La musique n'est pas dans l'histoire, un fait exceptionnel ou intermittent, un auxiliaire donné par hasard aux cérémonies religieuses, une expression passagère de la joie, de la tristesse ou de la rêverie, ou encore un art de luxe, un divertissement imaginé par des hommes de loisir. Elle est un fait naturel et universel comme le langage, caractérisée d'abord, comme lui, par d'incohérentes ébauches, mais apparaissant partout où il y a des hommes, et pouvant être rattachée, si l'on considère les formes où elle se réalise, aux lois profondes et permanentes de la vie sociale. Il y a des peuples plus ou moins bien doués pour le chant, comme il y en a qui sont plus ou moins artistes, plus ou moins guerriers, mais il n'y en a point qui, sauvage ou civilisé, ne connaisse le chant et le rythme en même temps que la parole, ne fit-il usage que de quelques notes de la gamme.
La musique est un acte spécial de l'intelligence intervenant dans le chaos de la vie affective pour y mettre ordre et beauté.
Si on les connaissait, seulement par l'oreille matérielle, l'éloquence verbale, la poésie déclamée, seraient, elles aussi, une brève et vaine caresse des sens; comme elles, la musique doit à une complexité très grande sa magique puissance d'émotion.