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Critique de MarcelP


Le grand Conrad nous y a habitués : la plupart de ses romans est constituée de témoignages, de propos rapportés (et déformés ?) ou de confessions recueillies fervemment.

Avec Fortune qui nous narre les déboires familiaux et sentimentaux de la fière Flora de Barral, l'écrivain base la totalité de son récit sur le discours indirect, voire sinueux ou tortueux... La jeune Flora, abandonnée par les siens lorsque son père, le financier de Barral, ténébreux affairiste, est envoyé au bagne, trouve un havre de salut dans le mariage que lui propose le noble Capitaine Anthony. le lendemain de cette union de raison, le couple recueille l'aigrefin à sa sortie de prison. le trio embarque pour plusieurs mois de traversée sur le Ferndale. Un lieutenant candide, le jeune Charles Powell sera le témoin discret d'un voyage où les passions s'exacerbent. Marlow, le porte-paroles de Conrad, reconstitue à un narrateur tapi dans l'ombre cette douloureuse histoire d'amour, d'argent et de haine.

Pour cela Marlow convoque ses souvenirs de conversations lointaines, âpres discussions ou babillages innocents, qui ne sont pas toutes de première main : il lui arrive ainsi de se remémorer un dialogue que lui a révélé un comparse à qui le conciliabule avait été relaté par l'un des protagonistes de l'entrevue passée (un téléphone arabe à 5 degrés) . Ce qui multiplie de façon gaguesque tirets, guillemets français et anglais -doubles ou simples- et complexifie un tant soit peu la lecture de l'ouvrage.

Si j'ajoute que Marlow, cynique et égotiste, pontifie de façon exaspérante et que l'action du récit est souvent hypertrophiée à l'extrême, on en déduira que je sors déçu de ce périple. A tort.

Conrad sait naviguer comme personne dans les canaux étroits de l'âme humaine ou dans les océans des passions les plus folles. Son art du récit est même à son zénith dans certains chapitres comme celui, plan-séquence de génie, intitulé "La Gouvernante" : succession d'accélérations brutales puis de contractions soudaines, la parole échappe alors à son locuteur pour devenir action pure, saccades violentes et introspections flash. Un tour de force. Multipliant les chausse-trapes, le romancier éblouit le lecteur, interdit par son brio à déjouer les attentes, raviver le suspense ou rebattre les cartes.

Il est piquant de constater que cette histoire, forgée entièrement de dialogues, repose sur des non-dits, des aveux avortés et des sentiments réprimés. La "fortune" est aveugle.

Un grand roman malade.
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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