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Georges Forestier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070318636
192 pages
Gallimard (30/11/-1)
3.58/5   559 notes
Résumé :
Corneille, on le sait maintenant, était un profond analyste de la vie et du pouvoir politiques. Il raconte ici l'échec d'une conjuration - seule forme d'opposition sous la dictature - et le pardon qui la suit. Sous l'intrigue apparente, et historique, il a voulu montrer le drame du pouvoir vieillissant, de l'opposition impuissante, des individus dépassés par des forces qui les écrasent. Cette tragédie n'a donc rien perdu de sa puissance, ni de son actualité.
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
3,58

sur 559 notes
J'ai commenté, il y a peu, une pièce de Racine, Iphigénie, pour laquelle j'écrivais à demis mots — même à trois quarts de mots —, que je la trouvais moyenne au goût, voire un peu en dessous. Je vous avoue avoir été un peu surprise de mon propre revirement vis-à-vis de Racine et de la tragédie du XVIIème pour laquelle il me semblait jusque là entretenir une certaine appétence. Voilà pourquoi j'ai ressenti le besoin d'enchaîner illico sur une autre tragédie XVIIème, histoire de vérifier si réellement mes goûts avaient changé ou si ça n'était imputable qu'à ladite Iphigénie.

Me voilà rassurée : j'aime encore la tragédie, j'aime encore ce français suranné (et pas Suréna, enfin je me comprends). Mais avant que d'en parler, permettez-moi préalablement, d'adresser un vrai remerciement, de faire le très grand éloge du tout petit livre que j'ai lu et que j'ai présentement sous les yeux.

Connaissez-vous cette admirable édition des Petits Classiques Bordas de 1968 ? Alors, c'est vrai, je vous le concède, la couverture est moche à souhait : elle représente une sorte de petit « b » pour Bordas, tronqué, dans les tons de rouge et de noir mal chevauchés ; à croire qu'on devait manquer de moyens, à l'époque, chez Bordas ou, non, plutôt, au lieu que de les investir dans le vernis, dans le clinquant, on les mettait plutôt dans le fond, dans le propos. À l'heure actuelle c'est tout l'inverse, c'est le triomphe de la superficialité, du « m'as-tu vu ? », du « ne réfléchis pas » ou si peu…

Il y est précisé que la pièce est présentée « avec une notice sur le théâtre au XVIIe siècle, une biographie chronologique de Corneille, une étude générale de son oeuvre, une analyse méthodique de la pièce, l'Examen de 1660, la Lettre de Balzac, des notes, des questions, des sujets de devoirs par Marcel BARRAL, agrégé de grammaire, maître assistant à la Faculté des Lettres et des sciences humaines de Montpellier ».

Bon. Okay, pourquoi pas ? Ça paraît peut-être un peu ronflant dit comme ça mais, dans les faits, tout ce qui est annoncé y est et très bien amené. Je dirais même après examen que la publicité n'est pas surfaite, bien au contraire. Je tourne la page et je lis les « Principes de la collection » (desdits Petits Classiques Bordas), je cite :

« Mettre à la disposition de tous les élèves — des petites classes jusqu'aux classes préparatoires aux Grandes Écoles —, ainsi que des étudiants, les documents dont ils auront besoin sur l'auteur et sur l'oeuvre à étudier. Présenter, dans les bandeaux placés en regard du texte, des thèmes de réflexion utilisables en classe, et propres à guider l'élève dans l'étude personnelle des pages non retenues pour l'analyse magistrale. Dans ces bandeaux et dans l'étude finale de l'oeuvre, multiplier les sujets de devoirs et les questions pouvant donner lieu à un exercice écrit ou oral. À côté des jugements prononcés par les écrivains et les critiques des siècles passés, placer l'opinion de nos grands auteurs contemporains et des critiques les plus écoutés de notre époque. »

