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EAN : 9782012172722
86 pages
Hachette Livre BNF (01/04/2013)
3.8/5   5 notes
Résumé :
Tragédie.
Que lire après Pertharite, roy des Lombards - TragédieVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Sans doute jouée à la fin de l'année 1651, publiée en 1653, cette pièce est peut être le plus grand échec de Corneille. Au point que suite à son manque de succès, il a envisagé d'abandonner définitivement le théâtre. Même s'il est revenu sur cette décision, il attendra 1659 pour faire représenter une nouvelle pièce, Oedipe. Lors de la première publication, il accompagne son oeuvre d'une sorte de testament littéraire. Il y écrit notamment « […] je laisse le théâtre français en meilleur état que je ne l'ai trouvé et du côté de l'art, et du côté des moeurs » .

Corneille donne deux sources historiques à sa pièce : un ouvrage de Paul Diacre (moine bénédictin et historien du VIIIe siècle) et un texte d'Erycius Puteanus (un humaniste néerlandais). D'après ces sources, le roi de Lombardie, Pertharite (nous sommes au VIIe siècle), a été détrôné par un usurpateur, Grimoald. Pertharite s'est enfui, mais chassé de chez les Huns il revient demander la clémence de Grimoald. Qui après lui avoir fait grâce, face à la sympathie du peuple, projette son assassinat. Pertharite est prévenu et aidé dans sa fuite.

Corneille change énormément ces données de départ. Dans sa pièce, Grimoald règne, Pertharite est donné pour mort. Pour donner de la légitimité à sa royauté, Grimoald souhaite épouser Rodelinde, la femme de Pertharite. Cette dernière s'y oppose avec une farouche détermination. Garibalde, un duc intriguant, donne des conseils pervers à son roi, il finit par menacer Rodelinde de mettre à mort son fils si elle ne consent pas au mariage. Rodelinde réagit d'une façon que des deux hommes n'envisageaient pas : elle met Grimoald au défi de tuer l'enfant, mettant ainsi en évidence sa nature de tyran, lui qui jusqu'à maintenant régnait en souverain juste. Un coup de théâtre va se produire : Pertharite que l'on croyait mort, revient, il se déclare prêt à abandonner ses droits à la couronne à condition qu'on lui rende sa femme. Grimoald après avoir refusé de reconnaître l'identité de Pertharite, traité comme un imposteur, finit par le reconnaître et lui rendre la couronne. Il convolera avec Edüige, soeur de Pertharite, et régnera, d'une façon complètement légitime sur une partie de la Lombardie.

Encore une fois, Corneille expérimente un schéma dramatique inédit. Dans cette pièce, « le premier acteur », malgré le titre de la pièce, est Grimoald, donc le tyran, qui aurait dû être l'ennemi du héros. En tant que personnage principal, il doit garder les mains pures, d'après les règles que Corneille s'est imposées, ce qui est quelque part paradoxal avec sa position d'usurpateur, Grimoald va incarner le paradigme de l'innocent coupable. C'est quelque part l'enchaînement des évènements qui a mis Grimoald dans la position d'être un tyran : il a servi son maître, Gunbert, en lutte contre son frère Pertharite. Gunbert lui a promis sa soeur Edüige en mariage. Après la mort de Gunbert et la mort supposée de Pertharite, Grimoald règne en bon monarque, devant les difficultés faites par Edüige il se tourne vers Rodelinde. C'est Garibalde, qui veut épouser Edüige et tuer ensuite Grimoald qui donne des mauvais conseils, contraires à l'équité à Grimoald. Et ce dernier, une fois Pertharite définitivement reconnu, lui abandonne le trône, gagnant ensuite, par son mariage avec Edüige, le droit de devenir un monarque véritable, de droit divin, en quelque sorte. Il est coupable par ignorance, ou par mauvais conseils, tout en restant innocent en intentions, ce qu'il démontre à la fin de la pièce.

C'est brillant, mais incontestablement déstabilisant pour le lecteur ou le spectateur. Que le personnage « positif » soit le tyran oblige à inverser l'échelle des valeurs. On peut faire une comparaison avec l'Andromaque de Racine (pièce postérieure, et peut-être en partie inspirée par Pertharite). Là aussi il y a un roi qui menace la femme qu'il veut épouser de tuer son fils, si elle n'accède pas à sa demande. Et cette dernière entend aussi rester fidèle à son mari défunt. Mais Andromaque se comporte d'une certaine façon comme on attendrait : elle se résout à épouser son persécuteur pour sauver son enfant, avec le projet de se suicider ensuite. Elle agit en quelque sorte en bonne mère, telle qu'on l'imagine, et aussi en femme qui cède devant la puissance masculine et royale, la seule échappatoire possible qui lui reste étant la mort. Elle respecte les stéréotypes et les attentes, provoque de la sympathie. Rodelinde au contraire, choque et fait peur : elle provoque Grimoald, le met au défi d'accomplir sa menace, et même lui propose de participer au meurtre de son enfant. On peut trouver plein de raisons à son attitude, comme de ne pas croire Grimoald capable de mettre sa menace à exécution, mais cela arrive dans un deuxième temps ; au départ on est confronté à cette femme qui a une attitude presque effrayante. Les personnages cornéliens sont d'une certaine façon moins confortables, plus déstabilisants, il faut que le lecteur ou spectateur fasse un travail pour les comprendre, qu'il sorte de ses schémas automatiques et rassurants.

