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EAN : 9782867140990
160 pages
Pardès (01/11/1998)
3.75/5   4 notes
Résumé :
Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947) demeure, sans conteste, avec René Guénon, Julius Evola et Frithjof Schuon, l'un des auteurs vraiment importants de notre temps. Il est l'un des plus éminents représentants de la Philosophia Perennis, cette " sagesse incréée, semblable à ce qu'elle a toujours été et à ce qu'elle sera toujours ", comme le disait saint Augustin. Publié aux États-Unis en 1947, Suis-je le gardien de mon frère ? réunit une série d'articles écrits entre 1... >Voir plus
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Le monde moderne a, en fait, abandonné (comme l’a ré­cemment fait remarquer Aldous Huxley) la notion d’une « vie honnête » selon laquelle un homme n’est pas un bon chrétien s’il vit d’usure ou de spéculation, ou un bon bouddhiste s’il fabrique des armes ou des boissons enivrantes. Comme je l’ai dit ailleurs : s’il y a des emplois incompatibles avec la dignité humaine, ou des produits, même lucratifs, qui ne sont pas des biens véritables, ces emplois et ces produits doivent être abandonnés par toute société qui a en vue la dignité de l’en­ semble de ses membres. Un niveau de vie ne peut être pro­prement qualifié de « haut » que s’il est évalué du point de vue de la dignité, et non pas uniquement du point de vue du confort.

Les bases de la civilisation moderne sont si profondément corrompues que même les érudits ont oublié que l’homme a toujours tenté de ne pas vivre que de pain. Platon a écrit qu’« il est contraire à la nature des arts de ne chercher dans l’objet que l’utile en négligeant le but ». Saint Thomas d’Aquin dit que « l’artisan est naturellement enclin par justice à exécuter son travail fidèlement ». Pour saisir jusqu’à quel point l’industrialisme a amoindri le sens de l’honneur et la volonté naturelle de l’ouvrier d’accomplir du « bon travail », il suffit de lire ce qu’a pu écrire Gilbert Murray en parlant des mécaniciens et du personnel qui construit et révise les avions : « Il me semble merveilleux qu’on ait pu rendre un si grand nombre d’hommes dignes d’une telle confiance » ; et encore: « L’Âge des Machines les a faits ainsi pour la premiè­re fois dans l’ histoire. » C’était là une partie de sa défense de la civilisation occidentale dans une lettre ouverte à Rabindranath Tagore. Tout ce que cette abracadabrante histoire d’avions signifie en réalité, bien entendu, c’est que partout où la production est vraiment pour l’usage, et non pas principa­lement ou uniquement pour le profit, l’ouvrier est toujours « naturellement enclin à exécuter son travail fidèlement ». Même aujourd’hui, comme l’a remarqué Mme Handy, « la perfection technique demeure l’idéal de l’artisan des îles Mar­quises ». En Europe, l’instinct du travail bien fait n’a pas été éteint dans la nature humaine, mais seulement étouffé chez les êtres travaillant sans le sens de la responsabilité. (pp. 20-21)
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Du point de vue indien, on ne peut dire qu’un homme connaît, que s’il connaît par cœur ; ce qu’il doit consulter dans un livre pour se le remettre en mémoire, il n’en a qu’un simple aperçu. Aujourd’hui encore, il y a des centaines de milliers d’indiens qui, quotidiennement, récitent par cœur la totalité ou une grande partie de la Bhagavad Gitâ ; d’autres, plus savants, savent réciter des centaines de milliers de vers de textes plus longs. C’est par un chanteur de village itinérant, au Cachemire, que j’ai entendu chanter pour la première fois les odes du poète classique Djalâl-al-Din Rûmî. Depuis les temps les plus reculés, les Indiens ont considéré que l’homme savant était celui, non pas qui avait beaucoup lu, mais qui avait reçu un enseignement approfondi. La sagesse s’apprend beaucoup mieux auprès d’un maître que dans n’importe quel livre.
(...)
Platon soutient que celui qui est sérieux n’écrira pas mais enseignera, et que, pour peu que le sage écrive, ce sera soit un simple divertissement - les pures « belles-lettres » - soit pour se constituer un mémento lorsque sa mémoire sera affaiblie par la vieillesse. Nous savons exactement ce qu’entend Platon par « sérieux » ce n’est pas à propos des affaires humaines ou des personnes, mais eu égard aux vérités éternelles, à la nature de l’être réel et à la nourriture de notre partie immortelle, que le sage sera sérieux. Notre partie mortelle peut vivre « de pain seulement », mais, c’est par le Mythe que notre Homme Intérieur est nourri ; si nous remplaçons les mythes véritables par les mythes propagandistes de la « race », du « développement », du « progrès» et de la « mission civilisatrice », l’Homme Intérieur meurt de faim. Le texte écrit, comme le dit Platon, peut servir à ceux dont la mémoire a été affaiblie par la vieillesse. Ainsi, c’est dans la sénilité de la culture que nous avons jugé nécessaire de « conserver » les chefs-d’œuvre de l’art dans des musées et, en même temps, de fixer par écrit et, ainsi, de « conserver » (ne serait-ce que pour les savants) tout ce qu’on peut « recueillir » des littératures orales qui, autrement, seraient perdues à tout jamais ; et cela doit être fait avant qu’il ne soit trop tard. (pp. 40-41)
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Examinons, à présent, les points de vue exprimés par les Anciens et autres non-chrétiens lorsqu’ils parlaient de religions différentes de la leur. Nous avons déjà cité Philon d’Alexandrie. Plutarque parle avec une ironie amère des évhéméristes grecs, « qui sèment l’athéisme dans le monde entier, en oubliant les dieux de nos croyances et en leur donnant les noms de généraux, d’amiraux et de rois », et des Grecs qui ne sont plus capables de distinguer Apollon (le Soleil intelligible) et Hélios (le Soleil sensible). Il poursuit en déclarant: « On ne peut pas dire que chaque peuple ait des “dieux différents”, ni qu’il existe des dieux “grecs” ou des dieux “barbares” parce que les dieux sont communs à tous, bien que les différents peuples leur donnent des noms différents. C’est pourquoi l’Unique Raison (Logos) ordonnatrice de l’univers, l'Unique Providence préposée au cosmos ainsi que les puissances mineures [les dieux, les anges] préposées à toutes choses, reçoivent des noms et des cultes différents parmi chaque peuple, selon la diversité des coutumes et des usages respectifs ». Apulée reconnaît que l’Isis des Égyptiens (notre Mère Nature et Madone, Natura Naturans, Creatrix, Deus) « est adorée dans le monde entier sous des formes nombreuses, par des rites divers, sous des noms multiples ».

