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Critique de Antyryia



J'espère n'avoir à convaincre personne ici que la dépression est une vraie maladie, et non un vague mal être qui ne se passe que dans la tête.
Parce que l'esprit en vient à transmettre son malaise à tout le corps.
Je ne parle pas en tant que médecin, je serai bien incapable d'expliquer le procédé chimique qui transmet une tristesse, une déception, un choc émotionnel à tout l'organisme. Comme s'il ajoutait une auto-scarification à une profonde douleur morale.
Je parle comme patient qui, à deux reprises, a eu l'impression de se noyer un peu plus jour après jour. La première fois en raison d'une rupture très difficile et la seconde, je n'en suis même pas sûr, mais je crois que c'est la perte de mon père. J'avais pourtant cru absorber à peu près la violence de la nouvelle et c'est presqu'un an plus tard que la dépression est venue s'installer de façon sournoise, un peu plus présente chaque jour.
Nous ne sommes pas tous égaux face à cette forme de détresse, pas plus qu'aux autres maladies. Selon moi certaines personnes sont bien mieux armées psychologiquement pour pouvoir rebondir sans pour autant être insensibles aux tragédies que la vie leur fait affronter. Ce qui va être traumatisant pour l'un ne le sera pas toujours pour l'autre. Et bien sûr il y a différents degrés et différentes formes dans la maladie.
J'évoquais le côté insidieux parce que dans mon cas, c'était toujours presque imperceptible au début.
Une angoisse qui jour après jour se démultiplie et me paralyse.
Impossible de me concentrer sur quoi que ce soit, de prendre du plaisir, mon esprit est à la dérive. Je peux relire dix fois une même page sans en retenir un mot.
Impossible de me lever : le sommeil représente les seuls moments où je peux m'arrêter de penser.
Aucun appétit, nausées, malaises, migraines, larmes. le corps réellement victime d'un carcan d'anxiété et de détresse.

J'ai toujours fait attention à n'embêter personne avec mes soucis, mais si on me le proposait, je sautais sur l'occasion pour en parler, souvent pendant des heures, souvent avec un coup dans le nez. de rares moments où la gentillesse et la bienveillance de mes interlocuteurs ou le simple fait de vider mon sac me libérait d'un poids. Une brève illusion puisque le lendemain la cruauté du présent reprenait ses droits.Des heures d'impolitesse également, mais ça on ne s'en rend compte qu'avec le recul, où on ne parle égoïstement que de soi.
Lors d'un décès, beaucoup marquent leur soutien en venant à l'église, en envoyant une carte ou un mot de condoléances, une gerbe de fleurs.
Mais chacun a sa vie et son propre lot de problèmes à surmonter, et ne peuvent pas faire beaucoup plus que cette marque de sympathie.
Ce qui est déjà beaucoup.
Mais se distinguent toujours les amis véritables, qui ne sont pas toujours ceux auxquels on aurait pensé en premier lieu.
Ce rôle, j'ai également été amené à l'incarner, étant présent des mois durants pour écouter mes ami(e)s relater leurs souffrances.
Et l'amitié devient viciée. Notre rôle est limité à celui de bouée de sauvetage qui doit toujours être disponible et qui n'a pas voie au chapitre quand il s'agit d'exprimer ses propres préoccupations. Et pour ma part je n'ai jamais tenu la distance. Je voulais bien agir mais je ne devais pas pour autant m'asphyxier avec les souffrances d'une tierce personne, ne pas en être réduit au réceptacle des malheurs d'autrui. Il en allait de mon équilibre déjà vacillant.
Et j'ai fini par disparaître faute de solutions. Pour me protéger.

Morgane et son frère Frédéric vont abandonner leur soeur aînée à son sort un soir de 1990.
Dépressive, elle ne cesse de quémander leur aide.
"Ca ne va pas du tout, j'ai l'impression de ne servir à rien."
Mais ils ne sont pas à sa disposition non plus, particulièrement ce jour là. le lendemain ils passent tous deux des examens, c'est leur avenir qui se joue. Ils doivent réviser une dernière fois et être en forme le lendemain. En plus ils ignorent ce qui la met dans un tel état. Fred coupera sèchement la communication.
"Prends-toi un médoc, regarde la télé ou va dormir, nous, on a du boulot !"
Le lendemain, Iris, qui avait tant besoin d'une main tendue, se suicidera.
Les yeux d'Iris, leur aînée, sont désormais tous ceux dans lequel se reflète un inquiétant désespoir. Ce sont ceux où brille un tel chagrin que mourir semble préférable.
Ceux d'une amie violée.
"Je suis restée parce que je suis déjà morte. Je suis morte le 24 janvier 2012 peu après minuit dans le souterrain d'une gare."
Peut-être ceux des parents de Frédéric et Morgane qui ont eu un accident de voiture mortel peu après avoir perdu leur fille aînée. Acte délibéré ou pas ? Toujours est-il qu'ils n'ont pas pu l'accepter.
Fred également a eu un immense passage à vide sans que personne ne soit présent pour lui. Rongé par la culpabilité.
"Iris avait détruit leur famille, avait poussé leurs parents vers la mort et avait gâché leur vie à tous."

