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sur 80 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Mrs Bridge vit à Kansas City, Mrs Bridge fait ses courses à la Plaza, Mrs Bridge est mère de trois enfants - Ruth, Carolyn et Douglas-, Mrs Bridge a une domestique noire, Harriett, qui fait tout dans la maison,Mrs Bridge est l'épouse d'un homme d'affaires, Mr Bridge, qui travaille beaucoup et gagne beaucoup d'argent,Mrs Bridge a aussi des amies avec qui prendre le thé ou évoquer les derniers potins.

de temps en temps une guerre éclate, une amie se suicide, son mari l'emmène en Europe, sa fille préférée fait un méchant mariage.. mais la plupart du temps il ne se passe rien, dans sa vie, que de menus événements, dérisoires, répétitifs, et surtout lointains, comme déconnectés de sa petite existence gâtée, grise et bien réglée de wasp américaine et provinciale.

Parfois le doute ou l'inquiétude étreignent son petit coeur de porcelaine.

Parfois elle entrevoit les failles terribles du temps, celles de l'incompréhension, celles du malentendu - derrière le blindage ouaté de la bonne éducation qui veut qu'on ne parle jamais de ce qui va mal, de ce qui dérange, ou de ce qui choque.

Parfois elle voudrait bien passer outre la crainte paralysante du qu'en-dira-t-on et demander à Douglas, son enfant sauvage, plein de bon sens et de colère, pourquoi il construit une tour de détritus dans le jardin, pourquoi il se bat de toutes ses forces contre Tarquin, le petit voisin psychopathe- mais de si bonne famille pourtant! Mais elle se contente de faire détruire la tour, de prodiguer à son fils des conseils de patience et de civilité...

Parfois elle retrouve dans Carolyn sa propre inadaptation à la vie, son incapacité à faire face aux problèmes domestiques, à concevoir d'autre activité que celles de ses loisirs et de ses 'achats..Mais elle ne peut lui dire qu'elle aussi souffre d'être ainsi éloignée du monde, coupée des autres et de la vie matérielle par une éducation, un milieu social trop protégés. Alors elle essaie de la persuader que tout va s'arranger, son mariage raté, sa souffrance...

Parfois elle est sur le point de dire à Mr Bridge qu'elle désire autre chose: un peu plus d'amour, un peu plus de ferveur, un peu plus de mots, ou même simplement, un peu moins de domestiques, un peu plus de choses à faire.

Parfois une amie -Grace Barron, la transgressive-, parfois Ruth, sa fille "artiste", aux ongles faits, à la bouche rouge, aux talons hauts, partie vivre enfin sa vie à New York, loin du regard lourd de blâmes de sa mère, parfois Alice Jones, la petite fille du jardinier noir arrivent à lézarder l'édifice fragile des certitudes qu'elle s'est construit pour se mettre hors d'atteinte du monde..

Serait-elle réactionnaire? vieux jeu? hypocrite? raciste? Mais très vite, elle replonge dans la mer tiède des habitudes et du désoeuvrement..

Et le temps passe. Les enfants grandissent, mûrissent, partent, ratent ou réussissent leur vie; la guerre tue et mutile, le travail aussi.

Et Mrs Bridge au milieu des coups du sort, des cruelles ironies du destin, reste comme la vieille Lincoln coincée dans le garage: entre deux portes, entre deux eaux, entre deux mondes. Ni dedans, ni dehors.

Un livre étonnant: un peu ennuyeux mais brillamment écrit, plein d'une ironie douloureuse, et d'une mélancolie distinguée, détachée...

Constitué de 117 petits fragments, apparemment décousus, il tisse pourtant à points serrés un portrait de femme à la Mrs Dalloway, subtil et désenchanté, cruel et percutant: on a le coeur broyé mais sans pathos et sans larmes.

Je suis vraiment curieuse de lire son pendant : Mr Bridge, qui doit donner à ce portrait de femme rompue, effacée, envolée, son contrepoids attitré.Dommage de ne pas avoir réuni les deux faces de ce Janus conjugal dans la même réédition!

