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Critique de Silentum


Oeuvre imposante et intimidante, tant par l'ambition que par la longueur : plus de cinq cent pages, soit le plus long roman de Conrad. Parfois considéré comme le meilleur, même si Lord Jim et l'Agent Secret sont de sérieux concurrents. le projet est immense, au point qu'un critique anglais l'a comparé à Guerre et Paix : donner bien sûr vie à une pleine galerie de personnages, mais surtout corps à une contrée imaginaire d'Amérique du Sud, le Costaguana et en exposer les enjeux politiques et économiques.
Les événements se déroulent à Sulaco, ville portuaire du Costaguana, dont la mine fait l'objet de toutes les convoitises des sociétés européennes. A la mort de son père, Charles Gould décide de reprendre la mine et de la réouvrir.
Si la chronologie du roman s'avère moins infernale qu'annoncé dans l'introduction, certains événements peuvent sembler brumeux. Conrad joue avec son lecteur et s'autorise certains retours en arrière ou à l'inverse accélère le déroulement. Il est parfois nécessaire de jeter un oeil à la séquence des événements synthétisée en introduction.

Si Nostromo n'est pas un simple roman d'aventure, il n'est pas avare en rebondissements; Conrad est à son affaire et sait trousser quelques scènes fortes, notamment la soirée où Decoud et Nostromo tentent de mettre à l'abri le trésor de la mine, véritable noyau central du roman. On y trouve là quelques belles pages d'une ambiance étouffante qui ne manqueront pas de ravir ceux qui ont aimé Au Coeur des Ténèbres. Toutefois Conrad n'est pas Stevenson et il y a toujours chez lui un surcroît de précision qui c'est malheureux à dire nuit un peu au plaisir de lecture, là où l'écossais sait stimuler l'imagination par un art plus vague et lacunaire.

Mais Nostromo est surtout un grand roman sur l'aliénation par l'argent et le matériel. Conrad le fait ressentir sur les différents personnages qui animent Sulaco : presque dès le début ils apparaissent désossés, fantomatiques, tout à leurs objectifs de concrétisation de profit. Nostromo est lui tout défini par son prestige personnel et ne vit que par et pour ce prestige : on se doute bien que cela finira par devenir un fardeau. Les quelques uns apparaissant un tant soit peu positifs sont ceux ayant connu la torture des troupes montiéristes : Monygham et le père Corbelan. le péché originel tient sans doute à ce que Charles Gould fait passer la justice derrière l'ordre lorsqu'il décide de faire réouvrir la mine, et de s'accommoder d'un pouvoir autocratique. Notons que cet aspect politique de l'oeuvre est hélas toujours d'actualité : il ne s'agit rien moins que de l'alliance entre ultra-libéralisme et autoritarisme.
Nostromo est un roman assez nettement pessimiste, où les personnages contemplent leurs gouffres et peu en réchappent, mais Conrad sait être toujours fin, aussi bien dans l'exposition des motifs politiques (après tout, l'influence de Gould a aussi ses côtés positifs et protège en partie les mineurs) que dans ses saillies psychologiques, voyez plutôt cette belle citation

"La vie, pour être vaste et pleine, devait, à chaque moment du présent, contenir le soucis du passé et de l'avenir. Notre tâche quotidienne doit être accomplie pour la gloire des morts et pour le bien de ceux qui qui viendront après nous."

C'est finalement cet équilibre qui m'a frappé dans ces quelques cinq cent pages. le "monstre" était plutôt fin.
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