Non, non, plus de combats! La guerre est une boucherie. Ici, comme là-bas les hommes n'ont qu'une patrie.
Non, non plus de combats! La guerre fait trop de misères. Aimons nous, peuples d'ici-bas. Ne nous tuons plus entre frères.
Les tranchées débordent de cadavres entremêlés, d'une pourriture humaine qui suinte le poison. Nous passons avec la mort, nous vivons avec les morts. Nous mangeons, nous dormons, nous combattons avec eux. Ils nous observent et, de leurs yeux mi-clos, semblent nous murmurer le secret oublié de la fraternité. Ils nous accompagnent ici, soldats avant la mort, soldats après la vie. Je marche sur les morts, je trébuche sur la mort.
L'eau manque, la pisse ne manque pas. Nous en avons bu. La nourriture manque, la terre ne manque pas. Nous en avons mangé. La dysenterie nous fatigue, nous faisons du sang, nous faisons là où nous vivons. Nous faisons là où nous pouvons.
Je ne me souviens plus de rien, j'ai dû mourir et renaître : des bras et des jambes se projetant en l'air, des cris d'horreur provenant du ventre de la mort et recouvrant les vies. Pourquoi suis-je encore vivant, par quel miracle ? Nous étions des milliers, nous ne sommes plus désormais que quatre cents.
Le ciel est étoilé cette nuit, j'admire cet instant en le faisant durer le plus longtemps possible au fond de mes pupilles. Tant de beauté là-haut et tant d'horreur ici-bas ! Cette comparaison me laisse un frisson d'effroi.
Pour qu'un enfant naisse, il faut un peuple.
Pour qu'un enfant meure, il faut juste un homme.
J'ai appris pour Vitorin. Ici, chacun pleure. Depuis, son père ne veut plus se lever, sa mère perd la raison. Pour qu'un enfant naisse, il faut tout un peuple. Pour qu'un enfant meure, il faut juste un homme.
Je n'ai jamais vu des hommes blessés à ce point rester en vie. Est-ce possible ? Chez nous, lorsqu'une bête est dans cet état, nous la tuons pour qu'elle ne souffre plus.