Citations sur Zénith-Hôtel (25)
Les pauvres filles du Bois pataugent dans la boue. Moi je préfère le bitume. J’y suis attachée de la pointe au talon. C’est ma vie. Mon cœur en a pris la couleur. Il est gris et fade. C’est toute mon âme qui transpire la saleté de la ville.
On ne partage rien. Ils sont seuls quand ils me tringlent. En face d’eux, ce n’est rien qu’un corps qui attend, un corps absent, qui pense à autre chose, qui essaye simplement de ne pas avoir trop mal. Ils ne peuvent pas ne pas le sentir ; ils ne peuvent pas oublier qu’ils sont seuls avec moi. On croit qu’ils viennent me parler, qu’ils sont malheureux, que je les aide. Je ne leur donne rien d’autre que l’image la plus crue de leur existence ; le reflet de leur misère.
C’est le petit mystère de Robert. Il a un secret, une cicatrice qu’il ne peut pas montrer. C’est à vif pourtant et ça ne cessera pas de l’être. Aussi longtemps qu’il vivra, il la gardera en lui cette plaie béante. « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes », aurait-il pu dire s’il avait eu du génie et qu’il s’était appelé Henri Calet.
Je remplis des pages, j’aligne des phrases. C’est un travail inutile. Il m’occupe pourtant. Je pourrais écouter la radio ou finir des sudoku, lire le journal ou regarder par la fenêtre. J’écris ; je ne sais pas pourquoi. J’esquinte le temps. « Il a la peau dure le salaud ».
Je suis une vieille putain plumitive. Ce n’est pas bien malin.
Faire comme ses parents et moisir dans un pavillon de province en écoutant la radio, ça lui donne franchement mal au cœur. Il vomit les feux de bois, la parabole sur les tuiles romaines, la corde à linge derrière la maison, tout ça, ces images de son enfance, sa mère qui râle parce que Papa boit trop de Pernod, les barbecues avec les copains, les matchs de foot à la télé, le film du dimanche soir et le papier peint dans la chambre à coucher.
Ça vous donne une contenance,
quelque chose pour ne pas
se faire piétiner du regard.
Le faciès tumefié par la solitude.
Voyage au bout de la solitude:
Il n'y a pas de marée. Seulement ces deux ombres qui promènent avec elles des idées de fin du monde. Elles marchent comme à leurs habitudes, ce sera une promenade comme il y en a eu des milliers d'autres. Non, rien de sensationnel, rien d'époustouflant; seulement deux ombres, la première sur deux pieds, l'autre en laisse. Personne ne les remarque. Elles se déplacent pas à pas ces vies sans mouvement; elles dégringolent de plus en plus, elles roulent comme deux petites billes en verre poli sur une pente imaginaire. Elles volent au-dessus des hommes les deux ombres, Victor et Bâton dont personne ne se soucie.p.69
Si au moins j'étais vraiment seule... N'y comptez pas. On est seul au milieu des autres. On est seul au milieu de leur solitude. On est seul avec les autres; ça pue, ça grouille, ça transpire. Vous ne les fuirez pas, vous ne les approcherez pas non plus. Ils sont là seulement, aussi seuls que vous.
J'aime bien les taulards. Ils sont gentils, ils veulent m'épouser. Ils n'ont pas d'autres solutions. Je ne ferai pas la gentille putain qui aime donner du plaisir, mais pour les types de la Santé, on ne le voit pas pareil. C'est moins triste. C'est moins triste parce que ça l'est plus.