Alors, oui, c'est vrai, je vous l'accorde, c'est peut-être un peu paternaliste comme programme mais d'un paternalisme que je qualifierais de « dans le bon sens du terme », dans le sens qui vise, à terme, à l'émancipation. N'est-ce pas là tout l'esprit et le programme des Lumières ? N'est-ce pas, par le questionnement, par la confrontation d'opinions contradictoires à propos d'une même oeuvre la formation d'un esprit critique, l'élévation et le positionnement de la sensibilité de l'élève par rapport à ces avis et à ces oeuvres dites « classiques », c'est-à-dire, je le rappelle, à l'origine celles qui étaient étudiées dans les « classes » (à présent on baptise tout « classique » sitôt que cela rencontre un certain succès ou que c'est un peu ancien) ? Quand je lis les présentations des éditions scolaires actuelles, les bras m'en tombent. Les élèves d'aujourd'hui ne sont pas plus bêtes, ce me semble, que ceux de 1968 ; seule la proportion de ceux qui poursuivent des études a changé.

Par exemple, à l'Acte III, Scène 2, l'édition nous propose une critique De Voltaire : « Pourquoi Cinna a-t-il à présent des remords ? S'est-il passé quelque chose de nouveau qui ait pu lui en donner ? » Et l'édition nous invite à y réfléchir : « Quelle réponse peut-on faire à cette critique ? » Elle ne donne pas de réponse, elle nous laisse en chercher une, elle nous laisse trouver chacun la nôtre, elle peut donner lieu à débat…

Car lire de la littérature, voyez-vous, ça n'est pas juste ni simplement un exercice rébarbatif qu'on impose aux ados, ça n'est pas juste telle figure, tel chiasme, tel sens de tel mot, telle note à la fin, au bac ou je ne sais quoi qui, de toute façon ne vaudra rien, c'est aussi, c'est avant tout, c'est surtout une possibilité mimétique, se mettre à la place de, qu'est-ce que j'aurais fait, moi, si j'avais été Cinna, comment est-ce que j'aurais réagi si l'on m'avait dit ça à moi, s'il s'était passé ça ? C'est ce que nous faisons chaque nuit dans nos rêves, c'est prendre des costumes fictifs pour apprendre à nous connaître nous-mêmes, à nous comporter vis-à-vis des autres, à envisager qu'il puisse y avoir d'autres façons de faire chez l'autre, d'autres façons de penser, de ressentir…

On croit s'attirer les ados en rendant tout ludique, sucré, flashy, faible en contenu, accessible, en Nutellaïsant la câpre et l'origan, en les maintenant en enfance quand eux ne souhaitent qu'être traités en adultes. On se trompe probablement car le ludique est déjà contenu dedans : le jeu. Que dit-on de l'acteur ? Qu'il joue. Connaissez-vous des classes d'ados où aucun ne souhaite se mettre en scène ? Ils adorent ça, au contraire, ils en raffolent et même si la timidité en retient beaucoup de s'exposer face aux autres, tous ou presque voudraient être, l'espace d'un instant, ou Cinna ou Auguste ou Émilie ou Livie. On s'en fout des notes, on s'en fout du bac, mais être Auguste ou Livie, avec l'armure, avec la belle robe, on s'en souvient toute sa vie et l'on se dit, un jour, un soir, qu'on vienne de la banlieue, qu'on vienne de la campagne, qu'on soit noir, blanc, ocre jaune, bleu foncé ou rouge tagada, fils de gueux ou fille de roi, peut-être très longtemps après : « Il a été grand, Auguste, sur ce coup-là… Tiens, moi aussi, microbe, je te pardonne. »

