Tituba est la fille d'Abena, une esclave violée par un marin anglais avant d'être achetée pour tenir compagnie à la femme de son maître. Jugée inutile car enceinte, elle est donnée en mariage à un autre esclave. Lorsque sa mère est condamnée à mort et son père adoptif se suicide, la jeune Tituba est recueillie par Man Yaya une guérisseuse qui communie avec les forces naturelles et surnaturelles. La vie de Tituba bascule lorsqu'elle rencontre et tombe amoureuse de John Indien. L'amour l'esclavagera et la mènera au coeur des procès de Salem... sur le banc des accusés.
Autant vous le dire, cette histoire ne respire pas la joie de vivre dès les premières lignes (mais on était prévenu entre l'esclavage et Salem) et les âmes sensibles devraient s'abstenir car certaines scènes (la torture des sorcières notamment) peuvent s'avérer très violente.
Cependant le projet du livre est des plus intéressants : Tituba est un personnage historique, elle a réellement été l'une des premières accusées à Salem d'être une sorcière. Mais qui était-elle vraiment ? L'histoire raciste et la société patriarcale n'ont pas jugé qu'il était intéressant de le consigner.
Maryse Condé recrée donc l'histoire de Tituba. Certains passages appartiennent à l'histoire, d'autres sont totalement inventés pour combler ses lacunes et c'est tout l'atout du texte.
La grande réussite dans le style de l'autrice est la narration à la première personne qui permet de plonger dans l'histoire que Tituba nous raconte de sa propre voix. On la laisse enfin s'exprimer après l'avoir réduite au silence. Même certaines notes de bas de page sont ambiguës, les unes nous donnent des sources historiques objectives et les autres sont plus subjectives comme si Tituba nous avait fait des annotations.
Si le début avait un enchaînement rapide, j'ai trouvé que la fin traînait un peu en longueur et j'aurais aimé voir Salem un peu plus approfondit puisque c'est ce passage qui est mis en valeur par le titre.
Or j'ai eu l'impression que les procès étaient un peu survolés et ne prenaient finalement pas tant de place dans la totalité du livre. On nous décrit l'ambiance religieuse malsaine qui y règne mais ensuite Tituba est en prison et n'en sort pas avant le pardon général. On nous raconte les rumeurs qui lui parviennent de la prison mais qui sont incomplètes, incertaines et on n'en mesure pas vraiment l'envergure.
Pourtant, bon point pour la fin, je ne m'y attendais pas vraiment. Bien que j'aurais souhaité une fin différente, c'est finalement la plus réaliste.
Malgré ses nombreuses erreurs, on s'attache à Tituba qui est, au final, l'un des seuls personnages que j'ai réellement apprécié avec Man Yaya et Hester (tous les autres étaient vraiment détestables).
L'auteur développe, en plus d'une réflexion forte sur la liberté et l'esclavage, un questionnement éminemment féministe à de nombreuses reprises notamment grâce au personnage d'Hester, condamnée à la lapidation pour avoir trompé son mari.
La dimension surnaturelle des pouvoirs de Tituba est finalement ce qui amène à garder espoir dans un épilogue doux qui contraste avec une vie de souffrance. Il élargit le livre mais l'allège aussi, ce dont j'avais clairement besoin après une journée complète à lire Tituba passant de malheurs en malheurs.
Bien que confrontée aux difficultés de la vie, ce que j'ai apprécié chez la personnage principale, c'est qu'elle arrive à être heureuse à certains moments. Elle a conscience que son bonheur est éphémère et imparfait mais elle le souligne malgré tout.