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Critique de Antyryia



La seule inondation que j'ai connue remonte à l'époque où j'habitais Gouves, petit village du Pas-de-Calais d'une centaine d'habitants. le niveau de la nappe phréatique s'est élevé jusqu'à dépasser celui du sous-sol et deux mois durant, je me suis retrouvé en bottes à patauger dans une dizaine de centimètres d'eau à chacune de mes incursions à la cave et au garage. Il a fallu surélever tout ce qui y était entreposé, ce qui n'a pas empêché l'humidité et la moisissure de faire de nombreux ravages.

C'est plus ou moins la situation dans laquelle se retrouvent Louie, Perrine et Noé, trois enfants qui sont restés seuls dans leur maison à Levet, dans le Cher.
"La dernière fois, ils avaient de l'eau jusqu'aux chevilles, cela faisait une drôle d'impression de marcher sur le carrelage inondé."
En réalité non, leur situation est un peu plus complexe, voire tout à fait incomparable.

Quand le pan entier d'un volcan s'est effondré en plein océan Atlantique, la vague engendrée par la catastrophe a été monstrueuse. Imaginez un déferlement écumeux de cent mètres de haut qui arriverait sur nos côtes à la vitesse de cinq cent kilomètre à l'heure. C'est bien ce qui se passe dans le roman-catastrophe de Sandrine Collette, redessinant la carte de la France et du reste du monde. La mer est partout. Les villes ont été englouties. L'océan regorge de débris et de cadavres.

Dans cette apocalypse, l'auteure a choisi de se concentrer sur l'histoire d'une famille nombreuse : Pata et Madie, les parents, ainsi que leurs neuf enfants. Tous les onze vivent tout en haut d'une colline, ce qui leur a permis d'échapper à la mort. Mais leur répit est de courte durée. Au lieu de décroître le niveau de l'eau augmente chaque jour davantage et ils n'ont pas d'autre solution pour survivre que de rejoindre les massifs montagneux à l'Est, Vosges ou Jura, à l'aide d'un bateau réparé pour tenir la durée du voyage. Mais l'expédition vers ces "terres hautes" nécessite un sacrifice ultime : Faute de place sur l'embarcation, trois des enfants devront rester sur place et attendre leur retour. Face à ce dilemme, le père décide d'emmener ses deux fils aîné qui pourront aider à ramer, ainsi que ses quatre filles en bas âge qui ne pourront pas s'en sortir seules.
"Au milieu de cette terrible équation, il en restait trois."
Et le hasard veut que les trois enfants du milieu, délaissés, souffrent tous d'un handicap.
"Au milieu, il y avait eu un couac."
"Le boîteux, la borgne et le nain. Alors, nous laissons ceux-là, les plus abîmés. Nous finissons ce que la nature a commencé."

Sandrine Collette relatera tour à tour l'épopée dangereuse de la famille sur la barque, revenant sur ce choix impossible qui a été imposé à la mère. Pourront-ils seulement revenir à temps pour sauver le reste de la famille ou les ont-ils condamné à une noyade certaine ? Comment affronter la culpabilité, ce sentiment de les avoir abandonnés ?
Et puis parallèlement, sur leut îlot de plus en plus petit, Louie ( onze ans ) tente malgré les circonstances de prendre les choses en main en attendant le retour des siens. Avec son frère et sa soeur, ils tentent de s'organiser pour manger à leur faim, ils comptent les jours qui passent, alors que l'impression d'urgence croît avec l'inexorable montée de l'eau.
"La mer a recouvert de nouvelles terres et les niveaux sont toujours plus hauts."

Comme souvent avec cette auteure talentueuse, j'ai eu l'impression de lire davantage un conte moderne qu'un thriller. Cette impression a encore été renforcée par les multiples références auxquelles Juste après la vague fait allusion, volontairement ou non.
Pendant ma lecture, je n'ai pu m'empêcher de songer à l'univers de The walking dead. Pas pour ses morts-vivants bien sûr mais pour cet aspect de fin du monde. Comme dans la série, les survivants doivent se réorganiser après la catastrophe et si pour certains l'entraide est de mise, d'autres se transforment en pillards et renforcent à l'inverse une impression de totale anarchie en s'appropriant par la violence si besoin les biens et la nourriture d'autrui. En outre ette famille qui recherche les hautes terres pour être enfin en sécurité pourrait être comparée à ces survivants qui cherchent à rejoindre la ville d'Alexandria, comme un hâvre de paix, la promesse d'une terre promise.