Par pitié, remettez-nous des éditions de cette qualité-là. On sait bien que tous ne la liront pas, mais ils ne liront pas plus la flashy basse densité que vous leur proposerez, tandis que ceux qui la liront, eux, en tireront un quelque chose de plus et qui est l'essence même de ce que devrait concourir à permettre l'enseignement : forger des individus libres, capables de juger par eux-mêmes des événements et des obstacles que leur opposera le monde, sans une quelconque tutelle, sans une éternelle prééminence de « papa » État qui décide tout pour moi, permis de ceci, permis de cela, interdit de ci, interdit de ça. C'est devenu tellement grotesque que quand une canicule se pointe, quand un arbre se casse la gueule dans l'espace public à cause d'une tempête, aussitôt tout le monde cherche un responsable et se tourne vers la mairie, vers l'État : « Eh dis, l'État, tu ne m'avais pas prévenu que le soleil ça chauffait et que le vent ça soufflait, s'agirait peut-être de me remettre ma teuteute et de me changer mon bavoir parce que là, quand même, y a de l'abus ! » Fin de la parenthèse. (Vous avez remarqué, je n'ai pas parlé de vaccin, cette fois.)

« Tiens, au lieu d'écrire des conneries, ma petite, prends ton vaccin, remets ta teuteute et dépêche-toi, sinon tu vas prendre froid.
— Oui, Papa, tout de suite, Papa, je termine vite fait ma critique et j'arrive. »

Bon, alors, vous avez compris, faut que j'accélère… Il y a une différence fondamentale, selon moi, entre Corneille et Racine, et elle réside dans le secret de la formule — comme entre Pfizer et Astra-Zeneca. Racine, c'est incroyablement homogène, c'est calibré, c'est minuté, ça arrive toujours à l'heure, mais, parfois, l'on s'y ennuie.

Corneille, c'est comme un bruit de ron-ron et tout à coup, Paf ! une fusée, et juste après, Pif ! une autre. le ron-ron reprend, et là, BLAAAM ! une explosion thermonucléaire, vous êtes un peu secouée, forcément, alors il vous remet un p'tit coup de ron-ron, et puis Pan ! il vous achève, d'un vers dans le coeur.

Corneille a le sens de l'aphorisme, le sens de la formule qui fait mouche, Racine pas spécialement. Dans Cinna, il y a même beaucoup plus que cela, car l'auteur y incorpore une dimension psychologique, l'évolution des personnages, ce que Racine avait totalement loupé avec Agamemnon, Achille et Iphigénie dans sa pièce homonyme. Ici, je ne vais pas aller jusqu'à dire que tout est admirable ou crédible, psychologiquement parlant, mais l'on sent tout de même un réel soucis d'authenticité, sauf à la fin du dernier acte.

Le personnage le plus bancal m'apparaît être Maxime, l'ami et complice de Cinna, dont la psychologie à géométrie variable n'est là, d'après moi, que pour soutenir l'intérêt dramatique de la pièce. Il en va de même de Cinna et d'Émilie à la toute fin, ce qui est un peu dommage, voire dommageable, car ce n'était pas trop le cas jusques ici et ce qui me gâche un peu la dernière impression, d'où cette appréciation d'ensemble à 3,5/5.

De quoi est-il question dans la tragédie ? Corneille s'appuie sur la relation que donne Montaigne dans ses Essais, au chapitre XXIII, du comportement d'Auguste en apprenant le détail d'une conjuration destinée à l'abattre. (Montaigne s'appuyait quant à lui sur un écrit de Sénèque, le livre I de de la clémence, au chapitre 9.)

Cinna, fils de Pompée et Émilie, fille du tuteur d'Auguste ont l'un et l'autre une bonne raison d'en vouloir à l'empereur suite au traitement que lui ou ses alliés ont infligé à leur père respectif. Toutefois, depuis lors, Auguste s'est montré magnanime avec les deux rejetons, il les comble d'honneurs et de droits spéciaux. Il n'importe, la belle Émilie ne décolère pas et ne trouvera la tranquillité que quand Auguste aura été rétréci d'une octave. Elle compte pour cela sur le poignard de Cinna ; elle s'offre même pour prix d'un si glorieux exploit et est toute prête à épouser l'impéricide (qu'elle aime et qui l'aime indépendamment de la petite besogne envisagée conjointement).

