En garde !
Les
nouvelles sont tellement mauvaises qu'il est important d'en lire quelques-unes de bonnes en ce moment.
Bonnes
nouvelles pour le lecteur mais pas forcément pour les deux belligérants du récit, les officiers hussards Féraud et
D Hubert qui occupent les quelques permissions accordées pendant les guerres Napoléoniennes à se défier dans des duels. Leurs escarmouches vont même aller au-delà puisqu'elles vont durer presque vingt ans. Pas de Restauration dans les relations.
L'origine futile de la querelle relève presque du vol de goûter dans une cour d'école mais elle va participer à la construction de la légende des deux militaires. Féraud, rude et rustre gascon se vexe d'être dérangé dans un salon par l'élégant bourgeois D'Hubert, mandaté par sa hiérarchie pour le consigner chez lui suite à un duel trop sanglant contre un fils de famille. Il ne s'agit donc pas de laver sans adoucissant l'honneur d'un mari trompé et on est bien loin d'une vengeance à la Edmond Dantès. Mais rien ne peut plus arrêter l'engrenage de ces multiples confrontations.
Les carrières prestigieuses des deux hommes évoluent grâce à leur bravoure sur les champs de bataille mais leur animosité ne faiblit pas et chaque rencontre constitue une occasion pour s'affronter à l'épée, au pistolet, au sabre laser (non, là je m'emballe), enfin tout ce qui leur tombe sous la main, à pied ou à cheval.
Conrad s'inspira à priori d'une histoire vraie pour décrire cette histoire d'honneur, d'amour- propre et de testostérone dont
D Hubert mesure l'absurdité mais qu'il ne peut faire cesser de peur de ruiner ses ambitions et sa réputation. Féraud, aux origines populaires, trouve dans
le duel un prestige qui lui permet de s'en prendre aux « bien nés ». Il s'agit aussi d'un duel de classe et Féraud chasse les galons pour se tenir au niveau de son adversaire car les duels n'étaient tolérés qu'à grade égal.
Duel et littérature font bon ménage puisque nos plus grands auteurs s'y sont risqués :
Victor Hugo et
Alexandre Dumas par exemple. Certains poètes y ont même laissé la vie comme
Alexandre Pouchkine. Pas étonnant donc que tant de romans célèbres intègrent de ces moments si romanesques et inoubliables. Valmont, Rodrigue, Hamlet, D'Artagnan, Dantès,
Georges Duroy,
Eugène Onéguine et tant d'autres nous ont joué le coup du face à face à potron minet à l'orée d'un bois, dans le brouillard et en jaquette blanche. Et à chaque fois, je marche, je compte les pas avec les témoins et j'attends fébrilement le verdict des armes. Un vrai gamin.
La pratique est heureusement passée de mode (le dernier duel connu opposa Gaston Deferre à René Ribière en 1967) mais avouons que cela nécessitait quand même un peu plus de courage que les tweets injurieux et anonyme.
Il y a autant de panache dans cette histoire publiée en 1908 que dans l'écriture de Conrad. Il ne masque en rien le côté absurde de cette aventure mais on se prend peu à peu d'affectation pour des personnages aux premiers abords pourtant bornés et arrogants.
Je n'avais par contre pas gardé un souvenir impérissable du film « les duellistes » de Ridley Scott tiré de cette nouvelle, en dehors de la performance d'Harvey Keitel.
Ce n'est pas l'oeuvre la plus connue de
Joseph Conrad mais elle mérite de faire sonner le réveil à l'aube pour assister à ces duels.