L’empereur musulman de l’Inde, Jahângîr, écrivant au sujet de son ami et maître, l’ermite hindou Jadrûp, dit que « son Vedânta est identique à notre Taçawwuf ». Dans le nord de l’Inde, il existe, en fait, une abondance de textes religieux dans lesquels il est souvent difficile, sinon impossible, de distinguer les éléments musulmans des éléments hindous. L’indifférenciation des formes religieuses est, à vrai dire, comme le remarque le professeur Nicholson, « une doctrine fondamentale du soufisme ».

Ainsi Ibn Arabî déclare :

« Mon cœur est capable de toute forme : il est un pâturage pour les gazelles et un couvent pour les moines chrétiens
Et un temple pour les idoles, et la Kaabah du pèlerin,
Et la table de la Thorah et le livre du Qoran ;
Je suis la religion de l’Amour, quelque route que prennent ses chameaux ; ma religion et ma foi sont la vraie religion ».

Cela signifie que vous et moi, dont les religions sont distinctes, nous pouvons dire, chacun: « Ma religion est la vraie religion » et, s’adressant à l’autre: « Votre religion est la vraie religion » - le fait que l’un d’entre nous ou tous deux nous soyons ou non authentiquement religieux ne dépendant pas de la forme de notre religion, mais de nous-mêmes et de la grâce. C’est pourquoi Shams-i-Tabriz s’exprime ainsi :

« Si la notion de mon Bien-Aimé est à découvrir dans le temple des idoles,
Ce serait péché mortel de tourner autour de la Kaabah !
La Kaabah n’est qu’une église si l’on y perd Sa trace :
Ma Kaabah est toute “église” où je puis trouver Sa trace ! » (pp. 57-58)
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Comme le Dr B. C. Law le fait remarquer, « il va sans dire que le penseur bouddhiste rejette la notion du passage d’un ego d’un corps dans un autre ». Nous sommes d’accord avec Sri Shankarrâcârya lorsqu’il dit : « En vérité, il n’y a pas d’autre transmigrant que le Seigneur », - celui qui est à la fois lui-même d’une manière transcendante et le Soi immanent de tous les êtres, mais qui ne devient jamais lui-même personne ; à l’appui de ceci, on pourrait citer de nombreux textes des Vêdas et des Upanisads. Par conséquent, quand Krishna dit à Arjuna, et le Bouddha à ses Mendiants : « Long est le chemin que nous avons foulé, et nombreuses les naissances que vous et moi avons connues», ils ne font pas allusion à une pluralité d’essences, mais à l’Homme Commun qui est en chaque homme, et qui, dans la plupart d’entre eux, s’est oublié lui-même, mais qui, dans celui qui s’est réveillé, a atteint le terme du chemin et, en ayant fini avec tout devenir, n’est plus une individualité dans le temps, n’est plus personne, celui que l’on peut désigner par un nom propre.