Voilà, voilà, Cinna sait ce qu'il lui reste à faire s'il espère consommer son hyménée. Pour cela, il a regroupé autour de lui une troupe de conjurés prêts à lui filer un coup de main au moment du coup de poignard. Maxime est le plus important d'entre eux.

Voilà, voilà, tout se prépare gentiment en coulisse, chacun affute son couteau, son tranchet, son herminette ; Émilie se réjouit par avance de pouvoir prochainement boulotter du boudin, mais… (oui, car il y un mais), mais, disais-je, coup de théâtre (n'ayez crainte, ça ne fait pas mal), Auguste convoque personnellement Maxime et Cinna. Les deux se disent que ça sent méchamment le roussi pour leur grade, que quelqu'un a dû les balancer et puis…

Et puis, non. Auguste les consulte, tout simplement, parce qu'il en a ras le citron de l'empire, du pouvoir et de ses tracas. Il est même bien prêt à rendre son tablier, à tirer sa révérence et à leur refiler le bébé, aux deux cocos. du coup, ça libère ipso facto Rome du tyran, du coup il n'y a plus vraiment de justification ni de libération possible à la lame du couteau. Que devient la conjuration ? Qu'en pense Maxime ? Qu'en pense Cinna ? Qu'en dira Émilie si méchoui il n'y a pas ?

Il est question de Rome et de liberté, bien sûr, du comportement du tyran face à l'adversité, mais il est surtout question du prix mis en jeu à la tombola du coup de couteau. Qu'en diront ces trois-là ? Ça, c'est ce que précisément je me refuse à vous dévoiler. Y aura-t-il d'autres personnages impliqués, qu'en dira le principal intéressé ? Quels sont les ressorts qui nous poussent à agir, à ne pas agir, à nous insurger ou à nous assagir, à envier ou à consentir, à essayer du neuf ou à sans cesse resservir les mêmes vaisselles éculées ?

Si ça ne tenait qu'à mon avis, je vous signerais sans broncher votre attestation vacCINNAle mais vous savez bien à présent ce que représente mon avis sans QR code, assurément pas grand-chose par les temps qui courent… Je sais juste que j'ai une réaction immunitaire un peu plus forte pour Racine que pour Corneille mais on n'arrive pas encore à mesurer ça très bien dans les résultats de prise de sang. Cependant, ayons foi en la science et en l'intelligence artificielle, ce sera sans doute pour bientôt… comme l'immunité collective.
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C'est toujours un plaisir de lire les tragédies classiques. Ici c'est la fameuse pièce de Corneille "Cinna". Une tragédie d'origine romaine dont le sujet est tiré d'une page d'Histoire que raconte Sénèque dans l'un de ses livres intitulé "De la clémence" et qui se trouve reproduite voire paraphrasée dans les "Essais" de Montaigne. D'ailleurs, Corneille a placé ce passage en tête de l'édition originale de sa pièce. Néanmoins, il se peut que cette histoire soit inventée ou modifiée par Sénèque puisqu'on ne peut vérifier sa réalité. Rappelons que le grand Suétone ne l'a jamais mentionnée dans ses ouvrages.

Par contre, l'intrigue renvoie aussi à un épisode plutôt contemporain où l'on retrouve un complot monté par une femme et où se mêlent politique et amour. Il s'agit d'une conspiration menée par une certaine Mme de Chevreuse et son amoureux le ministre Chalais contre l'illustre cardinal de Richelieu. Certes, cette période-là avait connu de nombreux incidents semblables à cause du pouvoir autoritaire du cardinal.

Dans cette tragédie, on retrouve le dilemme cornélien. Cette fois, il concerne plusieurs personnages dans la pièce et ces tiraillements on les trouve dans leur monologue. Et il faut avouer que ceux de Cinna et d'Auguste étaient de véritables chefs-d'oeuvre. Dans celui d'Auguste, par exemple, Corneille nous présente une conception intéressante du pouvoir dans un style magnifique. Ce même Auguste qui fait preuve de clémence et donne ainsi un exemple de grandeur incomparable.

