Pour poursuivre dans la série livre-qui-a-eu-le-malheur-de-paraître-début-mars, je demande
La Cave aux Poupées de
Magali Collet.
Sorti le 19 mars aux éditions Taurnada (c'était à partir de quel jour déjà le confinement ? Ah oui, le 17… Rectification : je demande aussi la poisse !), il s'agit du premier roman de l'auteure. Je précise d'emblée que je ne suis pas le public de ce genre d'histoire, et que le thème ne m'intéressait pas spécialement à la base. Pourtant, j'ai englouti
la Cave aux Poupées en deux heures...
Vous l'avez forcément vu passer puisque la maison d'édition est plus qu'omniprésente sur les réseaux sociaux via les (très !) nombreux SP qu'elle commandite, et notamment sur Instagram. Taurnada a en effet su tirer son épingle du jeu parmi les moyennes maisons d'édition, et si mon avis sur ses publications de façon générale ne sera pas aussi élogieux que ce qui ressort de la plupart des chroniques car je les trouve d'une qualité très inégale, ce défi relevé vaut déjà la peine d'être souligné. Et si cela a pu compenser les effets du confinement sur les ventes de
la Cave aux Poupées, tant mieux pour le coup, car il vaut bien ce qui s'est déjà fait en la matière.
Je me permets de parler de ce qui s'est « déjà fait » car le huis-clos est un thème souvent abordé dans la fiction, aussi bien au cinéma qu'en littérature, et c'est encore plus le cas depuis l'Affaire
Natascha Kampusch qui a choqué le monde entier. C'est d'ailleurs un cadre qui, j'ose quand même le dire, me paraît « facile » de prime abord, dans le sens qu'il n'y a pas de prise de risque majeure, pas par facilité intrinsèquement voulue par l'auteur ou le scénariste mais par la force des choses puisque le cadre spatial est totalement restreint et les possibilités, forcément réduites. (prière d'attendre la suite avant de me taper dessus)
Le pire dans ce cas aurait été de ne pas assumer et de vouloir compenser l'unicité du thème par de multiples ficelles à rebondissements et autres twists pour en mettre plein la vue et tenter d'embrasser l'effet page-turner, au risque – avéré – de passer à côté de l'essentiel (je lancerais bien un petit clin d'oeil à une reine du thriller, mais après on va encore dire que je m'acharne sur elle… 😏).
Cet écueil est largement évité puisque
La Cave aux Poupées est aussi classique et distancié que complet et profond dans le traitement de son sujet… Nul besoin ici d'instaurer un effet page-turner artificiel pour que le livre en soit un avec un sujet aussi fort, et
Magali Collet l'a compris. Ce roman court (deux cents pages, écrit gros), je l'ai lu d'une traite, sans la moindre pause et sans éprouver le moindre flottement. Je ne dis pas qu'il est parfait, mais la dignité et la sobriété avec laquelle l'auteure a choisi de développer l'horreur de la séquestration, de l'inceste et de l'isolement psychologique force le respect, là où il aurait été si facile de tomber dans l'épanchement. Et puisque le lectorat de noir plébiscite le gore, l'original qui flamboie de partout, ce n'est donc pas seulement un parti pris comme un autre, cela apparaît ici comme un vrai choix qui mérite d'être salué. La vraie prise de risque, elle était là…
La situation de départ semble simple, bien que d'une cruauté effrayante. Manon, le confinement, elle connait bien, mais le sien n'a rien à voir avec le petit pipi de chat qu'on a connu de notre côté pendant un mois : aucun lien avec l'extérieur depuis qu'elle est née, pas de scolarisation. Ses seules fenêtres vers l'extérieur sont la télévision et des livres de temps en temps. Pour être totalement transparente, je ne me suis pas sentie liée à Manon outre la compassion naturelle que l'on peut éprouver envers une toute jeune fille qui n'a jamais connu l'insouciance de la liberté, conditionnée à prendre l'intolérable pour norme, et s'occupe de la « préparation » des jeunes filles que son père (sobrement nommé « le Père », un excellent choix de plume pour le dépersonnifier jusqu'au bout) enlève, séquestre dans sa cave et abuse avec autant de froideur que sa fonction l'exige pour ne pas imploser, mais j'ai compris chacun de ses choix, et c'est en cela que je trouve que le traitement du sujet est brillant : pas une seule fois on ne peut reprocher à
Magali Collet d'avoir versé dans le pathos, à aucun instant. Les scènes qui auraient pu être insoutenables ne le sont que modérément. On sent que tout a été réfléchi en amont, que les limites ont été volontairement effleurées sans jamais être franchies, et c'est ça qui est fort :
Magali Collet ne s'est pas laissée glisser vers la facilité, une facilité qu'on pouvait pourtant redouter avec un pitch pareil.
Il y a des circonvolutions, c'était inévitable, mais avec un texte intégral de cette longueur, cela n'est absolument pas gênant. Si l'on va un peu plus loin, cela sert même ce sentiment oppressant de tourner dans ce même bocal d'abomination et de ne pouvoir s'en extraire, comme Manon depuis sa plus tendre enfance finalement.
Le dénouement en est la plus forte illustration, et la meilleure fin que l'auteure pouvait donner à son histoire même si elle ne plaira pas à tout le monde.
Côté écriture, la sobriété du style, même si le vocabulaire peut parfois sembler trop précis pour apparaître dans les pensées d'une jeune fille qui n'a pas reçu de véritable « éducation », sert la narration ; la forme s'harmonise parfaitement avec le fond.
Magali Collet sait écrire avec simplicité et clarté, et je me demande comment son style s'incarnerait dans un roman totalement différent : cette simplicité est-elle intrinsèque à son style ou l'a-t-elle sciemment voulue pour servir ce roman intime, et uniquement celui-ci ?
Puisqu'on parle de focalisation narrative, il y a toutefois quelque chose qui m'a interpellée : l'emploi de la première personne avec le passé simple. En temps normal, l'usage du passé simple avec la première personne a déjà tendance à me laisser perplexe : ce point de vue n'est-il pas l'occasion de s'immiscer dans les pensées du personnage choisi pour nous présenter le récit sous ses yeux subjectifs ? Or, qui entend ses pensées au passé simple, et non au présent ou à la rigueur au passé composé dans sa tête ? … Ici, c'est encore plus flagrant car on a affaire à une jeune fille isolée du monde et de l'apprentissage culturel. Peut-être a-t-elle lu beaucoup dans ce cas, mais il aurait peut-être fallu appuyer davantage sur ce fait pour pouvoir justifier ce choix…
C'est un détail bien sûr, mais il aurait sûrement moins influencé ma lecture si l'éditeur n'avait pas glissé dans les pages liminaires cet avis au lecteur : le lecteur remarquera parfois une certaine liberté prise par l'auteur dans l'emploi et la concordance des temps, cela afin de rendre son texte plus vivant, au plus proche de son personnage principal.
A mon sens, le choix de la cohérence selon les arguments avancés aurait plutôt été celui de l'emploi du présent, et ce même si une certaine partie du lectorat a toujours tendance à décrier le présent comme substitut aux temps du récit, même encore de nos jours…
Bon, trêve de pinaillage, cela n'a en rien entaché le bon moment passé en compagnie de cette lecture efficace, maîtrisée et aux tenants inattendus. J'avoue avoir vraiment hâte, comme rarement, de voir comment
Magali Collet va s'en tirer sur son prochain, et j'attends d'être surprise. Mais quelle que soit la suite de son chemin d'auteure, une chose est sûre : elle n'aura jamais à rougir de sa première pierre à l'édifice…