Vingt ans après, auto-proclamée Vicomtesse de Bragelonnette (Texas, Etats-Unis), j'entreprends une seconde lecture de cet enfant de Dieu (lequel n'a pas honte d'enfanter à tort et à travers). En 1992, des libraires plus éclairés qu'Edison avait alors enrichi mon univers littéraire d'un auteur majeur. La déflagration m'avait laissée KO.
Sur la quatrième de couverture, les éditions
Actes Sud présentaient McCarthy: "Il demeure sans doute le plus méconnu des très grands de la littérature contemporaine". Heureusement, il y eut le cinéma pour propulser le styliste américain sur le devant de la scène. Et son roman "
La route" paracheva une notoriété qui avait beaucoup beaucoup tardé (et dire qu'il y a des romanciers qui…)
Vingt ans après ou je n'ai pas vieilli (sourire charmeur qui attend confirmation), ou le roman n'a pas vieilli. Que ceux qui oseraient imaginer une autre hypothèse dissimulent leur sourire sarcastique dans un sac en papier recyclable. Bref, mon plaisir de lectrice demeure intact.
Un enfant de Dieu est une plongée en apnée dans le monde rance, fou, étriqué, désolé et sordide d'un de ces exclus que l'Amérique concocte dans ses coins reculés.
Un enfant de Dieu est une lente descente dans une folie qui ne cesse de croître alors que croient dénuement et solitude. En contrepoint de la nécrophilie rouge et noire, trois grosses peluches gagnées dans une fête foraine rappellent que le pantin dément affublé d'un fusil, d'un scalp et d'une jupe a, un jour, fait partie de la société humaine.
Terrifiante dans son économie de moyens, effrayante par sa précision, l'écriture de McCarthy hante la montagne (et notre esprit) où grimace Lester Ballard, qui fut, un jour, oublié de ses semblables.
"Vous pensez qu'à l'époque les gens étaient pires qu'ils ne sont maintenant? dit l'adjoint.
Le vieil homme contemplait la ville inondée. Non, dit-il. Je pense que les gens n'ont pas changé depuis le jour que le bon Dieu les a créés."
Peut-être la phrase-clé du roman.
Si Lester Ballard pris dans les rets de la survie ne provoque pas l'empathie (et c'est peu dire), aucun protagoniste n'est sympathique. Ici, les hommes sont durs, égoïstes, rugueux. Dans le Tenessee, le rêve américain a fait long feu.
Mais que reste-t-il de l'homme civilisé lorsque les conditions de la civilisation se dérobent?