Corneille a choisi ici une intrigue très intéressante, voire captivante, pour créer sa tragédie. En outre, il met en oeuvre tout son art et son éloquence ; son analyse psychologique pour nous présenter les nuances de sentiments forts qui animent ses personnages, les perdent ou les élèvent.
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Si l'on demande à la plupart des francophones ce qu'évoque le nom de Pierre Corneille, je suis sûr qu'immanquablement la réponse sera " le Cid "... Gérard Philipe, et chacun d'entre nous (eux) récitant en 3ème l'inoubliable monologue de Rodrigue, dont il nous reste, au moins, des décennies plus tard... les premiers vers...
"Percé jusques au fond du coeur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l'étrange peine !
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !"
Eh oui... pour moi, ça date de plus de cinquante ans, et ils sont toujours présents... en dépit de l'encrassage de mes neurones raréfiés.
En revanche, si vous dites " et Cinna ?", là je suis persuadé que les silences seront plus éloquents et nombreux que les réponses.
Pourtant cette pièce écrite en 1642 ( il n'y a pas consensus sur la date ) fait partie des plus abouties du grand Corneille.
Son thème, la légitimité du pouvoir et les conspirations inhérentes à ce dernier, est un thème universel et demeuré contemporain... on ne change pas, comme chante "une certaine".
L'action se situe à l'époque de la Rome antique (fortement "inspirée" par les écrits de Sénèque et " L'histoire romaine" de Goëffeteau), elle est une vision, une préoccupation et un questionnement politique sur les rapports de la noblesse mise au pas sous le règne de Louis XIII et le gouvernement de Richelieu, sur la question de la violence, indissociable dans la pensée du tragédien de la notion de grâce. Et sa réponse est une apologie du pouvoir fort, dont la magnanimité est l'un des prédicats essentiels.
Émilie, fille adoptive de l'empereur Auguste, dont le père Toranius, tuteur du souverain, que ce dernier fit jadis assassiner à l'époque du Triumvirat, est amoureuse de Cinna petit-fils de Pompée. Avant de répondre totalement à son amour, elle exige qu'il venge la mort de son père, qu'il lui rende son honneur, en assassinant à son tour l'empereur. Cinna et son ami Maxime complotent et conspirent à cette fin.
Auguste, lassé du pouvoir et du sang versé, interpelle Cinna et Maxime, en lesquels il voit davantage que des conseillers, et leur demande de l'éclairer. Pris au dépourvu et pour ne pas renoncer à la conjuration et ne pas trahir Émilie, Cinna ( et Maxime )réussit à convaincre Auguste de ne pas renoncer au trône. Reconnaissant, Auguste offre à Cinna la main d'Émilie.
Mais, car il y a toujours un mais, Maxime est amoureux d'Émilie. Euphorbe, son serviteur affranchi le pousse à trahir Cinna, lequel ébranlé par le comportement d'Auguste hésite quant à lui à mettre à mort un despote devenu "éclairé". Mais Émilie reste sourde aux doutes de Cinna qui, par amour et par honneur, décide de mener la conjuration jusqu'à son terme.
Pendant ce temps, Euphorbe affirmant être mandaté par Maxime, révèle la conjuration et les noms des conjurés à Auguste. Sa femme, l'impératrice Livie, recommande à son époux le pardon, mais Auguste convoque Cinna. Maxime, de son côté, confesse à Émilie son amour et la trahison d'Euphorbe. Émilie repousse Maxime et l'humilie comme le traître qu'il est.
Émilie, pour sauver Cinna, s'accuse auprès d'Auguste d'être la seule responsable de cette conjuration et de cette tentative d'assassinat. Cinna et Maxime font de même.. Auguste, magnanime et accablé de voir tous ceux qu'il aime comploter contre lui les gracie tous !
" Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler,
Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler."

