AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,69

sur 697 notes
5
14 avis
4
21 avis
3
10 avis
2
1 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Vous savez tous que Pierre Corneille avait fait un long voyage aux Antilles avant d'écrire Horace et c'est sur place, en sirotant un ti-punch en joyeuse compagnie, qu'il recueillit un dicton populaire local, qu'il a, par la suite, quelque peu remanié pour coller au plus près du sujet de sa pièce. Il nous faut donc remercier les Antilles et le ti-punch pour cette remarquable contribution à l'histoire littéraire nationale. le dicton en question est toujours en vigueur ici ou là et je vous en donne la meilleure traduction possible :
« Rhum, l'unique objet de mes bons sentiments !
Rhum, lequel vient mon bras de verser franchement !
Rhum qui m'a vu ivre, et que mon corps adore !
Rhum enfin que je bois dès qu'il se colore ! »

Bon, trêve de plaisanterie, Horace est une pièce qui a compté plus que tout autre dans mon devenir de lectrice.
En effet, contrairement à beaucoup d'entre-vous sur le site, je n'ai pas toujours été une amoureuse de lecture, et assurément pas depuis ma plus tendre enfance. J'avais certes soif de découvertes, mais ma curiosité allait surtout vers les sciences et l'histoire-géographie. La littérature me laissait complètement indifférente et, pour être tout-à-fait exacte, elle m'ennuyait cordialement. À telle enseigne que je redoutais les lectures imposées, que je ne terminais, pour ainsi dire, jamais.
C'est en classe de troisième que ma professeur de français m'imposa, de son doigt inquisiteur et démoniaque pointé sur le bout de mon nez réfractaire, la lecture d'Horace. Ma réaction fut quelque peu disproportionnée puisqu'en grand secret, mais fermement, je décidai, je me jurai même, de ne jamais lire cette vieillerie qui devait sentir bien fort la naphtaline, coincée qu'elle était au fin fond d'un coffre humide, plus sombre que l'âme ténébreuse de Judas et que plus grand monde ne devait ouvrir. Ma résolution semblait prise et irrévocable.
Je ne sais par quel sortilège, probablement histoire de faire moindrement illusion, je me risquai à lire les quelques premières pages, avec la ferme intention de m'arrêter très vite et de ne pas perdre mon temps dans cette lecture inutile.
Or, à mon grand étonnement, je me suis surprise à aimer. Beaucoup, même ! Énormément, même ! Pierre Corneille venait de réussir le tour de force de sortir de l'obscurantisme et de l'ignorance une petite ado merdeuse de quinze ans tout juste, d'entrebâiller irrémédiablement la porte qui conduit à l'amour de la littérature, ou du moins d'en faire sauter le verrou. Balzac y mit un coup d'épaule, Hugo la poussa en grand et Laclos alluma la lumière. Les trois mousquetaires avaient fait leur apparition, mais c'est bien lui mon petit D Artagnan, cette fine lame de Corneille, qui en fut le déclencheur avec cet Horace de malheur. Merci Pierre Corneille pour ce que vous fîtes et me procurâtes, à l'époque, et à jamais.

