Rosa, la narratrice, est née à Polop de la Marina, petite commune de la province d'Alicante en Espagne. Après la guerre civile, son père, Républicain, séjourne dans les geôles de Franco et, à sa libération, se voit contraint d'émigrer pour l'Algérie sans sa famille qui reste au pays.
Il faudra attendre les années 1950 pour que la famille soit à nouveau réunie. Rosa a dix ans.
Sortis de l'Espagne franquiste, où l'on imagine la vie d'une famille dont le père est passé par la case prison, les Cortés s'émerveillent de cette Algérie : « (…) il n'y a pas de tri, tous étaient admis à se présenter à la porte d'entrée de cet Eden (…) les souvenirs de la misère espagnole et des persécutions franquistes s'éloignaient et nous nous sentions légers dans notre nouveau cocon. ».
Le père est maçon, capable de prendre de « ses mains puissantes des matières inanimées et informes [pour les transformer en] « sols, murs, bancs, toits [qui] s'agençaient dans un ordre irréprochable» ; la mère joue de ses talents de couturière ; la grande soeur est vendeuse dans une boulangerie d'amis de ses parents eux aussi venus de Polop, ils sont « tous immergés dans des activités [qui les] tenaient éloignés de l'indigence et du chagrin. »
Pour ces nouveaux algérois, le petit appartement de Belcourt « était la « gloria », c'est à dire le paradis absolu. »
Rosa, curieuse de nature, découvre et explore Alger, cette « (…) ville imprévue [où] tout était insolite ». La langue d'abord, qu'il faut apprendre et maîtriser, l'école ensuite, « l'arôme entêtant du jasmin », ce « bleu du ciel », « l'âcre fumée des pots d'échappements », la mer proche, les « marchands de zlabias », les « crissements du tramway », « le voile immaculé des femmes arabes ». Un rien l'enchante. Tout l‘enchante.
Pour la petite fille, cet univers est un rêve dans une réalité qu'elle vit éveillée et en pleine conscience. L'auteure nous fait entendre la voix de Rosa, tour à tour, naïve, admirative, inquiète ou fantasque, elle rend à merveille le ressenti qui peut être celui d'une enfant de dix ans, portée par la liberté retrouvée de parents jouissant d'un bonheur nouveau jamais éprouvé.
L'équilibre entre le rêve de Rosa et la réalité de la situation en Algérie n'est pas encore rompu « Les accrochages dans les djebels entre « fellaghas » et militaires se déroulaient sur une autre planète. »
Pour l'heure Rosa aborde son entrée en 6ème, confrontée à son aversion pour les cours de gymnastique, surtout les séances de piscine et le grimper de corde…
L'auteure réussit à faire dialoguer l'enfant puis l'adolescente, submergée par son enchantement, et l'adulte qu'elle deviendra plus tard, celle qui se souvient, qui revit cet enchantement, mais le confronte à la réalité de la situation de l'Algérie telle qu'elle l'a analysée par la suite.
« La guerre était bien là, on ne pouvait plus l'ignorer, les larmes coulaient dans les deux camps, les gens avaient été fauchés dans les rues, à la sortie des bureaux, sans distinction d'appartenance raciale ou religieuse. »
Pourtant, à chaque fois, la vie reprend ses droits, scandée par une philosophie simple de parents qui croient au travail et en l'avenir : « C'est une chance et une joie, ma fille, d'être en bonne santé et de travailler. »
Les années passent et la famille s'installe dans une nouvelle maison, la mère devient cuisinière d'une institution religieuse, le père crée son entreprise de maçonnerie, tandis que Rosa poursuit sa découverte de la vie et de la ville, en compagnie de Viviane, puis d'Arlette.
Mais « Quel que fut le bout de la lorgnette par lequel on la regardait, l'Algérie glissait sur les chemins de la fatalité. » Chemins qui allaient emporter la famille de Rosa, cette famille « ni française, ni musulmane, ni pied-noire, ni arabe. (…) des émigrés espagnols ayant trouvé refuge sur une terre hospitalière. »
J'ai trouvé ce roman intéressant à plusieurs titres :
Il décrit l'histoire d'une famille d'immigration récente, 1950, qui trouve en Algérie le moyen de fuir le franquisme, mais reste viscéralement attachée à l'Espagne et Polop où elle se rend chaque été.
Cette histoire hors normes, par rapport à l'immigration espagnole au XIXè et XXè siècles, propose un autre éclairage de la vie à Alger durant la période 1956-1962. Rosa avoue avoir été « protégée par ses parents » et leur « distanciation sociale du drame algérien. »
La vie de Rosa enfant ou adolescente se déroule à l'ombre de ce drame mais sans jamais véritablement le croiser, « Mon esprit était étrangement rétif à la mort. Je longeais ces fantômes allongés sans plus d'intérêt que s'il se fut agi de pierres posées sur mon chemin. »
C'est au moment du départ de ses parents en 1962, qu'elle découvre ce que ce pays a pu apporter à la construction de sa personnalité et décide d'y revenir et de rencontrer « cette population inhabituelle sortie d'on ne sait où (…) [qu'elle] n'avait jamais vue auparavant et qui maintenant émergeait de partout. »
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