Citations sur Une brume si légère (13)
Nous ne sommes pas égaux devant la faim et la souffrance.
Bon Dieu, cet endroit, c’était un bidonville, un vrai, au cœur de notre pays bien civilisé, au XXIe siècle. Partout, des gens désœuvrés fumaient, discutaient, attendaient, adossés aux voitures. De vieilles casseroles chauffaient ici et là sur des feux de bois. Le sol n’était qu’un champ de terre à force d’être piétiné par des milliers de pieds qui tournaient en rond, des enfants faisaient la sieste sur les banquettes des voitures. Et ça, c’était ma nouvelle ville. La préhistoire, version Mad Max ou pire.
Ici, j’y suis venue comme à l’alcool, par erreur et par fatigue, alors que je savais qu’il ne fallait pas; [...]
[...] de notre côté ils n’ont besoin que d’une chose, être certains que n’importe quel ordre sera exécuté dans la fraction de seconde, sans hésitation et sans jugement. Le militaire, il n’y a pas mieux pour ça.
Mais nous n'avons pas fait mieux que les autres. Nous avons brûlé nos meilleures années, nous avons sacrifié à la mode et à l'entreprise ; et comme tant de nos amis, nous avons cessé de nous aimer.
Tout cela, nous le savions. Mais nous le pensions marginal – ou cela nous arrangeait de le croire. […] d’une certaine façon, nous admettions que c’était mérité, et même si c’était trop facile, nous pensions tout bas qu’ils n’avaient qu’à travailler. / Jusqu’au jour où nous en étions
Comme chaque ruelle, nous avons notre feu commun, autour duquel nous passons le plus clair de notre temps quand nous ne travaillons pas dans les champs
Chargée du sac à dos dans lequel j’avais enfoui mes dernières affaires, et de la poche donnée par le gardien, j’ai erré une demi-heure avant de trouver la place 2167. Bon Dieu, cet endroit, c’était un bidonville, un vrai, au cœur de notre pays bien civilisé, au XXIe siècle. […] Et ça, c’était ma nouvelle ville. La préhistoire, version Mad Max ou pire.
Hasard ou ironie, la Casse est construite comme ces villages de vacances qui s’étalent le long d’une route ovale, avec des dizaines de petites rues desservant des bungalows serrés les uns contre les autres à deux pas de la plage. Sauf qu’ici, c’est dans des voitures qu’on vit. Oui, une ville de voitures – vieilles, cabossées, ringardes. Une ville de miséreux. […] Combien sont-ils aujourd’hui, peut-être huit ou neuf mille personnes, qui vivent là sur des sièges éventrés des Renault hors d’usage, dans les coffres ouverts prolongés par une tôle ou une bâche pour gagner un peu d’espace.
Je ne sais pas qui a eu l’idée de cette nouvelle filière de recyclage mais un jour, on a sorti des dizaines de milliers de voitures de la chaîne. Pas n’importe lesquelles : les plus grosses. Les citadines ou les sportives filaient toujours tout droit à la casse mais les berlines, les camionnettes et les breaks étaient chassés avec fureur. C’est une sorte de seconde vie qu’on leur offrait, à ces automobiles embouties, boîte ou moteur cassés : une vache de nouvelle chance sur cales, côte à côte dans un alignement impeccable, comme des maisonnettes aux peintures cloquées. Tout cela, nous le savions. Mais nous le pensions marginal – ou cela nous arrangeait de le croire.