"Qu'on redouble demain les heureux sacrifices
Que nous leur offrirons sous de meilleurs auspices,
Et que vos conjurés entendent publier,
Qu'Auguste a tout appris, et veut tout oublier."

HAPPY END !

Corneille a fait passer son message de manière explicite... après Louis XIII viendra Louis XIV et un absolutisme "éclairé" ( ? )

En attendant, j'ai pris un plaisir "mal-de-mer" à relire des alexandrins marqués du sceau du dilemme Cornélien ( le sentiment et le devoir, l'amour et l'honneur, j'y vais mais j'y vais pas... ). Des vers à l'effet balançoire, reconnaissables entre tous... qui vous montent à la tête mais qui vous font du bien ( c'est un alexandrin... (sourire) )

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Corneille écrit là sa deuxième tragédie romaine (la première étant Horace). Il connaît bien son Histoire de Rome. Il va chercher son matériau historique chez Sénèque qui décrivit les évènements dans « De Clementia », les reprend trait pour trait, les magnifie de grandeur et de vertu et les raconte dans son inimitable style alexandrin.

Auguste, le premier empereur, baigne l’humanité de sa lumière solaire depuis quelques temps déjà quand une énième conjuration s’échafaude contre lui.
A sa tête Cinna, conseiller d’Auguste, petit-fils de Pompée, ce Pompée adversaire vaincu de César, le père adoptif d’Auguste (c’est compliqué hein ?). Bref Cinna veut venger son aïeul, et rétablir le seul régime politique acceptable à sons sens : la République.
A sa tête aussi Émilie, fille du tuteur d’Auguste que ce dernier proscrivit jadis, adoptée par ce même Auguste dans un mouvement de… clémence ? Ruse politique ? Bref elle veut venger son père.
Et bien sûr Émilie et Cinna s’aime d’un amour tendre, ou plutôt très tendu ; car elle ne se donnera à Cinna que lorsqu’il aura porté le coup fatal. Lui a donc double intérêt à supprimer le divin prince.
Et j’en oublierai presque la troisième tête du complot, Maxime, conseiller d’Auguste aussi, ami de Cinna, amoureux de la République, amoureux en secret d’Émilie mais ignorant le lien de la jeune fille avec Cinna.

La conjuration est bien avancée quand, coup de théâtre (normal, au théâtre), Auguste avoue à ses conseillers qu’il envisage de rendre son tablier de lui-même et de rétablir la République. Mais il veut l’avis de ses conseillers car il a peur de faire une boulette.
Vous pensez que les conjurés vont crier hourrah ? Pensez-donc ! Si Auguste renonce au trône, plus aucune chance pour Cinna de pécho Émilie. Donc il va conseiller le maintien au pouvoir, et s’opposer à Maxime qui ne comprend rien au revirement de son ami. Mais d’un autre côté, Cinna est déboussolé par l’attitude d’Auguste. Se pourrait-il qu’il y ait de la grandeur en cet homme ? Déchirement insupportable !

Mais Auguste finit par apprendre le complot (et Maxime y est pour quelque chose). Étonnement, coup de fatigue (« tout le monde veut me tuer alors que je me tue à la tâche, ras-le-bol, ils n’ont qu’à le faire »), reprise d’esprit, volonté d’écorcher les conjurés, discussion avec l’impératrice Livie qui suggère la clémence comme plus profitable à long terme (on est loin de la Livie implacable et calculatrice de la série britannique Moi, Claude, Empereur), hésitation.

Au final Auguste convoque tout le monde et annonce qu’il sait. Et eux savent qu’il sait. Et chaque conjuré de faire acte d’honneur romantique : « tuez-moi, je le mérite, je resterai droit dans mes bottes ».
Mais non, Auguste absout tout le monde… et tout le monde tombe la gueule la terre. Mais qu’est-ce qu’il est sympa cet Auguste finalement. FIN !