La pièce montre à quel point Corneille s'inspirait très librement de l'histoire pour ses pièces, la comparaison entre les informations fournies par ses sources et la trame de la pièce est éclairante. Et la différence entre Corneille et ce que nous dit l'histoire maintenant est encore plus énorme. Corneille (et pour cause) n'évoque pas une question cruciale pour l'époque (VIIe siècle) : le conflit entre le catholicisme et l'arianisme, alors qu'il semblerait que ce soit une ligne de fracture entre Pertharite et Grimoald.


Challenge Théâtre 2017-2018
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La dynastie des Agilolfinges représentée par Pertharite et Gundebert régna sur la Lombardie au VIIe siècle. Corneille s'emmêle un peu les pinceaux lorsqu'il parle de Garibalde. En effet, Pertharite, qui a été défait, apprend que Grimoald est mort et que le pouvoir a été confié à son fils Garibald. Il n'est donc pas question du duc amoureux d'Edwige, ledit Garibald étant le fils de Grimoald et de Théodota, la fille d'Aripert. C'est pourtant simple, non !!! le fait que l'auteur jongle avec L Histoire est cependant secondaire, même le célèbre Shakespeare a versé dans ce travers en écrivant MacBeth. Des circonstances extérieures (Fronde) ont gêné le succès de la pièce à sa sortie. En fait, le climat de guerre civile régnant en Lombardie rappelait trop celui de notre pays durant la Fronde. Quant à la légitimité du pouvoir exercé par Grimoald (qualifié de tyran par ses détracteurs), cela sentait trop le soufre pour des courtisans habitués à ramper. Et dans notre monde consensuel, j'ai peur qu'il ne rencontre pas davantage de succès...
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
UNULPHE : Madame, achevez promptement :
Le roi, de plus en plus se rendant intraitable,
Mande vers lui ce prince, ou faux, ou véritable.
PERTHARITE : Adieu, puisqu'il le faut ; et croyez qu'un époux
A tous les sentiments qu'il doit avoir de vous.
Il voit tout votre amour et tout votre mérite ;
Et mourant sans regret, à regret il vous quitte.
RODELINDE : Adieu, puisqu'on m'y force ; et recevez ma foi
Que l'on me verra digne et de vous et de moi.
PERTHARITE : Ne vous exposez point au même précipice.
RODELINDE : Le ciel hait les tyrans, et nous fera justice.
PERTHARITE : Hélas ! S'il était juste, il vous aurait donné
Un plus puissant monarque, ou moins infortuné.

Acte IV, Scène 6.
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Vous pour qui je m'aveugle avec tant de lumières,
Si vous êtes sensible encore à mes prières,
Daignez servir de guide à mon aveuglement,
Et faites le destin d'un frère et d'un amant.
Mon amour de tous deux vous fait la souveraine :
Ordonnez-en vous-même, et prononcez en reine.
Je périrai content, et tout me sera doux,
Pourvu que vous croyiez que je suis tout à vous.
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Adieu, puisqu'il le faut ; et croyez qu'un époux
A tous les sentiments qu'il doit avoir de vous.
Il voit tout votre amour et tout votre mérite ;
Et mourant sans regret, à regret il vous quitte.
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Rodelinde
Le roi, qui connaissait ce qu'ils valaient tous deux, mourant entre leurs bras, fit ce partage entre eux :
il vit en Pertharite une âme trop royale pour ne pas lui laisser une fortune égale ; et vit en Gundebert un cœur assez abject pour ne mériter pas son frère pour sujet.
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Rodelinde (à Edwige)
J'aime en vous un soupçon qui vous sert de supplice :
s'il me fait quelque outrage, il m'en fait bien justice.
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Vidéo de Pierre Corneille
Lecture par l'auteur
Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos
« Ce livre est un ensemble de nouvelles autobiographiques, classées par âge de la vie, de la petite enfance à aujourd'hui. Ces nouvelles sont souvent, pas toujours, des mésaventures dans lesquelles j'éprouve peur et honte, qui me sont assez naturelles et me donnent paradoxalement l'énergie d'écrire. Scènes de gêne ou de honte, scènes de culpabilité, scènes chargées de remords et de ridicule, mais aussi scènes, plus rares forcément, de pur bonheur, comme celle qui donne son nom au livre, Célidan disparu : personnage à la fois pusillanime et enflammé d'une pièce de Corneille que j'ai jouée à mes débuts d'acteur, dont je découvris lors de l'audition pour l'obtenir, qu'il me révélait à moi-même, et faisait de moi un acteur heureux. »
Denis Podalydès
À lire – Denis Podalydès, Célidan disparu, Mercure de France, 2022.
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