Un roman éclaire la réalité non parce qu’il est vraisemblable ou documenté, non parce qu’il est « un miroir qui se promène sur une grande route » ou un univers peuplé de personnages « bigger than life » ; il éclaire la réalité par la qualité de son raisonnement. C’est pourquoi il sera toujours plus utile de lire Proust qu’un mauvais sociologue, le Zéro et l’Infini et 1984 qu’un pensum sur le stalinisme.
Ivan JABLONKA - Le troisième continent
Contrairement au journaliste, qui s’applique à s’effacer du cadre pour laisser la place à l’information, l’écrivain est à lui-même sa propre matière. Ses oreilles, ses yeux, sa peau sont le révélateur chimique du monde, l’éprouvette où se distille la réalité. Plutôt que de s’effacer, il doit au contraire s’immerger dans les circulations du réel, se mettre en situation et éprouver ce qu’il veut décrire. Non par souci d’exactitude : le vécu, quel qu’il soit, ne sera jamais porteur d’aucune vérité. Mais bien plutôt parce que la sensation, aussi trompeuse soit-elle, constitue pour lui le seul point de départ possible.
Philippe VASSET - Écrire en position de faiblesse