En tous les cas, c'est une belle découverte, une oeuvre vraiment intéressante et je remercie de tout coeur les éditions Belfond et Masse critique de Babélio pour m'avoir permis d'en bénéficier!
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Mrs Bridge est gentille, c'est une bonne épouse qui tient bien son intérieur et veille au confort de son mari, et c'est aussi une mère dévouée, même si elle ne comprend pas grand chose aux souhaits et aux désirs de ses enfants pas plus qu'à ceux de son mari d'ailleurs.
Car il faut bien reconnaître que Mrs Bridge ne semble pas très intelligente. Elle a certes fréquenté une université de filles, mais surtout afin de se dégoter un époux, donc, de ce point de vue, c'est mission accomplie.
Elle n'a pas grand chose à faire car elle a des domestiques et elle n'a pas trop le loisirs de réfléchir non plus, car elle ne lit pas, ne s'informe pas de l'état du monde, ne fréquente que des gens avec lesquels les conversations sont légères et conventionnelles.
Mrs Bridge n'a pas de préoccupations très compliquées, si ce n'est décider si il convient de changer les bougeoirs ou d'acheter de nouvelles serviettes d'invités.
La vie de Mrs bridge est donc monotone et elle s'ennuie énormément.
Pourtant je ne me suis pas ennuyée une seconde à la lecture de sa vie, car l'auteur a un humour féroce et il se moque de ces bourgeoises vivant aux états-Unis dans les années 60 qui n'ont rien à faire, rien à dire, car la vie est toute tracée pour ces épouses et mères de famille et on n'attend absolument rien d'elle hormis ce qu'on leur a appris à faire.
Ah, comme cela fait du bien de se dire qu'aujourd'hui, en France, on peut décider qui on va épouser ou pas, qu'on peut exercer la profession de son choix, qu'on peut s'habiller comme on veut, qu'on peut choisir aussi bien ce qu'on va mettre dans son assiette que le livre qu'on va lire, qu'on peut avoir des idées et même en faire part aux autres sans se faire rabrouer parce qu'on dit des sottises...
La pauvre Mrs Bridge elle, ne mange que ce que l'on a coutume de manger, ne boit pas plus que son mari ne l'autorise, ne porte un pantalon que pour jardiner, se rend à des dîners ennuyeux parce qu'il est mal vu de ne pas y aller, en somme, sa vie n'est régie que par des obligations ou des interdits.
Mais en échange, elle jouit d'une vie confortable, délivrée des soucis d'argent, et elle a l'approbation de sa famille et de la société toute entière qui encourage ce conformisme.
Ce portrait d'une bourgeoise sans personnalité m'a fait sourire à de nombreuses reprises car les pointes d'humour sont nombreuses et mordantes.
Un récit léger, pour les vacances, mais qu'on est content de quitter car la vie d'une femme au foyer qui met son cerveau au repos 90 % du temps n'est vraiment pas ce qui me fait rêver.
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La réédition de ce Mrs Bridge (et de son pendant Mr Bridge, qui forment un diptyque) est une excellente idée permettant de redécouvrir ce roman paru en 1959 et très apprécié aux Etats-Unis. Evan S. Connell a inventé le concept de Desesperate Housewife bien avant l'heure et c'est avec une belle acuité et un brin d'ironie qu'il restitue le quotidien d'une femme au foyer de l'entre-deux guerres à Kansas City qui est d'ailleurs sa ville natale. La plume est précise et légère, le regard non dénué d'une certaine cruauté. La finesse de l'ensemble offre une lecture distrayante au cours de laquelle on garde en permanence une sorte de petit sourire en coin.

"Mrs Bridge passait de longs moments à regarder dans le vide, oppressée par un sentiment d'attente. Attente de quoi ? Elle ne savait. Quelqu'un allait venir, quelqu'un avait sûrement besoin d'elle. Mais chaque jour passait comme celui qui l'avait précédé. Rien d'intense, rien de désespéré n'arrivait jamais. le temps ne passait pas."

