'exposition, proposent neuf essais. Six d'entre eux, essentiellement consacrés à des thématiques artistiques propres à Khnopff, ouvrent à proprement parler le catalogue, tandis que les trois derniers s'intéressent à trois aspects de son art habituellement peu mis en avant, à savoir sa pratique de la photographie, sa pratique de la gravure et ses travaux d'illustrateur. On peut reconnaître à tous les auteurs d'avoir su aborder des thèmes, non seulement intéressants, voire carrément essentiels, mais aussi d'avoir réussi le tour de force de proposer des textes qui ne sont jamais redondants avec ceux de leurs collègues. Il me semble que c'est la première fois que je lis un catalogue où les essais se complètent aussi parfaitement, tout en formant un tout d'une grande cohésion.

Cependant, avertissons sans tarder le lecteur un peu fatigué, un peu inattentif, et qui découvrirait ce catalogue pour se retrouver confronté avec l'essai de Frederik Leen sur Khnopff et le symbolisme, essai ouvrant, en toute logique, les hostilités. Retenez ceci : vous aurez besoin de toutes vos facultés cognitives pour suivre le cheminement, certes passionnant, mais parfois légèrement (c'est une litote) ardu de l'auteur. Mais il faut bien avouer que remettre à plat la question du symbolisme et de la part qu'y a pris Khnopff, la signification de ce terme et ce qu'y ont apporté les artistes symbolistes, relève de l'inévitable. Texte par moments éprouvant, au moins pour ma petite tête, il est le socle de tout le catalogue et permet d'y voir plus clair par la suite. Il comporte notamment une analyse pointue et captivante du fameux et étrange tableau I lock my door upon myself, analyse sur laquelle on pourra plus tard se reposer - enfin ! - pour mieux comprendre l'art de Khnopff.

Je ne peux m'étendre sur tous les essais qui suivent, ce serait fastidieux. L'un traite des thèmes religieux chez Khnopff ( à prendre au sens très large, car l'ésotérisme, le paganisme, l'occultisme y ont une grande part), par un grand spécialiste de l'artiste, et un autre s'intéresse aux motifs de Bruges et de Fosset, démontrant que nostalgie et modernité ressortent du traitement de ces sujets. Suivent un texte sur les relations de Khnopff et Burne-Jones, un autre sur le motif de la Méduse, et un dernier sur le travail complètement méconnu de Khnopff sur les costumes et les décors au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Ce dernier me paraît un peu long, et aurait davantage eu sa place , à mon sens, avec les textes qui mettent un point final aux essais en fin d'ouvrage, celui sur la photographie se révélant le plus riche ; Anne Adriaens-Pannier étudie en effet à la fois la position un peu ambiguë de Khnopff sur la photographie - il m'a semblé qu'il rejoignait plus ou moins Baudelaire dans une approche pas très visionnaire de ce médium, mais sans que ce soit bien clair -, la façon dont il s'en est servi comme "recueil d'images de la mémoire vécue", et ses travaux de rehaussage : Khnopff a en effet énormément directement travaillé au crayon sur des photographies de ses oeuvres, leur donnant comme une seconde vie.

Entre les essais du début et ceux de la fin, nombre d'oeuvres reproduites donnent lieu à des analyses courtes mais assez poussées, révélant parfois une thèse très personnelle de l'auteur, lesdites analyses pouvant rejoindre celles proposées dans les essais, ou au contraire s'en détacher carrément. Cette pluralité des voix possède un intérêt particulier dans le cas d'un artiste comme Khnopff, dont les oeuvres suscitent de nombreuses interprétations - ou le scepticisme, la stupéfaction, la consternation...

