J'ai apprécié cette lecture, rapide mais pas facile. La préface de
Boris Cyrulnik illustre bien le sujet sensible : "ces voyages ne sont pas des explorations difficiles et épanouissantes, ce sont des pertes irrémédiables". J'ai eu connaissance par des traductions que j'ai faites de la revue Nature du vécu traumatique des migrants, notamment les jeunes ; j'ai conscience aussi, comme le dit
Marie-Françoise Colombani que, quoi qu'on en pense, on pourra de moins en moins empêcher ces mouvements migratoires à l'avenir.
Si une chose doit être sûre, au travers des témoignages de ces jeunes, c'est qu'on ne se lance pas dans ce périple pour des raisons fantaisistes, ni pour l'appel d'un Eldorado où l'on s'enrichirait facilement. Certes, ces enfants à 13 ou 15 ans ne savaient pas grand-chose de l'Europe, souvent même ils s'engageaient dans le départ sans savoir où ils iraient, par concours de circonstances, et toujours pour fuir une situation bien plus dure, où ils n'auraient sans doute pas fait long feu.
Ils sont 13 jeunes, 3 filles et 10 garçons, provenant essentiellement de pays d'Afrique, ou d'Egypte et d'Afghanistan pour deux d'entre eux. Ce sont des pays où ils connaissaient la guerre, l'extrême pauvreté ; ils ont souvent perdu leur père et leur situation a dégénéré ensuite - manque de ressources, arrêt de l'école pour travailler, exploitation par leur famille. Les filles ont fui le mariage forcé, l'excision à l'âge adulte pour l'une. On voit bien en filigrane la condition des femmes, les mères, et c'est poignant. Parfois elles ont aidé et encouragé leur enfant à partir, souvent ils ont dû fuir sans la prévenir, et elle n'a eu des nouvelles que longtemps après. J'ai eu le coeur serré en me disant que si la proportion de filles était aussi faible, c'est qu'elles sont davantage prisonnières dans leur pays, sans même cette option de se sauver.
Ces enfants ont tout traversé, dans des conditions dantesques : le désert, les flots où nombre de gens se noyaient autour d'eux, les camps de réfugiés, quand ce n'est pas les mauvais traitements, le viol... Ils ont affronté la violence, le vol de leurs maigres ressources, le travail "gratuit" pour pouvoir s'embarquer. Certains, handicapés, ont dû dépasser leurs forces ; ils ont tous fait preuve d'un courage et d'une résilience hors du commun. C'est moi qui le dis, parce qu'eux n'évoquent que leur chance, leur espoir de s'insérer, d'avoir leurs papiers, et de pouvoir aider un peu leur famille en envoyant de l'argent. Je pense qu'on imagine, on s'informe, on se représente les conditions de vie des migrants, mais il reste difficile pour beaucoup de vraiment ressentir ce qu'ils traversent, se projeter à leur place. Peut-être un livre comme celui-ci pourra-t-il aider, mais peut-être aussi fera-t-il simplement plus souffrir d'impuissance et d'angoisse un jeune public déjà affecté par les conditions qui nous entourent.