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Critique de Antyryia



Et un pas de plus pour Sandrine Collette vers la Littérature et son l'majuscule.
A vrai dire je ne sais même plus si je la lis pour ses histoires ou sa façon de remodeler notre langue, de nous inventer une grammaire encore plus belle.
Ou plus asphyxiante.
Par le jeu des ponctuations.
Par cette façon de mettre certains mots en relief, entre deux virgules, entre deux tirets, après un point.
"Elle le répète dans sa tête, tant qu'on souffre,c'est qu'on n'est pas mort. Aujourd'hui, elle est anesthésiée. Pas mal, pas peur : juste le vide. le rien du tout. Au fond, c'est pire que tout."
Est-ce cette façon chirurgicale d'écrire qui donne tant de tension à ses récits ?
Indiscutablement.
Même si elle écrivait "Oui-Oui se perd dans la forêt", les lecteurs les plus aguerris en auraient les tripes nouées.

Mais c'est Clémence cette fois qui a tendance à se perdre la nuit dans la densité des arbres, à demi-nue. Juste revêtue d'une culotte et d'une montre.
Pouvoir lire l'heure pour triompher si elle parvient à tenir trois heures sans être rattrapée par le monstre.
Mais qu'elle gagne ou qu'elle perde, ce sera toujours elle le gibier. Toujours elle qui sera frigorifiée, écorchée, terrorisée, humiliée.
Par son mari Thomas.
"Comme s'il y avait marqué proie sur son visage."

Amateur de thrillers psychologiques, j'ai été très surpris que Sandrine Collette s'aventure sur le terrain miné du pervers narcissique, de la façon dont celui-ci éloigne l'être prétendument aimé de ses amis et de sa famille, de l'illusion qu'il donne toujours en société d'être quelqu'un de charmant et bienveillant. Alors que derrière ce masque ne se cache que le visage abject et cruel d'une bête qui a piégé sa proie.
"Pourtant, il a l'air d'un gentil garçon. Il est bien élevé, il est calme, il est souriant."
Le plaisir de faire souffrir, de dominer, tout en étant vénéré par la femme qu'il a tellement détruite que même ses insultes deviennent, si ce n'est une musique, du moins un repère.
Des romans sur ce thème, j'en ai déjà lu beaucoup.
Je pense par exemple à Derrière les portes de BA Paris où l'idylle romantique cachait à l'héroïne les pires cauchemars. Mais aussi à Les blessures du silence de Natacha Calestrémé qui dissèquait à la façon d'un documentaire comment des femmes dont le seul défaut est de croire au grand amour peuvent en arriver à vivre recluses sous le joug du pire des salopards.

Alors oui, l'Auteure ( avec un A majuscule, j'insiste ) s'est éloignée cette fois de la nature. Pas de raz de marée, pas de vignobles, pas de steppes argentines ou de paysages volcaniques.
Juste un jardin de 350 mètres carrés, sinistre, que les arbres, fleurs et plantes se sont totalement appropriés. Celui de la nouvelle maison de Clémence.
Et toujours les forêts.

Oui également, le thème semble avoir été vu et revu et pourtant rarement avec ce postulat de départ.
L'enfer au quotidien, la manipulation, la victimisation sont bien sûr évoqués puisque ce sont les raisons qui l'ont poussé à s'enfuir.
"Elle est partie parce qu'elle n'en pouvait plus. Elle a compris que cela irait plus mal encore que ça n'allait."
Et non, elle ne va pas rencontrer un beau maître nageur à la piscine ni reprendre ses études pour devenir bibliothécaire.
Pas plus qu'elle ne va reprendre contact avec sa mère qu'elle n'a pas su protéger, plus jeune, de son salaud de beau-père.
Autrement dit, aller de l'avant lui est psychologiquement impossible.
Il lui reste le présent : Son travail de boulangère et une infinie solitude, une irréparable souffrance.
"Thomas a détruit en elle chaque parcelle de gaieté, traquant la moindre étincelle, le moindre espoir."
"Etre mal tout le temps. Encore et encore."
Sandrine Collette n'est pas réputée pour la luminosité de ses écrits, même si certains de ses romans laissent filtrer un mince rayon d'optimisme.
Et même si Clémence est enfin libre, en fin de compte elle est toujours aussi prisonnière de son passé.
Toujours enchaînée.