Ce qui est le plus passionnant dans ce catalogue, c'est qu'on arrive à dégager, au fur et à mesure des lectures et de l'observation des reproductions, un cheminement cohérent, qui nous aide, non pas à cerner - ce serait trop facile ! -, mais à mieux appréhender l'art de Fernand Khnopff, voire sa personnalité. Il ressort de l'ouvrage que si son oeuvre et sa personne sont entourés d'une aura de mystère, c'est qu'il l'a parfaitement cultivée, et que certains critiques l'y ont largement aidé. Mais, au fil des analyses et des thématiques abordées, on comprend bien à quel point la nostalgie est, plus qu'un thème, mais une des essences même de son art. On comprend que ses tableaux et dessins furent savamment pensés, formant des énigmes - ce dont il se défendait plus ou moins par moments - aussi bien plastiques que mentales. On comprend que la femme n'est pas forcément si vénéneuse qu'elle le paraît au premier abord ; il faut dire que les critiques ont tellement appuyé sur ce thème à propos de Khnopff et des symbolistes en général durant des décennies que c'en est devenu un écran pour les appréhender (hier encore j'entendais des propos convenus allant dans ce sens sur Barbey d'Aurevilly, qui limitent complètement la compréhension de sa littérature). On comprend, enfin, que l'univers mental est à la base de tout l'oeuvre de Khnopff, univers qu'il a sans cesse reconstruit dans sa peinture, dans ses dessins, dans ses photographies rehaussées.

On arrive à la fin de cette critique, je vais donc me plaindre un peu. Des coquilles, qui émanent le catalogue et qui sont fort agaçantes - mais enfin, et malheureusement, je pourrais renouveler la même observation lors de pratiquement chacune de mes critiques. Ainsi que des citations en anglais non traduites d'Anne Adriaens-Pannier, et, pire, du poème de Cristina Rossetti, Who Shall Deliver Me, pas plus traduit que les citations susmentionnées, et qui a tout de même inspiré deux oeuvres à Khnopff, dont le sublime I lock my door upon myself. Ça serait donc pas mal qu'on comprenne de qui il retourne précisément dans le poème.

Pour terminer sur une note positive, je conseille évidemment ce catalogue, ne serait-ce que pour les reproductions, mais aussi pour ses essais très riches, et dont il me semble (ce qui est cependant difficile à juger, vu que j'ai raté l'exposition de 2004) qu'il rend compte d'une exposition plus dense et moins redondante que celle de 2019 au Petit Palais. Mais bon, voir Khnopff au Petit Palais, je vais pas faire la fine bouche, c'était bien quand même. Si on ne tient pas compte de la foule, des gens qui racontaient leur vie tout haut ou qui passaient leur temps à dire "Oh, c'est beau, t'as vu comme c'est beau, c'est beau, hein ?"


I lock my door upon myself :
https://urlz.fr/9y76

Des caresses :
https://urlz.fr/9y79

Une ville abandonnée :
https://urlz.fr/9y7a

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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Cette œuvre, sans doute la plus célèbre de Khnopff, est exposée à la première Sécession viennoise en 1898, et immédiatement acquise par Wilhelm Zierer de Vienne. Elle entre dans les collections du musée de Bruxelles en 1956. Sur un fond de marbre et de paysage antique de couleur rouge, un androgyne s'incline lentement vers la caresse d'un sphinx au corps de guépard, d'une souplesse toute féminine. Les yeux de l'androgyne fixent sans voir, comme en rêve. Omniprésent dans l’œuvre de Khnopff, le thème de l'androgyne précède de très loin l'engagement du surréalisme à l'égard de ce grand mythe fondamental. Lors de l'exposition de la Sécession, la presse se fait écho de la perplexité des Viennois devant une œuvre aussi hermétique, ne permettant pas l'interprétation des symboles et elle conclut en disant que c'est sans doute cela qui attire les foules dans la salle réservée au maître belge. Khnopff interrogé sur ses intentions, répondit que le tableau du guépard est beaucoup moins mystique qu'on ne le croit. Ce n'est qu'une allégorie tout à fait courante ; l'homme se trouve devant un choix : le plaisir ou la puissance.

