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Critique de jovidalens


BD saignante, striée d'explosions, de tirs mortels dans un désert glacé où la forêt n'est plus un refuge. La nature se tait et laisse les hommes à leur folie.
Comès, dès les premières pages, plante le décor : il est capable d'exprimer, aussi, le froid, le plafond bas du ciel enneigé, dès les premières pages, de ces Ardennes dévastées, dévastées comme ce village par une erreur de tir des alliés. de sublimes pages pour décrire l'horreur et…l'indifférence ! Ce doit être le dernier album publié par Didier Comès et quelle maîtrise : dans la scénographie, dans le graphisme et … dans les bulles. L'humour y est mordant, ravageur.

« le bleu », jeune soldat dont nous ne connaitrons même pas le patronyme, a les yeux grands ouverts de la jeunesse, mais aussi écarquillés par la peur. Les yeux ronds, ne seront dessinés dans cette BD que pour les soldats sous le choc, face à leur mort imminente! Quand les soldats visent et tirent, leurs orbites sont vides : l'absence de regard pour celui que l'on tue. Pour les autres, le sergent, le regard est fermé par une paupière lourde ; est-ce que l'horreur rencontrée à maintes reprises par ces vétérans, leur fait préférer de ne pas regarder en face ? Ils détournent leurs regards vers le sol, comme seul devenir possible? le regard ne sert plus qu'à scruter l'environnement, chercher l'ennemi à abattre pour sauver sa peau. L'autre regard « ouvert » est celui de la statue du Christ, d'une totale indifférence.

« le Bleu » trimballe un colis de sa mère qu'il n'a pas eu le temps d'ouvrir, cadeau de Noël si dérisoire ! Comment peut-on imaginer, ne pas rêver de cette fête si infantile dans ce désert de neige ? Devant le colis fermé, chacun rêve de ce dont il a le plus besoin : le sergent de munitions, « le Bleu » d'un gâteau. Colis dérisoire qui parle d'un temps d'enfance et l'enfance, dans cet ouvrage est devenue meurtrière puisque meurtrie.

Le trou, au pied du calvaire, où se cache « le Bleu » n'est pas une invention graphique de l'auteur : c'est dans ces trous, creusés au cours de la campagne hivernale d'Ardennes, que se terraient les belligérants américains, et allemands. Ce fut peut être des lieux de jeux pour Comès et ses copains durant son enfance …
Ce trou, va devenir un drôle de lieu de rencontre et de chaleur humaine ( ?), presque aussi convivial qu'un bar de village : on y tape le carton, on y accueille le nouvel arrivant, on s'invective, on se raconte les dernières nouvelles, on s'engueule, et on se donne un coup de main quand il le faut. Bref, la vie quoi !

Si les vétérans, comme l'armée, ferment les yeux devant l'absurdité de leurs actions, la Religion est , vertement raillée. C'est elle qui subit la charge la plus violente (de mon point de vue) de Didier Comés. le prêtre et le sacristain sont « réincarnés » en corbeaux, les charognards de nos compagnes, et les corbeaux sont des charognards intelligents qui ont une vie sociale. La page où ces deux corbeaux rapportent au Crâne un oeil « récolté » sur un corps, oeil dont ils font cadeau au Crâne, est sarcastiquement violente : la masse des hommes n'est qu'un « stock » où les hommes d'église puisent ce dont ils ont besoin, sans aucun intérêt, aucun apitoiement, pour aucun de ces hommes, du moment qu'ils en tirent un profit pour leurs pairs, ou obligés ! Et pour parachever l'allégorie, quand ils quittent la croix sur laquelle Ils étaient perchés, ils conchient sur Jésus-Christ. Cette page et ces deux dernières cases valent bien, par leur « panache » acerbe et leur brio, certaine tirade théâtrale !

Le Jésus-Christ est si absent de ce monde, que sa « représentation » est assumée par un fantôme ! Et ce fantôme ne souhaite qu'une chose : qu'un homme meurt dans son trou pour faire le quatrième à la belote ! L'homme n'est qu'un pion, autant pour l'armée que pour l'église.

Troisième charge, un peu moins virulente tout de même, vise l'instituteur de nos campagnes, celui « qui aime prendre de la hauteur », qui est mort, piteusement d'une cirrhose et si antipathique que même les autres fantômes ne veulent venir jouer à la belote avec lui ! Il ne lui reste plus qu'à espérer qu'un pauvre diable vienne mourir dans son trou !

Et puis la guerre a de ces beautés ! C'est comme un superbe feu d'artifices, sauf, que seuls les morts apprécient ce spectacle : une double page où chaque case explose, le bruit des explosions assourdit le lecteur et les cris des blessés et des agonisants crèvent les tympans.

Se retrouvent dans cette BD les thèmes chers à son auteur.
La nature est le champs d'un fantastique-réaliste, espace bizarrement clos, ici en lieu de combat meurtrier. Avec Comés, le lecteur est dans un univers faussement ouvert ; ses personnages créent une sorte d'arène, de cirque pour un jeu pervers.
La sorcellerie ? Plus de sorciers : perdus les chapeaux pointus, les filtres et les poupées piquées d'épingles. Efficacement remplacés par la guerre, toujours prête à ravager pour libérer ?! Qui pose la même question du pouvoir, le plus sombre : celui de mener à la mort.
Des personnages récurrent comme le nain (qui peut parfois être drôle) est ici représenté par deux enfants tués accidentellement : petit fantôme qui veut tuer, petit fantôme qui veut soigner , symbole de la Mort et des ses deux aspects dans l'imaginaire humain.

Cette BD a été publiée environ sept ans avant la mort de Didier Comès, et la mort y apparaît moins affreuse que la vie de ces soldats venus en libérateurs, de ces populations victimes de cette libération. L'humour est noir, de ce beau noir dont nous ravi l'auteur. le propos, sous couvert historique, est grave, intime. Il « prend aux tripes ».

Et pour conclure : ouvrez la BD à la dernière page = un bijou je vous dis !
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