Le Seigneur est le seul transmigrant.
(...)
Ainsi, comme le dit Farîd-ud-Din Attâr :

« Pèlerin, pèlerinage et Chemin n’étaient que Moi-même vers Moi-même. »

Telle est la doctrine traditionnelle, non pas de la « réincarnation » au sens populaire et animiste, mais de la transmigration et de l’évolution de la « Nature toujours productrice »; elle ne contredit ni n’exclut en rien la réalité du processus d’évolution tel qu’il est envisagé par le naturaliste moderne. Bien au contraire, c’est précisément la conclusion à laquelle, par exemple, Erwin Schrôdinger est arrivé par son enquête sur les facteurs de l’hérédité, dans son livre intitulé « Qu’est-ce que la vie» dont le chapitre final, sur le « Déterminisme et le libre arbitre », établit la « seule déduction possible » : que « moi, dans l’acception la plus large du mot - c’est-à-dire tout esprit conscient qui ait jamais dit ou senti “je” -, je suis la personne, entre toutes, qui contrôle “le mouvement des atomes” selon les Lois de la Nature... la conscience est un singulier dont le pluriel est inconnu ». (pp. 117-119)
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Parmi les forces qui font obstacle à une synthèse culturelle ou, pour mieux dire, à une entente commune indispensable en vue d’une coopération, les plus grandes sont celles de l’ignorance et du parti pris. L’ignorance et le parti pris sont à la base de la naïve présomption d’une « mission civilisatrice ». Celle-ci apparaît, aux yeux des peuples « arriérés », contre qui elle est dirigée et dont elle se propose de détruire les cultures, comme une simple impertinence et une preuve du provincialisme de l’Occident moderne. Celui-ci regarde toute imitation comme la flatterie la plus sincère, même quand elle se réduit à la caricature, en même temps qu’il est prêt à prendre les armes pour se défendre si l’imitation devient assez réelle pour entraîner une rivalité dans la sphère économique. A vrai dire, si l’on veut qu’il y ait sur terre un peu plus de bonne volonté, l’homme blanc devra réaliser qu’il doit vivre dans un monde peuplé en grande partie de gens de couleur (et « de couleur » signifie habituellement, pour lui, « arriéré », c’est-à-dire différent de lui-même). Et le chrétien devra réaliser qu’il vit dans un monde à majorité non chrétienne. Il faudra que chacun prenne conscience de ces faits et les accepte, sans indignation ni regret. Avant même de pouvoir songer à un gouvernement mondial, il nous faut des citoyens du monde, qui puissent rencontrer leurs concitoyens sans se sentir gênés, comme entre gentlemen, et non en soi-disant maîtres d’école rencontrant des élèves que l’on instruit « obligatoirement » même si c’est aussi « librement ».

Il n’y a plus place dans le monde pour la grenouille dans le puits ; elle ne prétend juger les autres que par sa propre expérience et ses propres habitudes. Nous avons ainsi fini par réaliser que, comme l’a dit, il y a peu, El Glaoui, le pacha de Marrakech, « le monde musulman ne veut pas de l’inimaginable monde américain ou de son incroyable style de vie. Nous (les musulmans) voulons le monde du Qoran », et il en est de même, mutatis mutandis, pour la majorité des Orientaux. Cette majorité comprend non seulement tous ceux qui sont encore « cultivés et illettrés », mais aussi une fraction, bien plus importante qu’on ne le croit, de ceux qui ont passé des années à vivre et à étudier en Occident, car c’est parmi ceux-ci qu’il est possible de trouver bon nombre des « réactionnaires » les plus convaincus. Parfois, « plus nous voyons ce qu’est la démocratie et plus nous estimons la monarchie » ; plus nous voyons ce qu’est l’« égalité », et moins nous admirons « ce monstre de la croissance moderne, l’État commercialo-financier » dans lequel la majorité vit de ses « jobs», où la dignité d’une vocation ou d’une profession est réservée au très petit nombre et où, comme l’écrit Éric Gill, « d’un côté, il y a l’artiste voué uniquement à s’exprimer, de l’autre l’ouvrier privé de tout “soi” à exprimer ». (pp. 121-122)
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