[à propos du tableau "Des caresses"]
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"Une ville abandonnée" est sans conteste l'un des dessins les plus fascinants réalisés par Khnopff. Il nous propose une vision des plus insolites d"un coin de la place Hans Memling, à Bruges, le couvent des Sœurs noires étant représenté de manière extrêmement détaillée, portes et fenêtres murées en l’occurrence. L'étrange combinaison d'une vue quasi photographique de la ville et d'une mer mythique crée un monde onirique très particulier. L’œuvre a de toute évidence été exécutée d'après une photo ou une carte postale découpée et simplifiée, tout en la reproduisant fidèlement, presque pavé par pavé. Au centre de la place désolée se dresse un socle énigmatique en pierre blanche pourvu d'une niche mystérieuse et sombre. Quant à la statue de Hans Memling, réalisée en 1871 par Hendrick Pickery (1827-1894), elle a complètement disparu. Le socle fait penser à un mausolée blanc, "vraiment l'ombre d'un tableau - sur la Place grise", ainsi que l'a décrit dans un de ses poèmes Georges Rodenbach (1855-1898), qui avait de grandes affinités avec Khnopff. Il n'y a pas âme qui vive, et le silence est menaçant. La désolation est encore accentuée par la morosité d'un ciel gris qui évoque l'isolement et même la mort. À droite, la mer se retire à l'infini, laissant une trace bleue à l'horizon.

[à propos du dessin "Une ville abandonnée"]
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Sept femmes, sept mondes séparés. Aucune d'elles ne regarde les autres. Aucune ne semble consciente de la présence des autres. Les regards ne sont pas détournés, mais perdus dans le vague. Seuls l'aspect des femmes, leurs attributs et le décor laissent supposer qu'elles jouent un rôle dans une même scène. Leurs rapports sont comme l'interaction imaginée des horloges dans une horlogerie qui font tic-tac et sont remontées chaque jour par l'horloger - image utilisée pour expliquer la notion de monade, due au philosophe allemand Gottfried Wilhelm (1646-1716). Ces monades sont, comme le dit Leibnitz, immatérielles, "sans porte ni fenêtre". Il veut dire par là qu'elles ne sont pas conscientes de l'existence des autres, réfléchissant chacune le monde à leur manière et se distinguant entre elles par la pureté de l'image réfléchie. L'espace sensoriel n'est pas réel, il est seulement le reflet du monde des monades.

[à propos du tableau "Memories]
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Pol de Mont attribue le penchant de l'artiste pour l'isolement au fait que la famille Khnopff, libérale, aurait vécu trop à l'écart dans la Bruges très cléricale. Devant se passer de petits camarades de jeu, les frères Fernand et Georges sont laissés à eux-mêmes une grande partie de la journée, dans le jardin de la vieille maison patricienne... «et les deux garçons étaient si farouches, du moins si attachés à leur solitude, qu'ils ne passaient jamais les remparts de la vieille ville silencieuse sauf alors à la nuit tombante. La tombée de la nuit, l'heure du crépuscule, n'est nulle part aussi intime, aussi mystérieusement intime qu'à Bruges.» Le mythe de Khnopff est apparemment entretenu soigneusement, mais le critique d'art semble oublier que Fernand n'était, tout de même, qu'un très jeune enfant lorsqu'il a déménagé à Bruxelles* et que de promenades solitaires, le soir, il n'aura pas été question !

Fernand Khnopff : de Bruges à Fosset

* Fernand Khnopff avait deux ans lorsque sa famille a emménagé à Bruges, et huit ans lorsqu'elle a déménagé de Bruges à Bruxelles.
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En s'intéressant à la photographie, en la pratiquant et en suivant l'évolution des techniques nouvelles, Khnopff a rejoint la génération d'artistes dont l'objectif de création n'était nullement menacé en son intégrité. Tout comme Gustave Moreau, Alphonse Mucha, Edvard Munch et Franz von Stuck il usa de la photo comme esquisse de composition et comme recueil d'images de la mémoire vécue. En revanche, il est l'un des seuls artistes à s'être réapproprié les prises de vue de ses propres œuvres pour recréer de nouveaux originaux.

Fernand Khnopff et la photographie
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