En 117 courts chapitres, Mrs Bridge passe du statut de jeune mariée à celui de jeune veuve sans se départir de cette chape d'ennui et de solitude qui l'enveloppe. Malgré des conditions de vie très confortables, trois enfants en pleine santé et un mari qui ne semble pas exiger grand-chose d'elle. Mrs Bridge tente d'inculquer à ses enfants les principes d'éducation qui lui ont été transmis par une longue lignée de gens "comme il faut" et surtout, elle s'attache à trouver de quoi occuper ses longues journées. On comprend vite que Mr Bridge passe son temps à son cabinet d'avocat et les deux se côtoient sans vraiment se parler. Mrs Bridge s'en remet pourtant à son mari pour tout, incapable de s'engager par elle-même dans une quelconque activité. Cette femme oisive est la reine de la procrastination, trouvant toujours de bonnes excuses pour ne pas se lancer dans un projet qui semblait pourtant lui tenir à coeur. Les dialogues avec ses enfants devenus adolescents sont savoureux de décalage. Tout comme ceux qui traduisent entre son mari et elle un terrible éloignement de pensée. Enfin, on suit avec un amusement un peu cruel les péripéties de Mrs Bridge dans son environnement social entre cocktails de voisinage qui donnent lieu à compte-rendu dans la gazette locale, concerts auxquels elle ne comprend pas grand-chose, superficialité des conversations ou encore expositions qui l'amènent à penser qu'elle devrait approfondir ses connaissances dans certains domaines (sans jamais le faire, bien sûr). Un personnage enfermé dans le carcan des apparences et des bonnes manières d'une certaine société et qui finit par en devenir touchant de tant de vacuité.

Voilà comment une vie passe sans que l'on s'en rende compte. En remettant sans cesse à demain, en oubliant d'exister par soi-même et de s'ouvrir au monde. Terrifiant passage où Ms Bridge repense au passage d'un livre qu'elle avait commencé à lire : "certaines personnes, faisait remarquer l'auteur, passent en effleurant les années de leur existence et s'en vont s'enfoncer doucement dans une tombe paisible, ignorants de la vie jusqu'à la fin, sans avoir jamais su voir tout ce qu'elle peut offrir. Ce passage elle l'avait relu, médité (...) Mrs Bridge se souvenait très bien (...) qu'elle avait laissé le livre sur la cheminée avec l'intention d'en lire davantage. Elle se demandait à présent ce qui l'en avait empêchée, où elle était allée, pourquoi elle n'était jamais revenue."

Pauvre Mrs Bridge ! Je suis bien curieuse de lire Mr Bridge et de découvrir l'histoire du point de vue du mari qui dans ce roman n'est qu'une figure patriarcale assez taiseuse et indifférente au quotidien de sa femme.

Une lecture parfaite pour souffler après l'intensité de la précédente (La femme qui avait perdu son âme). Distrayante mais intelligente, comme je les aime.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Il était une fois, dans l'immédiat après-guerre, un charmant couple de Kansas city : India et Walter, Mrs et Mr Bridge…
L'auteur a écrit un dytique autour de ce couple. Mrs Bridge se compose de 108 courts chapitres qui sont autant d'instantanés de la vie centrée sur Madame et à celles et ceux de son proche environnement.
Madame, comme toutes les femmes de son milieu et de son époque sui son mari, reste à la maison, dirige son personnel, fréquente les femmes de son milieu.
Madame semble lisse, et insipide. Et pourtant, Madame s'ennuie, Madame a ses états d'âme, ses peurs, ses questions existentielles.
Evan S.Connell, dont l'ouvrage est réédité par Belfond dans sa collection Vintage dresse un portrait tout en finesse et en précision d'une femme au travers de situations des plus banales. L'ouvrage prend des apparences d'une chronique sans relief.
Au contraire il est un tableau à la fois drôle et dramatique d'une certaine Amérique avec ses codes et ses usages. C'est tout un mode de vie qui est ici disséqué par un auteur fin observateur, et sachant traduire au plus juste ce qui, le plus souvent, n'est ni étalé ni vraiment exprimé.
Un grand merci aux éditions Belfond et à Babélio l'envoi de ce livre.

Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
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Dans ce roman publié en 1959, Evan S. CONNELL décrit la vie de Mrs Bridge en courts chapitres qui retracent tout autant de moments de la vie de cette femme, mère au foyer de trois enfants et au mari qui travaille beaucoup, y compris tard et le weekend de façon à lui a ssurer le nécessaire et le superflu.

On découvre la vie d'une femme de Kansas City, dans les années 30 où les événements européens sont à peine esquissés, évoqués au travers de ce que pouvaient être les gros titres des journaux ou des actualités cinématographiques.

