L'attentat du 7 janvier 2015 contre
Charlie Hebdo et les manifestations du 11 janvier ont mis face à face deux conceptions du blasphème. En apparence, la question posée est celle du respect dû à la religion, sa caricature étant pour les uns une marque d'irrespect condamnable et pour les autres l'expression d'une liberté irréductible. Mais la question est plus vaste. le blasphémateur remet en cause l'ordre établi. En s'attaquant à Dieu, il s'attaque aussi au Prince. Comme l'écrit
Anastasia Colosimo, « le blasphème nous parle de la relation intime qui lie le politique et le religieux, et cela, non seulement au Proche et Moyen Orient, mais aussi dans nos démocraties occidentales ».
D'un côté, un monde musulman où, comme en Iran ou en Arabie saoudite, le pouvoir politique et le pouvoir théologique se confondent. Il fait de la dénonciation du blasphème une arme contre l'Occident, présenté comme la civilisation de la décadence et du rejet de la sacralité. Cette position n'est pas nouvelle. Elle remonte à la fatwa lancée en février 1989 par l'ayatollah Khomeini contre
Salman Rushdie, l'auteur des Versets sataniques. Elle trouve d'autres illustrations dans l'affaire des caricatures de Mahomet en 2006 au Danemark, dont la reproduction par l'hebdomadaire satirique français fera de
Charlie Hebdo la cible des frères Kouachi. Elle n'est d'ailleurs pas propre au seul monde musulman : la Russie poutinienne la partage, qui a condamné les Pussy Riots pour avoir profané la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou en 2012.
De l'autre côté, l'Occident revendique le droit de blasphémer. La situation varie toutefois d'un pays à l'autre. Certains pays, tels la Grèce, l'Italie et l'Angleterre, dans lesquels l'Église a joué un rôle fondateur, punissent encore le blasphème au nom d'une vérité transcendante. La France va plus loin qui a renoncé explicitement à toute condamnation du blasphème. La loi sur la presse de 1881 abolit le délit d'opinion et ne pose à la liberté d'expression qu'une seule limite, la diffamation personnelle qui renvoie à l'atteinte à l'honneur en droit romain. Toutefois, dénonce
Anastasia Colosimo, ce régime juridique a été altéré à partir de 1972 par la loi Pleven qui sanctionne la provocation à la haine, à la violence, à la discrimination, la diffamation et l'injure envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. Animée de louables intentions, cette législation a eu, selon l'auteure, des conséquences désastreuses. En faisant du « groupe » une victime potentielle, elle réintroduit un délit de blasphème masqué, les croyants pouvant se plaindre des atteintes portées à leur croyance, comme ce fut le cas lors du procès contre
Michel Houellebecq en 2001 ou contre
Charlie Hebdo en 2007.
Les bûchers de la liberté a été écrit pour que sa publication coïncide avec le premier anniversaire de l'attentat contre
Charlie Hebdo. Pari réussi pour ce livre dont la presse (Télérama, Les Inrocks, Libération…) a largement rendu compte. Sans doute présente-t-il l'intérêt d'aborder un sujet d'une brûlante actualité avec autant de neutralité qu'un traitement universitaire objectif permet de le garantir. Mais, on ne peut manquer d'être gêné face au caractère hybride d'un travail, à mi-chemin de l'enquête journalistique et de la recherche scientifique, réalisé par une jeune doctorante dont la thèse – en cours de rédaction à l'École doctorale de Sciences-po Paris sous la direction de
Jean-Marie Donegani – n'a pas encore été soutenue.