« La division du travail intellectuel, perfectionnée de plus en plus, est un des attributs caractéristiques les plus importants de la philosophie positive. [...]
Mais, tout en reconnaissant les prodigieux résultats de cette division, tout en voyant désormais en elle la véritable base fondamentale de l’organisation générale du monde savant, il est impossible, d’un autre côté, de n’être pas frappé des inconvénients capitaux qu’elle engendre, dans son état actuel, par l’excessive particularité des idées qui occupent exclusivement chaque intelligence individuelle. [...]
De l’aveu de tous, les divisions établies pour la plus grande perfection de nos travaux, entre les diverses branches de la philosophie naturelle, sont finalement artificielles. [...]
Craignons que l’esprit humain ne finisse par se perdre dans les travaux de détail. [...]
Le véritable moyen d’arrêter l’influence délétère dont l’avenir intellectuel semble menacé, par suite d’une trop grande spécialisation des recherches individuelles, ne saurait être, évidemment, de revenir à cette antique confusion des travaux, qui tendrait à faire rétrograder l’esprit humain, et qui est d’ailleurs, aujourd'hui, heureusement devenue impossible. Il consiste, au contraire, dans le perfectionnement de la division du travail elle-même. Il suffit, en effet, de faire de l’étude des généralités scientifiques une grande spécialité de plus. [...] »
"Le but spécial de ce cours étant ainsi exposé, il est aisé de comprendre son second but, son but général, ce qui en fait un cours de philosophie positive, et non pas seulement un cours de physique sociale.
En effet, la fondation de la physique sociale complétant enfin le système des sciences naturelles, il devient possible et même nécessaire de résumer les diverses connaissances acquises, parvenues alors à un état fixe et homogène, pour les coordonner en les présentant comme autant de branches d’un tronc unique, au lieu de continuer à les concevoir seulement comme autant de corps isolés. [...]
En un mot, c'est un cours de philosophie positive, et non de sciences positives, que je me propose de faire. Il s’agit uniquement ici de considérer chaque science fondamentale dans ses relations avec le système positif tout entier, et quant à l’esprit qui la caractérise, c'est-à-dire sous le double rapport de ses méthodes essentielles et de ses résultats principaux » (29-30)
« Maintenant que l’esprit humain a fondé la physique céleste, la physique terrestre, soit mécanique, soit chimique ; la physique organique, soit végétale, soit animale, il lui reste à terminer le système des sciences d’observation en fondant la physique sociale.Tel est aujourd'hui, sous plusieurs rapports capitaux, le plus grand et le plus pressant besoin de notre intelligence : tel est, j’ose le dire, le premier but de ce cours, son but spécial » (p. 29)
En considérant que presque tous ceux qui, à divers égards, dirigent maintenant les affaires humaines, y ont été ainsi préparés, on ne saurait être surpris de la honteuse ignorance qu'ils manifestent trop souvent sur les moindres sujets, même matériels, ni de leur fréquente disposition à négliger le fond pour la forme, en plaçant au-dessus de tout l'art de bien dire, quelque contradictoire ou pernicieuse qu'en devienne l'application, ni enfin de la tendance spéciale de nos classes lettrées à accueillir avidement toutes les aberrations qui surgissent journellement de notre anarchie mentale
En étudiant ainsi le développement total de l'intelligence humaine dans
ses diverses sphères d'activité, depuis son premier essor le plus simple jusqu'à nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d'un examen attentif du passé. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique, ou fictif; l'état métaphysique, ou abstrait; l'état scientifique, ou positif.
Itw
Raymond ARON sur son livre "La
société industrielle et
la guerre"
Pierre DESGRAUPES interviewe
Raymond ARON sur son livre "La
société industrielle et
la guerre". En réponse aux
prophéties du siècle dernier du sociologue
Auguste Comte ,
Raymond ARON livre dans cet ouvrage ses
réflexions sur le monde actuel, qu'il nomme "
société universelle", c'est-à-dire, à la
diplomatie planétaire, et sur les conditions qu'il faudrait réunir pour instaurer la paix :...