Citations sur La Ligne d'ombre (une confession) (18)
- La vérité, c'est qu'il ne faut jamais donner trop d'importance à quoi que ce soit dans la vie, en bien ou en mal.
- Vivre à petite vitesse, murmurai-je avec perversité. Ce n'est pas à la portée de tout le monde.
- Vous ne tarderez pas à vous sentir bien heureux de pouvoir seulement continuer à marcher, même à cette vitesse-là, rétorqua-t-il de son air de vertu consciente. Et il y a autre chose : un homme doit savoir tenir tête à sa malchance, à ses erreurs, à sa conscience, et à tout ce qui s'ensuit. Enfin - contre quoi d'autre voudriez-vous vous battre ?
L'effet du recul sur la mémoire est de donner aux choses des contours énormes parce que l'essentiel se détache, isolé de l'environnement de faits quotidiens insignifiants qui se sont naturellement effacés de l'esprit.
Note de l'auteur
L'impénétrable obscurité enserrait le navire de si près qu'il semblait qu'en allongeant la main par-dessus bord on pourrait toucher quelque substance surnaturelle. Cela produisait un effet de terreur inconcevable et de mystère inexprimable. Les rares étoiles au ciel jetaient une lumière indistincte sur le navire seul, sans le moindre miroitement sur l'eau, sous forme de rais séparés perçant une atmosphère transformée en suie. C'était une chose que je n'avais jamais vue auparavant, et qui ne donnait aucune indication sur la direction d'où viendrait n'importe quel changement, comme une menace se refermant sur nous de toutes parts.
Toutes les routes sont longues qui mènent vers ce que le coeur désire.
L'atmosphère bureaucratique est capable de tuer tout ce qui respire l'air de l'effort humain, d'éteindre tout aussi bien l'espoir que la peur dans la suprématie de l'encre et du papier.
Il respirait la bienveillance de façon ridicule, bénigne, impressionnante. Il avait de quoi exaspérer aussi.
[Joseph CONRAD, "La Ligne d'ombre" (1916) — traduction de Jean-Pierre Naugrette (1996), édition de poche "Classiques" Garnier-Flammarion, page 68]
Il n'y avait toujours pas d'homme à la barre. L'immobilité de toute chose était parfaite. Si l'air avait viré au noir, la mer, me semble-t-il, se serait solidifiée. Il ne servait à rien de regarder dans telle ou telle direction, d'épier le moindre signe, de spéculer sur l'arrivée du moment. Le temps venu, les ténèbres engloutiraient silencieusement le peu de lueur d'étoiles tombant sur le navire, et la fin de toute chose viendrait sans un soupir, sans un bruit, sans un murmure, et tous nos coeurs cesseraient de battre telles des horloges fourbues.
Vous ne savez pas vous y prendre, capitaine. Le contraire m'eut étonné. Il faut dire, avec toutes vos messes basses et votre manie de marcher sur la pointe des pieds ! Comment espérer finasser avec un filou, un malin, une brute épaisse de son espèce ? Vous ne l'avez jamais entendu s'exprimer. De quoi vous dresser les cheveux sur la tête. Non ! Non ! Il n'était pas fou à lier. Il n'était pas plus fou que votre serviteur. Il était simplement, et carrément, mal intentionné. Au point d'effrayer la galerie. Vous voulez savoir qui c'était ? Au fond, rien de moins qu'un malfrat doublé d'un assassin.
Le capitaine Ellis se considérait comme une sorte d'émanation divine (au sens païen), le Vice-Neptune des océans circonvoisins. S'il ne gouvernait pas vraiment les vagues, il prétendait gouverner la destinée des mortels dont la vie se jouait sur les flots.
Un navire arrivant du large et qui replie ses ailes blanches pour prendre du repos a quelque chose d'émouvant.
[I p. 69 Folio classique]