Magali Collet m'avait ébloui avec son précédent roman, La cave aux poupées, grâce à cette femme, Manon, complice des crimes commis par son père. Coupée de toute réalité, le bien et le mal restaient des notions très obscures, ce qui rendait le personnage fascinant. Et on lui pardonnait le pire parce qu'elle était bien plus une victime qu'un bourreau. Et parce que son géniteur n'avait pas réussi à éteindre toute étincelle de lumière chez elle.
J'étais donc impatient de voir si Magali Collet allait confirmer l'étendue de son talent avec Les yeux d'Iris.

On y retrouve beaucoup de noirceur dans la gravité des sujets abordés : dépression, suicide, viol.
On retrouve également un nombre très limité de personnages, six pour être précis contre trois dans le précédent roman.
Mais La cave aux poupées était un roman poignant, à l'atmosphère irrespirable, dont on ressortait non seulement bouleversé mais aussi plus riche de réflexions, après une lecture aussi éprouvante qu'émouvante.
Les yeux d'Iris est "juste" un thriller. Qui fonctionne, qui se lit bien ( à l'exception des passages musicaux venant casser le rythme ), mais qui est totalement tiré par les cheveux. Aucun des six protagonistes n'est attachant, et si certains sont détestables à souhait, aucun n'a obtenu grâce à mes yeux. Certaibes réactions m'ont paru non seulement exagérées, mais inconcevables.

Bien des années après un pacte dont on ignore tout, deux amies se retrouvent dans une maison dont le luxe n'a d'égal que le mauvais goût.
Morgane, accompagnée de son frère Frédéric, retrouve ainsi Julie, totalement métamorphosée. Non seulement physiquement mais moralement puisqu'elle a épousé un gros porc, Bastien, de toute évidence par cupidité.
"Ce type, elle l'avait en horreur et haïssait tout ce qu'il était et tout ce qu'il représentait."
Et porc est encore un euphémisme pour ce misogyne dont la femme, constamment humiliée, n'a jamais droit à la parole.
"Je dis les choses une fois et tu les fais. Tu as bien compris ou tu veux que je me répète ?"
Je m'interroge encore sur l'intérêt du chapitre montrant Bastien passionné de lecture et las de ce rôle de beauf qu'il doit endosser, rien ne venant jamais contredire son absence de culture ou le dégoût qu'il inspire.
Et le maître des lieux va décider d'inviter un troisième couple : Son patron et meilleur ami Mickaël et sa sublime épouse Audrey.
Tous deux viennent d'avoir un enfant et incarnent presque le bonheur parfait. La solitude pèse parfois sur les épaules d'Audrey mais son mari a beaucoup de mal à concevoir qu'elle puisse délaisser leur enfant pour reprendre le travail, même quelques heures par semaine.

C'est principalement avec les yeux de ... Morgane ( Celui qui a répondu les yeux d'Iris a perdu ) que nous allons vivre et découvrir l'histoire.
"Personne ne me dit rien. Je suis balancée entre mensonges et non-dits par tout le monde."
On voit bien qu'il y a quelque chose de faux dans ce décor, dans ces couples. On évolue dans un brouillard incompréhensible. Tout ce qu'on sait c'est que ces retrouvailles sont le fruit d'une promesse, mais pourquoi maintenant ?
Et puis, comme dans tout thriller qui se respecte, les secrets vont être mis à jour, les masques vont tomber, et avec énormément de tolérance et d'imagination, tout prendra son sens progressivement jusqu'au final assez attendu.

Je ressors donc déçu par cette lecture. Difficile en même temps de passer derrière le dernier chef d'oeuvre de Karine Giebel sans souffrir de la comparaison, elle qui aborde tous ces sujets ( amitié, suicide, désespoir ) avec un supplément d'âme.
Ici je me suis même cru plongé dans un mauvais soap. Parce qu'en réalité Morgane et Julie s'aiment. Quant à Frédéric il est amoureux d'Audrey mais elle n'a d'yeux que pour son mari Mickaël. Et sous ses airs de père de père de bonne famille Mickaël aimerait bien passer du temps tout nu avec Bastien.
Non mais stop, quoi. On n'est pas dans Santa Barbara.
Une impression de gâchis donc, parce qu'en prenant le parti du suspense et des rebondissements je n'ai quasiment rien retrouvé de l'écriture pesante et envoûtante de la cave aux poupées. Alors que les sujets étaient forts et que Magali Collet a le talent pour nous les faire ressentir, c'est à peine si on retient que le viol c'est pas bien et que la dépression peut avoir des effets dévastateurs non seulement sur celui qui la vit, mais aussi par ricochet ou dommage collatéral sur tous ses proches. Et que c'est un mal être parfois tellement ancré que le moindre mot, violent ou rassurant, peut avoir des conséquences insoupçonnées.
C'est aussi un livre qui se lit sans ennui et dont on tourne les pages avec avidité, une partie de la mission demeure donc accomplie.

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