Hamann philosophe du luthéranisme. Introduction de Jean Brun.

Si, tout en luttant contre le rationalisme, Hamann n’entend pas se rallier à l’irrationalisme de Hume, c’est que l’opposition du bien et du mal n’équivaut nullement à l’opposition de la raison et de la sensibilité, à la distinction psychologique du corporel et du spirituel. Elle est celle maladie mortelle qui ne devient visible que dans la Bible, la désorganisation de notre vie actuelle par l’usurpation, à l’origine, d’une connaissance qui n’appartient qu’à Dieu (G. 377).

L’originalité de Hamann apparaît d’autant mieux si on la compare avec l’intérêt que son siècle portait à la psychologie, à la réflexion de l’homme sur soi-même. Les philosophes : Knutzen, Meier, Baumgarten se préoccupent de la « vraie nature de l’âme ». Est-elle simple ou composée ? Combien a-t-elle de facultés ? On n’arrive à la concevoir que comme un objet parmi les objets, cette « chose qui pense en nous », ou plus exactement « qui est pourvue d’une faculté de penser ». Ce faisant, non seulement on ne comprend Aristote que de façon toute scolastique, mais là même où l’on veut reprendre les intuitions géniales de Leibniz, en comprenant l’âme non plus comme chose mais comme force, on ne parle encore que de vis repaesentative (Baumgarten). Le « moi » reste donc un objet d’observation ; on reste incapable de divulguer l’être concret de l’homme, de lier la connaissance que le sujet a de soi-même à son existence comme sujet véritable, c’est-à-dire à sa réalisation actuelle de soi-même. Tel sera le sens initial de la réforme kantienne.

Il est signification qu’en rejetant le dualisme psychologique de l’âme et du corps, Hamann rejoigne la protestation de Luther commentant l’Épître aux Galates, contre le schéma de l’anthropologie classique : l’esprit, l’âme et le corps. Luther repousse l’idée de l’âme comme d’un intermédiaire entre la chair et l’esprit. C’est l’homme tout entier, et justement l’âme qui est chair et esprit, qui est « le champ de bataille ». On ne peut plus user alors de représentation spatiale ni mathématique. De même Hamann rompant avec les idées de son siècle sur la dignité et l’autonomie de la raison dans l’homme, déclare : « Seule la descente dans l’enfer de la connaissance de nous-mêmes nous ouvre la voie de la déification » (II, 198). Ce qui est à connaître ainsi, c’est « l’état de la nature humaine dans le monde » (I, 133), c’est-à-dire des relations réelles dans lesquelles chaque fois nous nous trouvons. L’homme n’est pas un être rationnel abstrait, un sujet dans le monde, nous l’avons vu : « Dieu et mon prochain appartiennent à la connaissance que j’ai de moi-même » (I, 135). (pp. 63-64)

L’Adam hiéroglyphique est l’histoire de toute l’espèce dans la roue symbolique, et le caractère d’Eve l’original de la belle Nature et de l’économie systématique, qui n’est point inscrite sur un bandeau qu’on porterait sur le front d’après les efforts d’une « sainteté méthodique », mais qui est formée en bas, sous terre, – et qui reste cachée dans les entrailles, dans les reins des choses mêmes.

Virtuoses de l’Aeon présent, vous sur qui le Seigneur Dieu fait tomber un profond sommeil ! Vous, les nobles au petit nombre : mettez à profit ce sommeil, et d’une côte de cet Endymion édifiez la dernière édition de l’âme humaine, que le barde des Chants nocturnes entrevit, mais de loin, en son rêve du matin. Le prochain Aeon s’éveillera comme un géant de son ivresse, pour embrasser votre Muse et témoigner d’elle par des cris d’allégresse : Voici l’os de mes os et la chair de ma chair. (Hamann, p. 117)