Dans ce premier opus, on la voit aux prises avec les minces rébellions adolescentes de ses enfants, on la voit évoluer dans son cercle d'amie et manager son personnel de maison noir ...

Une femme effacée, soumise, obéissante et qu'on n'imagine plus exister aujourd'hui

Une écriture factuelle qui rend certaines scènes plus dures encore envers cette pauvre femme.

La suite / son pendant, Mr Bridge m'attend ...
Lien : http://les.lectures.de.bill...
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Mrs Bridge a été écrit après la deuxième guerre mondiale, mais de petits détails montrent que les premières années du mariage de Mrs Bridge se situent plutôt dans les années 20 ou 30. India Bridge… L'enfance d'India est expédiée en quelques lignes, et à la deuxième page, elle devient Mrs Bridge, l'épouse d'un jeune avocat prometteur. Les naissances des enfants suivent, Mrs Bridge tente de leur donner la meilleure éducation, tout comme elle essaye d'être une femme au foyer accomplie et une épouse parfaite.
Ce roman dégage un petit parfum des années cinquante, et écrit dans un style sobre qui reste frais et inhabituel, il évoque les romans de Richard Yates. Les petits moments de la vie sont présentés sur le même plan que les grands, ce qui dessine par touches infimes le tempérament de Mrs. Bridge, jusqu'à lui donner bien plus de vérité qu'en assenant de grands discours sur ses traits de caractère. C'est un portrait qui ne manque pas d'humour, et bien des situations, les dialogues avec ses enfants, les sorties de Mrs Bridge, ses lectures, les relations de soirées mondaines à l'échelle de la petite ville, ou une sortie au centre commercial, sont tout à fait savoureuses… Elle est facilement déstabilisée, cette gentille, Mrs Bridge, et perplexe. Au fil des pages, Mrs Bridges prend de l'âge, ses enfants s'éloignent.
Tout est raconté de son point de vue à elle, à son échelle, et l'entrée des allemands en Pologne tient la même place que l'arrivée de nouveaux voisins. Les tourments feutrés de Mrs Bridge sont décrits avec une forme d'ironie délicate qui serre parfois la gorge, et on s'étonne d'éprouver de une empathie, qui n'a rien d'une identification, pour quelqu'un qui n'a finalement aucun souci dans la vie, « tout pour être heureuse », et qui pourtant se sent si mal à l'idée d'être peut-être, sans doute, passée à côté de sa vie. Une très belle découverte !
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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Je connaissais Mr & Mrs Bridge car j'avais vu son adaptaiton au cinéma en 1990. un des films plus méconnus de James Ivory avec la star Paul Newman et Joanna Woodward, sa femme à la ville depuis 1958, dans une chronique feutrèe d'un foyer bourgeois obsèdè par leur apparente routine et sérénité.

Ce que j'ignorais à l'époque- j'avais 14 ans, circonstance atténuante pour ne pas faire plus de recherche que cela, non c'est que ce film était l'adaptation d'un diptyque célèbre vrai chef d'oeuvre de la littérature américaine après-guerre et écrit par un auteur qui a marqué de nombreux auteurs de son époque.
Des deux livres du dyptique on a sans doute une préférence pour Mrs Bridge, qui a d'ailleurs eu encore plus de succès dans cette société patriacarle américaine de l'époque.

Force est de constater que Mrs Bridge, qui retrace les journées avec une grande précision garde encore aujourd'hui toute son acuité et sa justesse qui nous raconte une histoire d'une simplicité et d'une universalité sidérante. Des phrases directes simples, sans fioriture : aucun jugement chez l'auteur, mais un constat implacable, de ce qui fait une vie, avec ses joies et ses peines et nous dit des rapports difficiles entretetenus par Mrs Bridge avec ses enfants en pleine adolescence, son mari incapable d'exprimer ses sentiments, ses amies avec lesquelles les relations ne semblent pas toujours frappées sous le sceau de la sincerité.