Mais les allusions de Sandrine Collette ici sont davantage mythologiques ou bibliques.
L'un des personnages porte quasiment le même nom que le dieu des enfers.
Les cités sous les flots, qui laissent parfois poindre un toit ou le clocher d'une église, font forcément écho à l'Atlantide.
"Noé pense aux mondes engloutis sous l'eau."
Ce long voyage sur l'eau n'est pas sans rappeler "L'odyssée", comme une version réactualisée du long périple d'Ulysse pour rentrer à Ithaque.
Et si le garçon à la patte folle se prénomme justement Noé, c'est évidemment en lien avec le déluge et l'arche du même nom, quand Dieu a décidé de punir les hommes pour leur méchanceté et leur perversité en imposant la pluie quarante jours et quarante nuits d'affilée.
"On pourrait les laisser, ça serait notre arche à nous, il nous en manque beaucoup, des animaux, mais au moins on aurait les araignées."
Je ne suis pas très croyant et je ne suis pas non plus expert de la Bible, mais les liens sont si nombreux que l'idée d'un Dieu qui serait responsable de l'effondrement du volcan pour punir des hommes incapables de prendre soin de leur planète semble dominer.
Il est question du septième jour, de Jonas ( "On dirait qu'on est dans le ventre de la baleine" ), ou encore du Léviathan ( "c'est comme une bête resurgissant des entrailles de la mer" ).
Devoir peut-être condamner trois de ses enfants faute de place sur l'embarcation n'est pas non plus sans rappeler Abraham, à qui Dieu avait demandé de sacrifier son fils unique en signe de soumission.
Et les références ne s'arrêtent pas là : La barque passera au-dessus de statues de Joseph, Marie et leur fils, appartenant désormais au royaume aquatique.
"comme une couronne d'épines géantes", pourra-t-on également lire en comparaison d'un radeau fraîchement construit.
Et pourtant, même si c'est Dieu qui est à l'origine de ce châtiment, c'est tout de même vers lui que les personnages auront tendance à se tourner, sans doute parce que seule la foi ( l'espoir ? ) peut encore les aider à surmonter ces terribles épreuves.
"Les yeux fermés devant la mer immense, les mains jointes dans une supplique muette, Louie prie de toutes ses forces."

A nouveau, Sandrine Collette excelle dans une forme de littérature très sombre, où elle n'a pas son pareil pour décrire le malheur, la misère, quand le sort s'acharne sur des personnages si attachants, souvent innocents et victimes des circonstances. Malgré cette noirceur, l'humanité des personnages demeure une étincelle dans les ténèbres, une raison de continuer à y croire même si l'optimisme n'est pas toujours de rigueur.
"Le chagrin à la mesure de l'espoir anéanti : immense."

C'est au regard des liens familiaux que se joue ici toute l'empathie du lecteur.
D'un côté, nous avons donc ces trois enfants qui n'ont pas pu être emmenés, qui se demandent si leurs parents reviendront réellement les chercher. Ils ont le sentiment d'avoir été abandonnés en raison de leur handicap et se retrouvent complètement livrés à eux-mêmes. L'aîné, Louie, se retrouve brusquement avec des responsabilités qu'aucun enfant de onze ans ne devrait avoir à supporter, et de ses décisions peut dépendre la survie de son frère et de sa soeur. Que décider alors que les jours s'écoulent si lentement et que la mer menace de les dévorer d'un jour à l'autre ?
Quant aux huit personnes sur la barque, l'auteure s'attarde principalement sur le point de vue et les réactions des deux parents. le père a du prendre une décision pour assurer la survie et l'avenir de la majorité de leur famille, un choix monstrueux, à la fois compréhensible et inacceptable.
Mais c'est la mère, Madie, qui nous offre les plus grands moments d'abnégation, d'altruisme et de souffrance.
"Si une mère ne sait plus protéger ses petits."
Elle a l'impression que ses enfants lui ont été arrachés de force, et tant par amour que par devoir, elle est bien décidée à ne pas baisser les bras tant qu'elle n'aura pas tout fait pour leur venir en aide, ce qui promet des moments aussi cruels que libérateurs.
L'auteure a donc réussi à insuffler beaucoup d'émotions dans Juste après la vague, et le lecteur ne cesse d'osciller entre la peur et l'espoir.

Le style est quant à lui toujours le même, on reconnaît en quelques lignes seulement l'écriture inimitable de celle qui a écrit Il reste la poussière et Les larmes noires sur la terre. Des phrases longues, d'autres qui finissent abruptement et qui donnent souvent l'impression de suffoquer.
"C'est le hasard qui. Oh la tristesse."
Et comme dans bon nombre de ses romans, la nature joue un rôle plus important que jamais avec trois de ses éléments : La terre qui est réduite à de petits monticules, des îles minuscules sur lesquelles il est parfois possible de se reposer, de trouver de quoi de nourrir.
L'air et l'eau jouent quant à eux un rôle similaire, écrasant l'homme entre leurs deux gigantesques masses. Parce que si la mer est décrite comme un dragon affamé qui se repaît de tout ce qui se trouve sur son passage, c'est bien le ciel et ses tempêtes qui la rende aussi menaçante, et les yeux de nos survivants sont d'ailleurs davantage tournés vers les nuages pour mesurer les dangers éventuels de navigation.
"Etrange climat que le grand raz-de-marée leur a imposé, avec ces orages incessants, ce ciel qui vire et tourneboule."

Juste après la vague est encore une belle réussite de la part de Sandrine Collette, qui parvient une nouvelle fois à se renouveler avec ce roman d'anticipation au sujet original, qui n'est pas sans rappeler le film Waterworld.
Roman à l'écriture sublime, mêlant amour et désespoir, il passionne et questionne tant sur la foi que sur les bouleversements climatiques et les liens familiaux.

Et vous, si la fin du monde était prévue pour demain et que vous ne pouviez sauver que huit personnes, qui choisiriez-vous ?

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