Bon, c’était long mais je n’ai pas résisté à vous raconter la pièce. Dans le tas je trouve qu’il y a du très bon et du moins bon. L’entremêlement de la politique et de l’amour et les (in)actions et (in)décisions qu’il implique sont délicieux. Le choix final de la clémence, imposé par l’Histoire, permet aussi de magnifier le régime de monarchie absolue vers lequel la France s’engage et Corneille ne l’ignore pas. Il fait un acte courtisan avec cette pièce, et j’apprécie beaucoup cette intelligence. Et puis il y a la beauté des vers, musique céleste véritable.

Cependant la pièce contient trop de monologues d’une longueur infinie, justifiée je suppose par la description précise des atermoiements des personnages. Ça n’en finit pas. Ça endort. Je préfère largement les échanges dialogués de type ping-pong. Question de rythme. D’autre part le revirement des conjurés suite à l’annonce de la clémence d’Auguste est peu crédible. Des haines qui ont grandi des décennies se transforment en admiration en même pas une seconde. Il aurait été plus sage d’ajouter, incrédulité, rejet, incompréhension, peut-être avec de nouveaux monologues (gulp !).

Enfin l’édition du Livre de Poche que j’ai lue recouvre la pièce de notes de bas de pages explicatives, qui deviennent des notes de demi-pages, privilégiant l’explication instantanée à la mélodie des vers, la raison à l’émotion. Et, pour une fois, je le regrette.
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2ème tragédie romaine après "Horace", Cinna est à la fois grandiose et déroutante. Grandiose parce qu'elle est parfaite: le "grand Corneille" frappe fort. Après la longue querelle du Cid, il veut cette fois plaire aux spectateurs et aux doctes. Ainsi, cette tragédie régulière l'est par tous les aspects: les 3 unités sont respectées, la vraisemblance, le principe de catharsis...tout y est. 5 actes, 5 à 6 scènes chacun...Corneille pousse même jusqu'à accorder à chacun des actes un nombre quasi identique de vers.
Déroutante, car dans cette tragédie, il n'y a pas de sang, pas de mort... Rappelons avant tout l'intrigue: Emilie, fille adoptive de l'empereur Auguste, souhaite faire assassiner ce dernier car il est responsable de la mort de son père. Elle demande à Cinna, son amant mais aussi favori de l'empereur, d'accomplir cette tâche mais Auguste va être mis au courant de la trahison.
Le titre initial de la pièce était "Cinna ou la clémence d'Auguste". Ainsi, les 2 personnages éponymes étaient d'emblée mis en valeur: Cinna, celui qui voulait tuer et Auguste, celui qui va pardonner.
Durant toute la pièce, le lecteur ou le spectateur est tendu: la question n'est jamais de savoir si la tentative d'assassinat fonctionnera mais bien de connaître la réaction d'Auguste face à une telle nouvelle: fera-t-il exécuter Cinna et ses complices?Corneille joue avec nos nerfs en attendant le dernier acte, la dernière scène et presque les derniers vers pour présenter son coup de théâtre: l'empereur, sur les conseils de sa femme Livie, ne punira pas son favori, au contraire il l'unira à Emilie, la femme qu'il aime, instigatrice de toute l'affaire.
Le meurtre, selon Corneille, n'est pas forcément nécessaire, et la nécessité est ce qui doit guider le dramaturge. Ce qui importe, c'est que l'action soit complète, que le spectateur ne se pose plus aucune question en quittant le théâtre.
Dans cette pièce, finalement, le héros est davantage Auguste. Son geste le hisse au rang d'empereur légitime, il n'est plus le tyran qui régnait par la violence.
La beauté d'un geste qui rétablit l'ordre politique et calme les sentiments personnels, le voilà le dénouement éclatant de cette pièce.
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Citations et extraits (65) Voir plus Ajouter une citation
Il m'échappe, suivons, et forçons-le de voir
Qu'il peut en faisant grâce affermir son pouvoir,
Et qu'enfin la clémence est la plus belle marque
Qui fasse à l'Univers connaître un vrai Monarque.
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Sylla(*) m'a précédé dans ce pouvoir suprême ;
Le grand César, mon père, en a joui de même ;
D'un œil si différent tous deux l'ont regardé,
Que l'un s'en est démis et l'autre l'a gardé ;
Mais l'un, cruel, barbare, est mort aimé, tranquille,
Comme un bon citoyen dans le sein de sa ville ;
L'autre, tout débonnaire, au milieu du Sénat
A vu trancher ses jours par un assassinat.
Ces exemples récents suffiraient pour m'instruire,
Si par l'exemple seul on se devait conduire :
L'un m'invite à le suivre, et l'autre me fait peur ;
Mais l'exemple souvent n'est qu'un miroir trompeur,
Et l'ordre du destin qui gêne nos pensées
N'est pas toujours écrit dans les choses passées :
Quelquefois l'un se brise où l'autre s'est sauvé,
Et pas où l'un périt un autre est conservé.