Si certaines valeurs et conventions décrites dans le livre ne sont certes plus d'actualité- on ne vit plus avec cette idée qu'une femme mariée l'est pour le restant de ses jours le livre est un parfait miroir d'une société pas aussi ancienne que cela.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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India Bridge n'a qu'une vingtaine d'années quand elle suit son mari Walter, avocat, à Kansas City, pendant l'entre-deux-guerres. Elle mène une vie bourgeoise, paisible et confortable avec son mari, donne naissance à trois enfants. Mais est-elle vraiment heureuse ?

Mrs Bridge est la dissection au scalpel de la vie d'une femme au foyer dans une ville américaine, au début d'une vingtième siècle. le roman est découpé en 117 chapitres concis, sans un mot de trop, qui raconte les petits et grands évènements qui jalonnent la vie de son héroïne, que l'auteur décrit avec justesse et ironie, mais aussi une certaine tendresse. Car les peurs et les regrets de Mrs Bridge sont les nôtres : qui ne craint pas de passer à côté de sa vie ?

Un classique américain subtil et désenchanté, qui m'a donné envie de découvrir le second roman qui compose ce diptyque, consacré à Mr Bridge. Merci à Babelio et aux éditions Belfond pour la découverte.
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C'est un livre assez étonnant, fait de très courts chapitres dans lesquels ils ne se passent finalement qu'assez peu de choses, mais qui font un tout. Ce tout c'est la vie de Mrs Bridge, "tout pour être heureuse" selon l'expression consacrée et qui s'approche en fait du gouffre.
C'est une manière habile de nous intéresser à ce personnage qui passe sa vie sans vraiment la vivre.
Evan S. Connell dresse le portrait d'un couple petit-bourgeois dans l'Amérique des années 30 à 50; et à travers ce portrait il nous interroge sur l'existence.
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Il est des livres dont on n'entend jamais parler, jusqu'à un beau jour où ils sont réédités et où le lecteur découvre un roman mythique d'une génération, fondateur d'une littérature.
C'est le cas avec "Mrs. Bridge" d'Evan S. Connell, auteur précurseur d'un Richard Yates dont j'apprécie énormément la plume.
Publié en 1959, "Mrs. Bridge" présente en 117 brefs épisodes l'histoire d'une famille bourgeoise de la classe moyenne Américaine dans l'entre-deux guerres dans la ville de Kansas City.
Cette tranche de vie est racontée du point de vue d'India Bridge, l'épouse et mère de trois enfants qui va devoir s'adapter à sa vie de bourgeoise de la classe moyenne et aux changements d'époque et générationnel à travers ses trois enfants.