Il faut probablement qu'à ce stade je vous entretienne au moins un peu de la pièce elle-même. Alors songez, vous êtes à Rome, pas de cette Rome impériale et présomptueuse, qui de son glaive ardent domine la Méditerranée et même un peu plus loin. Non, Rome n'est encore qu'une cité-état, qui a tout à prouver et tout à plier sous son coude imposant, à commencer par la cité voisine d'Albe (aujourd'hui Castel Gandolfo), dont les fondateurs légendaires de Rome, les jumeaux de la louve, sont issus.
Les deux cités soeurs, imbriquées l'une dans l'autre par d'innombrables liens familiaux et conjugaux, n'en peuvent plus de ne point savoir laquelle domine l'autre et c'est donc à la guerre qu'il se faut résoudre. Non moins braves d'un côté que de l'autre c'est tout de même avec un lourd pincement au coeur que les combattants forment leurs rangs, découvrant dans la rangée d'en face un beau-frère, un cousin ou son meilleur ami.
Sur le point d'engager une lutte fratricide, il est finalement décidé qu'il n'était point besoin de verser tout ce sang, mais qu'on pouvait jouer le destin des deux fougueux voisins, non pas vraiment aux dés, mais à l'épée de certains. Trois chez les Romains, trois chez les Albains. Les rois respectifs et leurs états-majors doivent donc désigner lesquels parmi tant de vaillants soldats sont dignes de se battre pour la domination ou pour l'asservissement. L'issue du combat règlera le destin des deux états voisins.
Pour Rome, ce seront les trois frères Horace qui combattront, pour Albe, les trois frères Curiace. Horace et Curiace sont les meilleurs amis du monde, et plus encore, ils ont chacun une soeur qui est l'épouse de l'autre. Camille, soeur d'Horace, est l'épouse de Curiace et Sabine, soeur de Curiace est la femme d'Horace.
Corneille dresse un tableau parfaitement symétrique et croisé, mais applique à ses protagonistes des profils psychologiques variés qu'il est très intéressant de comparer. de force et de vaillance égale, Horace et Curiace diffèrent néanmoins sensiblement : Curiace est animé de sentiments humains et se retrouve en proie à des hésitations cruelles et à un cas de conscience par cette situation qu'il n'a pas voulu. Horace, lui, bien qu'embêté de devoir s'en prendre à Curiace place avant tout son devoir et sa mission vis-à-vis de sa cité.
Même chose pour les soeurs, qui dans le même cas devraient éprouver des sentiments comparables. Or, Sabine est toujours animée par un espoir d'arrangement tandis que Camille ne se fait aucune illusion et est déjà convaincue et résignée à son malheur.
Le message de l'auteur semble clair, celui qui vainc est l'inhumain, celle qui a raison est la désespérée. Outre ce constat, les ressorts de la tragédie sont étirés à bloc, comme aux plus belles heures des tragédiens grecs, et s'achèvent non sur le point d'orgue du quatrième acte mais sur la réflexion du cinquième.
Le mot de la fin du roi Tulle me laisse toujours assez songeuse. Quel est le sens profond de cette tragédie ? Est-ce que la mort et le sacrifice de soi pour son pays revêtent toujours un petit quelque chose d'inutile et de vain ? Est-ce que l'opinion publique est bien ingrate et qu'elle oublie trop vite les brillantes actions d'un homme pour se focaliser sur ses errances ? Est-ce que seuls les êtres supérieurs sont capables de juger des actes et des éventuels châtiments car la frénésie des foules ne lui dit rien qui vaille ? je me pose encore ces questions sans y trouver de réponse, si ce n'est un certain désabusement de l'auteur.
D'ailleurs est-ce vraiment d'Horace qu'il parle ou de lui-même, lorsqu'il met son héros aux prises avec les réactions de la foule et sous l'arbitrage royal ? il y a fort à parier que sous un habit romain se cache une petite corneille au noir plumage...
Il me reste encore à glisser deux ou trois mots sur ce qui fait le plus grand intérêt de cette tragédie, à savoir, la forme.
Quelle rythmique sensationnelle ! À quels plus hauts sommets a déjà été hissée la langue française qu'à ceux de la tragédie du XVIIè siècle sous la plume de Racine et Corneille ?
C'est un bonheur que de lire une telle écriture, une telle cadence magique, un grand moment, qui justifie presque de le lire à voix haute tellement c'est beau, tellement ça sonne bien et tellement cet homme-là maniait grand l'alexandrin.
Pour finir, comme Sabine, comme Camille, faites un choix cornélien, d'Horace, lire ou ne pas lire, et lui trouver sa place, au risque d'à jamais en porter les stigmates et les traces. En outre, d'un verbe sans pareil, vous n'en pouvez pâtir, mais c'est là mon avis, bien peu, à vrai dire.
Commenter  J’apprécie          10213
