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Critique de Levant


Les mêmes événements vécus par deux personnes différentes deviendront eux aussi différents lorsqu'ils seront colportés par chacune d'elles. Un événement ne vaut pas par son côté factuel mais par la façon dont il est perçu. La vie n'est que subjectivité. Cette notion a d'autant plus d'acuité lorsque la relation des événements fait appel à des souvenirs d'enfance.

Brigitte, la narratrice de C'est fort la France, en fait l'amère expérience lorsqu'elle reçoit la "lettre furieuse" de madame Dubois. C'est la personne qui lui a inspiré un personnage de son roman Ouregano. L'auteure se voit vertement contredite dans sa relation des événements qu'elles ont toutes deux vécus dans un village du centre du Cameroun au début du 20ème siècle. Elle se rend bien compte, à la confrontation de Mme Dubois, que sa relation des faits n'est en réalité que sa version des faits.

Dans cet ouvrage - comme dans Ouregano, duquel naît la controverse - il est question de cette page de l'histoire de notre pays qui traite de la colonisation. On a l'habitude de nos jours d'exprimer la culpabilité de cet héritage. Tel n'est pas le sujet de Paule Constant. Les propos de sa narratrice veulent afficher une grande sincérité quant aux intentions des protagonistes dans leur mission de soulagement des populations locales confrontés aux maladies infectieuses. Le père de cette dernière était médecin en poste au Cameroun. La lutte contre la maladie du sommeil est un de ses combats.

Le regard de Brigitte sur les conditions de vie du lieu et de l'époque occulte le thème sensible de la colonisation. Ces personnages ne sont pas des héros. Aucun n'est glorifié ni fustigé dans son rôle ou son action. Il y a même une certaine quotidienneté dans la relation de la vie de ces expatriés. Le souci du détail peut même faire dévier de l'essentiel et disperser ainsi l'intérêt du lecteur. La relation avec les autorités centrales de Yaoundé, ou même vis-à-vis de la population métropolitaine, qui considérait les expatriés comme des aventuriers nantis, est plus sujet à débat que le principe de la colonisation lui-même. Le lecteur vit la précarité des acteurs de terrain. Ils se débattent autant contre les fléaux qui accablent les populations locales que contre les administrations centrales qui rechignent à leur donner les moyens dont ils ressentent l'impérieuse nécessité. Il y a dans leur comportement une forme d'agnosticisme religieux autant que politique. La touffeur africaine a fait descendre sur eux le fatalisme qui ralentit les ardeurs. Mais l'Afrique reste l'Afrique et les coups de fièvre peuvent être aussi imprévisibles que violentes leurs conséquences. Et leurs motivations échapper à la formation mentale du colon.

Le rapport à l'animal fait partie de ces décalages qui illustrent le fossé entre les cultures. Quand l'une est tentée de prouver des formes d'intelligence dans les espèces, l'autre n'y voit que moyen de subsistance.

Je fais la connaissance de Paule Constant avec cet ouvrage. Il me devient alors nécessaire de lire ce fameux Ouregano dans lequel se trouve une part de l'inspiration de celui-ci. J'apprécie l'élégance de l'écriture et sa façon de dépassionner le débat pour aborder les sujets brûlants. Paule Constant sait prendre de la hauteur, dédramatiser, lisser les humeurs, même lorsque le vital est en question. C'est une lecture intéressante.
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