Mrs. Bridge, c'est une femme d'une autre époque que la nôtre, elle a épousé par amour un homme qui l'aime aussi en retour et qui pourtant n'est pas démonstratif : "Son mari n'avait jamais été démonstratif, même aux premiers temps de leur mariage. Elle n'attendait donc pas trop de lui, mais il y avait des moments où elle se sentait envahie par un besoin terrifiant, indicible.", l'auteur se contente même de le faire apparaître dans l'histoire sous la forme d'une apparition qui ne dira pas plus de quelques mots.
Il faut dire que cette oeuvre est en réalité un diptyque et que son pendant, "Mr. Bridge", vient d'être réédité et raconte la même histoire mais du point de vue de l'époux. Avant de referme cette parenthèse je tiens d'ailleurs à dire que je suis désormais très curieuse de lire cette histoire de son point de vue tant il est quasi absent ici, j'ai hâte de découvrir son point de vue et ses réflexions sur les mêmes situations après avoir eus ceux de madame.
Mrs. Bridge, c'est une femme qui se retrouve vite mère de trois enfants différents les uns des autres et surtout d'elle-même, à l'exception de sa cadette, sans emploi bien évidemment car son mari se tue au travail pour ramener de l'argent et leur permettre de vivre dans un beau confort, une insouciance et une forme d'oisiveté qui finissent par peser sur Mrs. Bridge, sans qu'elle ose jamais le dire à son mari : "Comment lui expliquer que son désoeuvrement - cette exquise oisiveté qu'il avait provoquée, lui procurant le nécessaire et le superflu - la rendait folle ?".
C'est donc une femme qui connaît une forme d'ennui récurrent dans sa vie mais qui pressent aussi un certain nombre de changements lorsqu'elle laisse ses pensées vagabonder : "Tout allait bien, semblait-il. Les jours, les semaines, les pois passaient, plus rapidement que dans l'enfance, mais sans qu'elle ressentît la moindre nervosité. Parfois, cependant, au coeur de la nuit, tandis qu'ils dormaient enlacés comme pour se rassurer l'un l'autre dans l'attente de l'aube, puis d'un autre jour, puis d'une autre nuit qui peut-être leur donnerait l'immortalité, Mrs. Bridge s'éveillait. Alors, elle contemplait le plafond, ou le visage de son mari auquel le sommeil enlevait de sa force, et son expression se faisait inquiète, comme si elle prévoyait, pressentait quelque chose des grandes années à venir.".
Mine de rien, derrière le style léger et les courts chapitres se cache un portrait cinglant de cette femme qui passe littéralement à côté de sa vie et de ses envies.
Il y a elle, entité distincte, et le train de la vie qui circule en parallèle et dans lequel jamais elle n'arrivera à monter.
C'est à la fois terrible et cruel, cette Mrs. Bridge est une femme qui ne réfléchit pas par elle-même, qui est dénuée d'imagination, qu'un rien ne choque, qui ne cesse sa vie durant de se conformer à l'image qu'elle doit refléter en société ou dans son propre foyer et qui a tellement peur de passer à côté de sa vie que c'est sans doute ce qu'elle finit par faire.
D'ailleurs, l'une de ses filles le lui fait justement remarquer à l'occasion d'un échange : "Ecoute, maman, aucun homme, jamais, ne me fera marcher comme papa le fait avec toi.", de tels mots venant de la bouche d'un de ses enfants est sans doute le revers le plus cruel que la vie peut infliger à une mère.
Dans tout le roman, il n'y a qu'un personnage féminin qui lutte contre sa condition et essaye de s'en affranchir, en vain malheureusement, celui de Grace Barron.
Cette femme est à l'opposé, ou presque, de Mrs. Bridge, mais là encore l'auteur n'est pas tendre avec elle et elle aura beau faire, elle sera perpétuellement habitée par une forme de dépression latente qui ne lui permettra pas d'atteindre son but : la liberté, la vraie.
Evan S. Connell est certes dur avec sa Mrs. Bridge, il n'en demeure pas moins qu'il éprouve à son égard une forme de tendresse et que jamais il ne la présente comme une pauvre victime quémandant la sympathie du lecteur.
En fait, il réussit même à la rendre proche de celui-ci, ce qui est un remarquable tour de force.
Pour ma part, j'ai réussi à parfaitement saisir l'essence de cette personne, ce qui n'était pas chose gagnée de par la forme du récit : de courts chapitres sur un événement bien précis.
Ce roman se démarque également par toute l'ironie qu'il recèle, c'est d'ailleurs l'une de ses marques de fabrication, et permet ainsi à l'auteur de dépeindre sans concession le portrait d'une Amérique bourgeoise de l'entre-deux guerres.
D'ailleurs, le conflit de 1939-1945 n'est qu'esquissé dans le récit, tout au plus contraint-il le couple Bridge à écourter leur voyage en Europe et encore, la guerre n'est pas encore déclarée à ce moment-là.
Ensuite plus rien, le lecteur n'en entend plus parler, tout cela se passe bien loin du quartier bourgeois de Kansas City et de la vie de Mrs. Bridge.
Il y a également beaucoup d'humour dedans et certaines anecdotes sont vraiment savoureuses.
J'ai beaucoup apprécié cette lecture qui fut une très belle découverte, notamment parce que j'ai retrouvé dans ce roman un thème qui m'est cher : la vie bourgeoise de la middle-class Américaine, ainsi que le ton pour le décrire : une certaine ironie sans concession envers les personnages, comme je peux le lire chez Richard Yates.
Dans le même temps j'ai découvert la collection Vintage chez Belfond et j'ai grandement apprécié la présentation et la mise en page du roman.
Il me reste désormais à découvrir, outre "Mr. Bridge", l'adaptation cinématographique faite par James Ivory en 1990.

"Mrs. Bridge" est un roman au charme suranné porté par une plume impitoyable, une fort belle découverte et un livre qui va rejoindre sur mes étagères d'autres petits bijoux du même genre de la littérature Américaine.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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