Rome et Albe, les soeurs ennemies, sont en guerre pour décider laquelle est supérieure et maîtresse de l'autre. Alors qu'elles s'apprêtent pour la bataille finale qui engendrera morts et désespoir des deux côtés, le roi d'Albe propose de résoudre la question tout en limitant les dégâts : un affrontement de champions. Mais le tragique du carnage annoncé se métamorphose en tragique familial, car les champions choisis – les trois Horace pour Rome et les trois Curiace pour Albe – sont liés par des liens d'amour et de mariage : Horace est marié à Sabine, soeur de Curiace, et Curiace est fiancé à Camille, soeur d'Horace. Les règles de l'honneur et l'amour de la Patrie l'emporte chez les hommes au grand désespoir des femmes ; l'affrontement est sans pitié, indécis, avec rebondissement. Au final Horace, mari de Sabine, demeure seul en vie et Rome est vainqueur. Dominée par le chagrin et l'envie de vengeance, Camille rejette Rome qui la prive de son bonheur. Horace n'accepte pas cette trahison et la tue. le dernier acte conte le procès de cet homme qui apporte gloire à sa cité mais est aussi criminel. Son premier geste prévaut-il sur le second ? Tulle, le roi de Rome, décide que oui, car la raison de l'État ne peut que prévaloir devant l'injustice d'un crime de sang.
Il s'agit de la première vraie tragédie de Corneille, décrivant une situation qui justifie magnifiquement la création de l'adjectif « cornélien ». Les personnages sont déchirés entre amour et honneur, entre loyauté envers leur moitié et loyauté envers leur patrie. Chacun se détermine différemment devant ce choix. Horace est un bloc de gloire guerrière et de patriotisme à l'état brut, Curiace accepte aussi la primauté de l'honneur mais contraint et forcé, regrettant de devoir affronter son beau-frère. Camille n'a de cesse d'essayer de les dissuader et, quand son amour est détruit, rejette entièrement sa patrie. Sabine geint, dépassée par les évènements et la force de caractère des trois autres, elle tente à plusieurs reprises et sans succès d'élever son héroïsme au niveau de celui des autres.
L'édition du Livre de Poche est riche d'un commentaire détaillé sur la pièce. On apprend les diverses interprétations du comportement des acteurs qui ont dominé au cours des temps. Mais il ne faut pas le considérer comme un jugement définitivement cristallisé. L'apport majeur de cette pièce est en effet la réflexion qu'elle induit chez la personne qui la lit. Et cette réflexion ne peut être, ne doit être que multiforme. le meurtre de Camille par son frère Horace est probablement le sujet de réflexion le plus riche. Corneille n'a pas inventé cet acte, il s'est inspiré de l'histoire racontée par Tite-Live. Dès la sortie de la pièce les critiques ont désapprouvé ce geste qui tâche la gloire naissante du héros. Longtemps il a imposé Horace comme une simple brute. Alain Couprie, le commentateur de l'édition Livre de Poche, s'oppose à cette interprétation, note nombre d'interventions d'Horace qui traduisent sa douleur profonde de la situation mais aussi son comportement de samouraï qui efface tout hormis la gloire et le service à la patrie dans l'apparence qu'il présente aux autres. Pour Couprie, le meurtre de Camille n'est que le prolongement raisonné de l'élimination de toutes les menaces envers Rome, au nom de la Raison d'État (vision qui soit dit en passant a dû plaire au Cardinal de Richelieu à qui la pièce est dédiée). Je ne le suis pas entièrement sur ce terrain. Horace m'est apparu effectivement comme un samouraï soumis à l'honneur, mais je vois le meurtre de Camille comme un geste inspiré par l'émotion de l'instant. Il vient de faire triompher Rome, la gloire éternelle lui est acquise, il est dévoré par ce sentiment jouissif et il est certain d'incarner en cet instant la justice divine. En cet instant il est au-dessus du Roi, il n'est plus soumis aux lois des hommes. Camille a alors le malheur de menacer Rome. Dans son état d'esprit Horace ne voit plus sa soeur mais seulement un autre Curiace, un autre obstacle à Rome qu'il incarne et qu'en tant qu'incarnation de la Justice il élimine d'un geste.
Je m'arrête là. On pourrait écrire un livre avec les impressions et les réflexions que peuvent inspirer la pièce et ses commentaires mais vous devez déjà être lassés de mes élucubrations.
Lisez-là. Faites-vous votre propre opinion.
Commenter  J’apprécie          512
L'héroïsme cornélien apparaît dans cette tragédie d'inspiration romaine sous sa meilleure représentation. Il faut avouer qu'autrefois, on aimait cette manière si héroïque de mener une guerre, en choisissant un ou trois guerriers de chaque clan. Ces braves s'entretuent avec altruisme et abnégation pour la gloire de la patrie faisant preuve de courage et de patriotisme.

