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Critique de ODP31


D'abord, prendre le temps d'observer sur internet la vieille photographie de Joseph Conrad prise en 1904 par George Charles Beresford, découvrir avec fascination son regard usé de fatigue qui trahit une histoire tragique et révèle sa vision pessimiste du monde. Impossible d'imaginer ce visage en train de sourire. Ses rides, cicatrices de sa carrière maritime, marquent sous ses paupières les lignes de ses romans et nouvelles.
Puis, ce récit miroir dans les eaux troubles du fleuve et des âmes damnées. Conrad devait passer trois ans dans l'Etat libre du Congo, propriété privée de Leopold II, roi des belges, pour y travailler comme capitaine de Steamer mais il fut rapatrié au bout de six mois. Dans ses bagages, il ramena une dysenterie et un profond dégoût pour ses congénères, choqué par leur barbarie quand, éloignés de tout, ils se débarrassent de tous les interdits. Si pour Rousseau l'homme né bon, Conrad souligne qu'il ne peut retrouver son pucelage d'angélisme une fois qu'il a été corrompu par la société. Nul ne peut être reniaisé.
Peut-être frustré de n'avoir pu aller au bout de son aventure, Conrad charge Charles Marlow, alter égo fictif que l'on retrouve aussi dans « Lord Jim », de boucler son voyage. Son périple devient celui de son personnage, puis celui de millions de lecteurs. Les hélicoptères de Coppola suivront. En bande son, bien sur, la chevauchée des Walkyries de Wagner et The End des Doors.
Le jeune marin remonte le fleuve Congo et le temps vers le commencement du monde à la recherche de Kurtz, idéaliste et collecteur d'ivoire. le chemin initiatique qui mène à Kurtz, c'est une traversée de l'horreur. Nul ne s'amuse lors de cette croisière. En s'enfonçant dans ce milieu hostile, Marlow ne fait pas que tourner le dos à la civilisation, il pénètre les recoins les plus sauvages de la nature et primitifs de l'homme.
Au fil des pages, impossible de ne pas prendre conscience que Marlow ne trouvera pas le coeur des ténèbres sur une carte mais dans la dégénérescence de Kurtz. le personnage le fascine autant qu'il le répulse. Il se refuse d'écorner le mythe et cette ambivalence participe à la beauté trouble du récit. Il épargnera la mémoire du dément auprès de sa femme et de ses fidèles.
Marlow a croisé le regard de Marlon, qui a perdu la tête... Kurtz Brando, c'est aussi un peu « l'homme qui voulait être roi » de Kipling. de l'avidité des colonialistes blancs à la cruauté envers les africains, les mots de Conrad, s'ils ne jugent pas Kurtz, balafrent la corruption de l'impérialisme dans ces territoires perdus.
L'auteur n'oublie pas de décrire l'absurde de certaines situations dont il a été témoin comme le bombardement à l'aveugle de la jungle par un navire français et le ridicule de certains personnages. Certaines scènes d'Apocalypse Now, touchées par la grâce, transcendent ces passages.
On entend presque un dialogue entre le film et le livre. il ne s'agit pas d'une adaptation mais d'une conversation.
C'est la lecture récente de « ténèbres » de Paul Kawczak, premier roman très inspiré du récit de Conrad, à la trame plus charnelle, qui m'a donné l'envie de replonger dans les eaux troubles d' Au coeur des ténèbres dans la traduction très réussie de Jean Deurbergue.
This is the end.
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