Elle n'a plus rien. Plus de repères, plus de famille, à peine une amie, un simulacre de vie qui n'a aucun sens.
"Elle le sent, qu'elle est aussi petite et aussi minable que ce qu'il lui a mis dans le crâne."
Elle a fui son tortionnaire de mari mais ce qu'il lui a inculqué est toujours là. Elle n'est bonne à rien.
Il l'a lobotomisée à force de la rabaisser, de lui dire les pires insanités ou l'obliger à respecter son bon vouloir.
Sous peine d'une punition pire encore que les choses dégradantes demandées.
"La passion de Thomas, c'était cela. Détruire."
Alors certes, elle l'a quitté.
Mais il est toujours là, omniprésent.
La terreur de le recroiser également parce qu'elle est certaine qu'il la recherche.
Alors elle souffre en continu. de ses peurs, de sa solitude, de son invisibilité.
"A elle, il ne reste que cette fichue saloperie de transparence."

Et le plus affreux ce ne sont pas ces symptômes de stress post-traumatique. Ce sont ces pulsions qui la poussent à retrouver Thomas.
Comme s'il y avait entre eux un cordon ombilical impossible à couper tout à fait.
Comme si elle était victime du syndrome de Stockholm. Après tout, si Thomas était tel un ravisseur de rêves romantiques, ils ont aussi partagé quelques rares bons moments. Et même dans les mauvais elle avait au moins le sentiment d'exister.
Il vaut mieux être seul que mal accompagné ? Pour Clémence la question se pose réellement.
"Si seulement elle était sûre de ne pas vouloir qu'il la trouve."
Sandrine Collette nous décrit avec Talent ( avec un T majuscule ) ce phénomène d'emprise.
Malgré tout ce qu'il lui a fait subir, Thomas continue à agir sur Clémence comme un aimant.
Et même si la maltraitance est psychologique ( qui est à mon sens aussi répugnante si ce n'est plus que la violence domestique, bien plus vicieuse également ), on comprend en entrant dans la tête de l'héroïne à quel point il est difficile voire insurmontable pour certains conjoints ( des femmes le plus souvent ) de quitter le domicile conjugal, de demander de l'aide, de sortir de cette spirale infernale. D'autant plus quand il y a des enfants. C'est plus compliqué que le simple déni ou le repli sur soi.
Etre mal accompagné est tout simplement préférable dans certaines circonstances.

Ces orages-là narre avec beaucoup de justesse le quotidien et les pensées de cette femme vieille avant l'âge, perdue entre un passé presque rassurant malgré son aspect ignoble et des espoirs de vie meilleure, de projets qui n'aboutiront jamais, ce qui la rend à fleur de peau.
L'histoire ne s'arrêtera pas à ces simples aspects moraux et de nombreux évènements donneront une tournure progressivement différente à la vie de Clémence. On n'est pas dans un thriller avec des rebondissements incessants mais la situation va évoluer parfois de façon surprenante.
Jusqu'à la fin, amorale ou on ne peut plus normale, chaque lecteur sera libre de se faire son opinion.

Les oeuvres de Sandrine Collette revisitent parfois les contes ou se veulent des fables modernes. Je n'ai pas du tout eu cette impression avec celui-ci même si le hasard fait parfois un peu trop bien les choses. On est ancré dans une bien triste réalité. Je n'ai qu'un regret, c'est ce passage où elle fuit, hagarde et terrorisée, et où elle va trouver refuge chez un parfait inconnu. Vu sa situation et son passé avec la gente masculine, j'ai pour ma part trouvé ce moment charnière totalement Incohérent. Avec un I majuscule.
Mais c'est une goutte d'eau dans un livre somptueusement écrit, riche en émotions et en réflexions, qui ne devrait laisser personne insensible.


( Avec une petite pensée pour feu mon arrière-grand mère, qui elle aussi se prénommait Clémence. )

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