Je ne sais pas, mais on aime toujours voir ce genre de combat ou de duel. Rappelez-vous ceux dans le film de "Troie" avec Brad Pitt par exemple. Ici, on les décrit puisqu'on ne peut les présenter sur scène suivant les règles de bienséance. Il est vrai aussi que ces règles classiques limitaient beaucoup la liberté des dramaturges de l'époque. Mais pour Corneille, c'était un défi qu'il devait absolument affronter et réussir après la célèbre querelle du "Cid".

L'intrigue romaine renvoie aussi à ce conflit franco-espagnole où la reine de France affronte son frère le roi d'Espagne et où le roi de la France et frère de la reine d'Espagne ! Curiace et Sabine ; Horace et Camille ! Mais bref, laissons de côté cette page d'Histoire, et concentrons-nous sur cette tragédie.

En plus de cette histoire de duel décisif pour la victoire d'un clan, dont j'ai parlé au début, il y a dans cette tragédie cette affaire d'amours conflictuelles où deux personnes originaires de deux familles ennemies s'aiment. le sujet même de "Romeo et Juliette" de notre cher Shakespeare. Sujet, d'ailleurs, qui a inspiré tant de romans et de films.

Finalement, j'aimerai attirer l'attention sur un point, que je vois important, concernant le dernier acte qui paraît un peu étrange. Rappelons que lors du quatrième acte, on est devant un sommet du tragique et un exemple extraordinaire de coup de théâtre grâce aux exploits du brave Horace. Ce dernier a mené jusqu'au bout son abnégation en sacrifiant tout pour sa patrie, même sa soeur ! Ce surhomme qui se croit tout permis pour la réalisation d'un projet si grand ! Alors, après ce grand spectacle, on doit assister au cinquième acte où on recommande le jugement de ce criminel, c'est d'ailleurs ce que demande un soupirant de la soeur d'Horace. Mais voilà que le roi doit intervenir pour donner sa grâce et montrer sa générosité. Mais est-ce là un message de Corneille que malgré les prouesses des héros, on se rappelle toujours du dernier mot ; celui du roi ? Peut-être !
Commenter  J’apprécie          460
C'est mon ado qui a attiré mon attention sur cette pièce que je lui ai emprunté pour l'occasion. C'est le premier texte que je lis de Corneille et franchement, j'ai adoré.

J'avoue que je ne connaissais pas l'histoire des Horaces et des Curiaces ni même entendu parler du roi Tulle (3ème roi légendaire de Rome selon Wikipédia). Qu'importe.

Un duel est organisé entre les Horaces (Romains) et les Curiaces (Albiens) pour déterminer laquelle des deux villes se soumettra à l'autre. le problème est que Horace est l'époux de Sabine qui est la soeur des Curiaces. Camille, la soeur d'Horace, est fiancée à un Curiace.

Les hommes prennent le parti de défendre leur honneur et leur patrie. Les femmes sont déchirées entre l'amour qu'elles portent à leurs frères et à leur (futur) époux. Cela ne peut que mal finir.

Un texte fort et émouvant. J'aimerais beaucoup voir cette pièce au théâtre un de ces jours.




Challenge temps modernes 2023
Commenter  J’apprécie          356
Rome et Albe sont en guerre. Qui sortira victorieux de ce combat ? Pour les départager 3 combattants de chaque camp sont désignés. Mais ces villes sont liés historiquement et des frères et soeurs de retrouvent dans les 2 camps suite aux mariages.
Cette pièce met donc en exergue le fameux choix cornélien : choisir entre amour et loyauté envers son pays.

Décimer tout un pays signifie tuer sa propre famille. Cette pièce met en avant le héros romain prêt à tuer sa soeur si celle ci est dans le camp adverse pour la gloire de son pays.

Cette pièce étant jouée pour Richelieu, on ne peut que supposer que l'acquittement d'Horace à du le satisfaire.

