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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"...Ou reste, et bois ton fond de vie,
Sur une nappe desservie..."

Comment résister, quand quelqu'un vous balance dans le giron un livre de poésie, avec les mots : "Lis ça, c'est Corbière ! C'était un fou, ça va te plaire !"
Etrange façon de recommander un poète, ou peut-être la meilleure...
Quoi qu'il en soit, je peux me vanter par la même occasion d'avoir tranché l'intégrale de ce poète maudit, car dans sa courte vie (même pas trente ans !) il n'a sorti que ce seul et unique recueil : "Les Amours jaunes".

Déjà, le titre... Pourquoi les amours "jaunes" ? Le jaune joyeux des pissenlits qui poussent au printemps, ou jaune comme les roses de l'infidélité et de la jalousie, que s'offraient jadis les amants déçus ? Jaune comme la couleur de la trahison et le signe de prostituées ? L'aurore couleur citron au-dessus de la Bretagne, ou le pâle jaunâtre sur le visage cireux d'un malade ? Il est difficile de comprendre Corbière. Il avait peut-être du mal à se comprendre lui-même.

L'un des grands amours de Corbière est la mer. La grosse masse d'eau salée qui bouillonne et frappe les côtes de la Bretagne, en apportant en même temps la destruction et de quoi subsister. Une belle partie des poèmes est dédiée à la mer. Mais Corbière n'était pas marin, ivrogne et joueur de cartes avec une femme dans chaque port, comme il veut parfois nous laisser croire. Le jeune homme maigre et déséquilibré n'a aimé qu'une seule femme - une actrice italienne entretenue par un homme influent. Un "amour jaune", et un grand malheur pour celui qui se trouvait lui-même répugnant. Puis, la tuberculose...

"Rose, rose-d'amour vannée,
Jamais fanée,
le rouge-fin est ta couleur,
Ô fausse fleur !"

Je ne suis encore jamais tombée sur quelque chose qui ressemble au langage des "Amours jaunes". Les vers trébuchent, ne trouvent pas les mots justes, se répètent, oublient des parties de la phrase. Ils crient par les points d'exclamation, et deviennent silencieux avec les points de suspension. Les phrases nues comme les branches des arbres en novembre alternent avec les longues envolées poétiques. Sans aucun sens et aucune logique. L'attente de la Mort, mélangée avec les motifs érotiques et la beauté de la Bretagne.
Peut-être que Corbière s'en fichait. Il inventait les dates et les endroits de la rédaction de ses poèmes pour confondre le lecteur. Il disait qu'il ne connaissait pas l'art, et l'art ne le connaissait pas. Il renonce au romantisme et à l'harmonie, il provoque, il parodie. Il cuisine avec amertume, pathos et passion.

"Dans mon chapeau, la lune
Brille à travers les trous,
Bête et vierge comme une
Pièce de cent sous !"

Corbière a vécu dans un déguisement d'aventurier qui n'était pas adapté à son corps fragile. Ses "Amours jaunes" étaient un flop absolu lors de leur sortie. On n'a pu le redécouvrir que grâce à Paul Verlaine, qui l'a rajouté dans les rangs des Poètes maudits. Heureusement. Sinon, nous serions privés de ce solitaire unique.

"Dans ton boîtier, Ô Fenêtre !
Calme et pure, gît peut-être...
.................
Un vieux monsieur sourd !"

C'est ça, Corbière était fou ! Et j'ai beaucoup aimé. Quatre étoiles jaunes fichées directement dans le coeur, et une demi, qui s'est brisée sur mon esprit parfois borné.
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