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Livre jeunesse oblige, on aura quelques déjà-vus. Mais l'essentiel est là, et bien plus encore. Avant de péter un câble sur les petits malins qui ont mis "science-fiction" et "dystopie" dans les étiquettes, intéressons-nous un petit peu à ce que nous a pondu Suzanne Collins. Hunger Games, j'ai jamais lu, il faut savoir. L'idée était bonne, mais apparemment, comme pour un peu toutes les histoires YA, c'est tombé dans le sempiternel gnangnan. En revanche, Gregor avait de quoi m'attirer. Pas vraiment urban fantasy (car la Souterre n'a rien de très urbain), ni low fantasy standard (car une des entrées se trouve à New York), étrange, déroutant, sans parler vraiment d'un univers maléfique mais simplement caché et mystérieux, je l'avais découvert dans mon enfance par des extraits découverts dans [i] Mon Quotidien [/i]. Quelques années plus tard, je me décidais enfin à l'acheter aux Croquelinottes (une librairie jeunesse de Saint-Étienne, quoi). Pour ma part, j'ai pris l'édition poche : bon prix, très souple, illustration de couverture légèrement minimaliste mais très travaillée. Un mot également sur le lettrage : je ne sais pas si c'est la même chose pour le grand format, mais la maison avait eu la bonne initiative de prendre une police sortant des sentiers battus, mystérieuse, et de même pour la numérotation des pages, ce qui collait parfaitement à l'ambiance du livre. Dans toutes les éditions qui en sont sorties, de toute manière, je pense qu'il y avait toujours les mêmes illustrations intérieures, ma foi très bien faites. Voilà pour le côté technique, à présent penchons-nous sur l'histoire en elle-même. Le worldbuilding de la Souterre serait vaguement inspiré du Pays des Merveilles : je dirais que l'auteure en a pris le contrepied. En effet, sans être un Pays des Horreurs, il faut dire que sous la terre, l'ambiance est sombre, un brin claustrophobe, et plutôt qu'être absurde, la Souterre est logique, implacablement logique. Sa politique dure, sa loi du plus fort, ses recoins violents et ses exigences difficiles. Que dire ensuite des animaux géants et parlants, cafards, rats, chauve-souris et araignées ? Mais malgré ce côté anxiogène, aucun manichéisme : les cafards (les Grouilleurs, comme on les appelle dans le coin) ont une intelligence de groupe, à l'instar des fourmis, qui leur a permis de construire eux aussi leur culture ; les araignées (les Tisseuses) possèdent elles aussi un savoir-faire surprenant ; les chauve-souris (Planeuses, toujours dans la même logique) sont les meilleures alliées de l'homme ; et les rats (les Racleurs), bien que faisant office d'orques Souterriens, ne sont pas sans coeur non plus. Les seuls vrais emmerdeurs sont les Luiseurs (aka les lucioles), qui heureusement ne figurent pas dans ce tome, mais auront un petit rôle (plutôt comique) dans le suivant. Toujours dans le worldbuilding, la civilisation Souterrienne comprend comme je l'ai dit précédemment des humains, rendus translucides par le peu de lumière. Scientifiquement parlant, c'est certes crédible, par contre le manque d'apport en calories doit être phénoménal. Mais bon, c'est de la fantasy, me diriez-vous. Pour ados, qui plus est. Malgré tout, on ne m'ôtera pas de la tête que c'est de la fantasy pour ados bien travaillée. La preuve est dans le magicbuilding : il n'y a pas de magie, ce qui renforce ce côté un brin impuissant de la Souterre. Mais, car il y a toujours un mais... Quelques prophéties ont été formulées dans les temps passés, et le seul côté intéressant des prophéties, c'est quand on les comprend de travers. Et l'auteure l'a bien compris. Les personnages, maintenant. Gregor a beau être un garçon du New York contemporain, qui aime le Coca et qui a une certaine tendance à la franchise, il n'est pas un genre de gamin mal élevé et ingrat. Il a un sens du devoir, de l'amour pour sa famille, et un peu de débrouillardise. Et puis ensuite, il n'y a pas grand monde qui ait déjà pensé à introduire dans un roman de fantasy... un bébé de deux ans, sa petite soeur Moufle. Même si les autres ne sont pas particulièrement étoffés, on a vite de l'affection pour eux, mine de rien. Gregor, c'est un peu comme [i] Epic [/i] sous la terre, mais en mieux. Ce qui ne nous épargne certes pas une ou deux gifles de jeune fille passablement en pétard, un père à retrouver quelque part, mais ces clichés dont je parlais en début d'article sont trop bien orchestrés pour que j'aie vraiment mon mot à dire là-dessus. Enfin, le style. Bon... Correct, pas de grande caractéristique, en dehors qu'il immerge exclusivement dans Gregor : ça marche plutôt bien, mais les autres personnages sont ainsi un peu oubliés. Un peu de profondeur au récit aurait pu être ajoutée en faisant varier les points de vue. Pour conclure, c'est du roman jeunesse, d'accord, mais ça n'en reste pas moins quelque chose d'intelligent, de rythmé, d'ambiancé, de mystérieux, avec un univers malin et inventif... Bref, un coup de coeur. + Lire la suite |