J'ai apprécié cette pièce, riche en sentiments. On déteste, on s'attriste, on espère et on réfléchit à ces actes odieux que nous poussent à commettre un désir de gloire, une soif de pouvoir...
Commenter  J’apprécie          150
Les pièces à sujets antiques sont légion dans le théâtre classique (essentiellement Corneille et Racine), mais je trouve assez rares celles qui plongent dans l'histoire elle-même. Ce sont généralement les mythes que l'on reprend! Mais l'Histoire d'Horace et du conflit avec Albe est issu de l'Histoire de Rome de Tite-Live (Les Origines de Rome, "Règne de Tullus Hostilius").
J'aime tout particulièrement la période royale de Rome, je ne saurais dire pourquoi (Le mythe de sa fondation? Les peintures?). L'histoire du combat quasi fratricide des Horaces et des Curiaces est une de mes préférées (la pièce de Corneille n'est pas étrangère à cet avis...).
L'un des frères Horaces a épousé Sabine, soeur des frères Curiace, à l'un desquels Camille, soeur d'Horace, est promise. Albe et Rome, pour départager définitivement leurs deux cités et gageant que la cité victorieuse dominera l'autre, sélectionnent leurs meilleurs guerriers pour s'affronter dans un combat à mort. Et c'est là que se noue la tragédie : les Horaces affronteront les Curiaces, leurs deux familles étant liées par l'hymen et l'amour (comme, il est dit, de nombreuses familles qui ont noué des liens de la même nature). Si pour les guerriers le choix se résume à l'honneur ou la mort, il n'en est pas de même pour les femmes - qui, rappelons-le, étaient le motif initial des conflits entre les deux cités. En effet, pour elles la question qui se pose est : "lequel, de notre frère ou de notre amant/mari nous faudra-t-il haïr ou pleurer?" quelle que soit l'issue du combat, Sabine et (surtout) Camille auront une raison de s'affliger, et c'est bien l'affliction et le chagrin qui prennent le pas sur le soulagement pour le survivant (Horace).
Ainsi Camille, pleurant son amant trop tôt perdu, maudissant Rome et son frère victorieux, est punie de sa "trahison" de la main même de son frère, qui devient la main de Rome.
A mon sens, Camille est la véritable héroïne tragique de cette pièce, elle expie son péché dans la mort comme Phèdre, mais son sort inspire la pitié car son chagrin est palpable et compris. L'honneur "vainc" la passion, en quelque sorte (je m'égare dans une analyse personnelle, en aucun cas je ne la pose comme absolue). le cas d'Horace est troublant : de héros il passe à meurtrier, et son jugement est difficile : sauveur de Rome et meurtrier de sa soeur. Au fond j'ai le sentiment que ce bilan est celui de son combat lui-même : en combattant pour sa cité, il combat contre ses frères par alliance, il est pris entre le crime et l'acte héroïque, et son honneur le condamne.

Je ne m'étends pas davantage, mes capacités de compréhension s'arrêtent là. Encore une fois, cet avis n'est que le mien, et j'ai adoré cette pièce. Je la recommande vivement!
Commenter  J’apprécie          114
J'ai entendu un metteur en scène contemporain signaler que les pièces de Corneille à vendetta, crimes d'honneur, duels et meurtres de femmes devenaient de plus en plus intelligibles aujourd'hui, car notre réalité sociale retrouve des moeurs plus violentes et primitives, avec le retrait de l'état et de la loi. La loi et l'état romains, dans Horace, ne sont rien ou presque : il s'agit de les sauver contre des ennemis, les voisins d'Albe, la cité d'à-côté, et cela se règle non par la guerre légale, mais par des combats singuliers. Rien ne manque, pas même le "capo", le vieux chef de famille qui motive, bénit ou maudit ses fils à la mesure où ils se montrent des hommes. Et si une fille de la famille Horace ose pleurer la mort d'un ennemi qu'elle a par ailleurs épousé, elle doit mourir. Ainsi, la progressive barbarisation de nos vies et de notre monde vient au secours des plus grands classiques.
Commenter  J’apprécie          100
Dans mon jeune temps, on apprenait l'Histoire romaine en classe de 5ème. C'est là que j'ai fait connaissance pour la première fois avec les Voraces et les Coriaces. Oui, c'est ainsi qu'on appelait ces icônes de l'Antiquité, aux côtés de Romulus et Rémus, Mucius Scaevola ou Cincinnatus (et autres joyeux drilles). Je ne savais pas encore qu'Horace, puisqu'il faut l'appeler par son (vrai) nom, avait été mis en pièce (façon de parler) par Corneille, puisque je n'ai découvert cet auteur que l'année suivante en étudiant « le Cid » (une révélation).
« Horace », je ne l'ai jamais étudié en classe, ni vu en spectacle, je n'ai fait que lire la pièce. Mais c'est déjà beaucoup : on a toujours intérêt à lire dans le texte les oeuvres théâtrales, d'abord pour en approfondir le sens, ensuite pour apprécier le style de l'auteur, la composition de l'oeuvre ou la beauté de l'écriture, enfin pour compléter avec les didascalies distillées par le dramaturge la réception de la pièce.
Corneille, c'est un style particulier, tout fait en formules qui claironnent en se frottant les unes aux autres, un style qui a du charme souvent, parce qu'il fait passer dans ses vers de très belles choses, mais qui souffre parfois d'une certaine emphase qui nuit un peu à l'émotion, bref un style « théâtral » qui crée une certaine distance entre les acteurs et le spectateur, alors que Racine, au contraire, raccourcit cette distance, en faisant participer le spectateur plus « émotionnellement ».
L'histoire, vous la connaissez : c'est la guerre entre Rome et sa voisine Albe. Sabine, albaine, est la femme d'Horace, romain. Camille la soeur d'Horace, romaine, donc, est fiancée à Curiace, albain. Dans le combat, Horace fait semblant de fuir (ce qui lui vaut une accusation de traîtrise de la part de son père le vieil Horace) mais c'est pour mieux éliminer ses adversaires. Rome, un, Albe, zéro. le vieil Horace est content, mais Camille, bien que romaine, se retourne contre sa mère patrie. Horace, tout auréolé de sa gloire récente, la tue en pensant faire un acte de justice. Sa femme, Sabine, lui demande de la tuer à son tour. Là, Horace commence à se demander s'il n'est pas allé un peu trop loin. le roi Tulle (à ne pas confondre avec le roi « de » Tulle) doit trancher.
C'est donc une tragédie. Les conflits sont multiples : le conflit patriotique entre les deux cités ; le conflit sentimental entre les quatre protagonistes, le conflit parental avec le vieil Horace, et le conflit politique du roi Tulle, obligé de trancher entre la gloire de la victoire romaine et le châtiment d'un crime. Il aime ça, Corneille, les affrontements, les états d'âme qui fluctuent entre le coeur et la raison, entre les sentiments et les intérêts, entre la gloire et l'amour (autant de thèmes qu'on retrouvera dans d'autres pièces, à commencer par « le Cid » ou « Cinna ») ; il aime ça et multiplie les formules qui font mouche :
La déception du vieil Horace (Acte III, scène 6)