(Auguste, acte II)

(*) Sylla conquit le pouvoir par la force de ses légions, contre Marius, exerça un pouvoir tyrannique de 82 à 79 av. J.-C. puis abdiqua.
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C'en est trop, Émilie: arrête, et considère
Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton père:
Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur,
Fut un crime d'Octave, et non de l'Empereur.
Tous ces crimes d’État qu'on fait pour la couronne,
Le Ciel nous en absout alors qu'il nous la donne ;
Et dans le sacré rang où sa fureur l'a mis,
Le passé devient juste et l'avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable ;
Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable ;
Nous lui devons nos biens, nos jours sont en sa main,
Et jamais on n'a droit sur ceux du souverain.

(Livie, acte V)
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Impatients désirs d'une illustre vengeance
Dont la mort de mon père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,
Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire ;
Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l'état où je suis,
Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire,
Et que vous reprochez à ma triste mémoire
Que par sa propre main mon père massacré
Du trône où je le vois fait le premier degré ;
Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine, et l'effet de sa rage,
Je m'abandonne toute à vos ardents transports,
Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts.
Au milieu toutefois d'une fureur si juste,
J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste,
Et je sens refroidir ce bouillant mouvement
Quand il faut, pour le suivre, exposer mon amant
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Considérez d'ailleurs que vous régnez dans Rome,
Où; de quelque façon que votre cour vous nomme,
On hait la monarchie ; et le nom d'empereur,
Cachant celui de roi, ne fait pas moins d'horreur.
Ils passent pour tyran quiconque s'y fait maître ;
Qui le sert, pour esclave, et qui l'aime, pour traître ;
Qui le souffre a le cœur lâche, mol, abattu,
Et pour s'en affranchir tout s'appelle vertu.

(Maxime, acte II)
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Lecture par l'auteur
Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos
« Ce livre est un ensemble de nouvelles autobiographiques, classées par âge de la vie, de la petite enfance à aujourd'hui. Ces nouvelles sont souvent, pas toujours, des mésaventures dans lesquelles j'éprouve peur et honte, qui me sont assez naturelles et me donnent paradoxalement l'énergie d'écrire. Scènes de gêne ou de honte, scènes de culpabilité, scènes chargées de remords et de ridicule, mais aussi scènes, plus rares forcément, de pur bonheur, comme celle qui donne son nom au livre, Célidan disparu : personnage à la fois pusillanime et enflammé d'une pièce de Corneille que j'ai jouée à mes débuts d'acteur, dont je découvris lors de l'audition pour l'obtenir, qu'il me révélait à moi-même, et faisait de moi un acteur heureux. »
Denis Podalydès
À lire – Denis Podalydès, Célidan disparu, Mercure de France, 2022.
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