Voilà un livre qui donne du fil à retordre, tant il a le goût doux et amer de la vie quand elle se cogne à l'insurmontable incommunicabilité entre les êtres… Par le biais d'une correspondance tronquée, qui n'est pas sans évoquer «
La Voix humaine » de
Cocteau, nous assistons, impuissants, au creusement lent et entêté d'un malentendu au sein d'une histoire d'amour que l'on souhaiterait pourtant romantique. A laquelle on voudrait tant croire. Comme les vagues obstinées de la mer, cette ennemie même du narrateur, pourtant marin, ce dernier revient sans cesse à son idée fixe : son ennui mortel de sa condition présente, qui le cloue à son poste de radio-télégraphiste et le prive du bonheur d'être avec l'être aimé. Mais cet être aimé, qui est-il ? Compagne de jeunesse, belle, non conventionnelle, vivace et gaie, elle apparaît d'abord comme l'idéal du premier amour. Mais de minuscules signes de fracture se font jour au détour d'une phrase, qui inquiètent. Fantasmée, l'aimée a le tort de vouloir vivre libre, de rêver voyages et découvertes, et tout chez le jeune homme regimbe contre l'idée de ne pas être le centre de son monde, tout comme il se persuade qu'elle est le sien. Aveugle, il s'obstine à la vouloir le seul amour de sa vie. On pense au terrible constat baudelairien, « Tant il est difficile de s'entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s'aiment ! »
Le procédé narratif est d'une efficacité redoutable : le récit, lacunaire puisqu'il ne donne pas voix à la femme idéalisée, se fait au travers d'un journal de bord et de lettres du jeune homme, pages auxquelles il confie ses espoirs et ses tourments. A nos yeux, il devient tour à tour attendrissant et terriblement révoltant. Jusqu'à ce qu'une grande colère nous emporte devant son inconséquence, devant son insistance à se vivre comme une victime. Mais au fond, jusqu'à quel point peut-on en vouloir à celui qui, comme bien des hommes, découvre sa vie à mesure qu'il la vit… ? Et, tout à la fois apitoyé et amer, l'on finit sur le constat toujours pertinent d'un Swann, « Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! »
Un livre troublant et fort, dont
la voix humaine continue de résonner longtemps après qu'on l'a refermé.
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