JULIE :
Que voulez-vous qu'il fît contre trois?
LE VIEIL HORACE: :
Qu'il mourût!
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.

La douleur de Camille (acte IV, scène 4)

Et son imprécation (acte IV, scène 5)
CAMILLE :
Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton coeur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Dans cette pièce, Camille a un très beau rôle, un des plus beaux du théâtre classique
« Horace » est avec « le Cid », « Cinna » et « Polyeucte » un des chefs-d'oeuvre de Corneille. Dommage qu'on ne le joue plus souvent. En attendant, sur le site de la Comédie-Française, on peut trouver le dvd d'une captation de 1972, mise en scène de Jean-Pierre Miquel, réalisation d'Olivier Ricard, avec les interprètes de la troupe de la Comédie-Française : Michel Etcheverry (le vieil Horace) ; Simon Eine (Tulle, roi de Rome) ; Jean-Noël Sissia (Valère) ; François Beaulieu (Horace) ; Nicolas Silberg (Flavian) ; Jean-Luc Boutté (Curiace) ; Claude Winter (Julie) ; Christine Fersen (Sabine) ; Ludmila Mikaël (Camille) ; Gérard Douheret (Procule).


Commenter  J’apprécie          93
Du tragique à l'état pur et un lyrisme dans l'écriture... C'est vraiment une grande oeuvre, poignante, cruelle. Des sentiments typiques des héros cornéliens : ils font ce qu'ils doivent et non ce qu'ils se doivent. Leur sens de l'honneur est au-dessus de tout. C'est admirable mais en même temps très dur et on serait tenté de ne point souscrire au jugement du roi, même si comme il le souligne les grands hommes sont bien souvent au-dessus des lois.
Commenter  J’apprécie          70
La pièce de théâtre est inspirée du combat entre les Horaces et les Curiaces. Second succès de Corneille après le Cid, elle est une réponse aux contradicteurs du Cid. Deux personnages prennent place dans cette tragédie : Horace, originaire de Rome et Curiace, servant Albe. Ceux-ci sont sommés de se battre pour défendre leur cité. Or Camille, maitresse de Curiace est la soeur d'Horace et Sabine aimant Horace est la soeur de Curiace. C'est donc un reflet de personnalité que ces deux profils qui se font face entre haine et amour.
Ainsi, quelle que soit l'issue du combat, le drame à venir va fatalement ravager les deux familles.

Cette tragédie est évidemment menée de main de maître sur un rythme soutenu et pesant. Les personnages sont tous liés et s'entrainent bien malgré eux sur la pente descendante. Comme toute pièce de théâtre, et en particulier comme toutes les oeuvres de Corneille, le style et les répliques sont cinglants. On assiste au spectacle impuissant et en espérant le miracle qui ne vient pas.
Commenter  J’apprécie          50




Lecteurs (3937) Voir plus




{* *}