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« L'homme à l'affût » est une nouvelle extraite du recueil « Les armes secrètes » paru en 1959, l'année où Miles Davis réalisa, accompagné de Bill Evans et de John Coltrane, le chef-d'oeuvre du jazz modal, « Kind of Blue ».

Julio Cortázar, écrivain argentin né en 1914 et installé en France à partir de 1951, inscrit ses premiers écrits dans la tradition de Jorge Luis Borges, le fameux réalisme magique sud-américain, qui, en explorant des thèmes aussi divers que la dualité, la circularité, l'éternité ou l'infini plonge le lecteur dans un vertige spéculatif saisissant.

« L'homme à l'affût », de facture plus classique, ne s'inscrit pas dans cette veine borgésienne, et se veut un hommage à Charlie Parker, à qui est dédiée la nouvelle. Dans le Paris des années 50, le narrateur, écrivain et critique de jazz, accompagne la déchéance de Johnny Carter, un saxophoniste de génie qui sombre dans nuit. Il vient de publier une biographie du musicien qui s'abîme chaque jour davantage dans la drogue et l'alcool, et va tenter de venir en aide au pauvre Johnny qui vient de perdre son saxophone dans le métro et vivote dans un hôtel miteux en compagnie de Dédée, sa dernière conquête.

Le narrateur tente sincèrement de secourir Johnny Carter, en lui procurant au pied levé un saxophone, qui lui permettra de sortir pour un temps du marasme dans lequel il se trouve. Pour autant, il ne se fait aucune illusion sur la violence des addictions à la drogue et à l'alcool qui entrainent inéluctablement le saxophoniste vers le néant.

La destinée tragique de Johnny Carter est évidemment une métaphore de la trajectoire d'un météore du bebop, le génial Charlie Parker, saxophoniste alto disparu à trente-cinq ans, la santé ravagée par une existence dissolue.

Et pourtant. le véritable sujet de « l'homme à l'affût » est sans doute une réflexion sur le génie. En abordant le noeud de sa nouvelle, Cortázar retrouve sa magie latino-américaine, qui nous conduit dans un lieu improbable, à la lisière du réel et du fantastique, dans le monde de Johnny, là où les minutes durent un quart d'heure.

« Je ne prends pas très au sérieux, généralement, les radotages de Johnny, mais cette fois il a eu un regard qui m'a donné froid dans le dos.
À peine une minute et demie de ton temps et du temps de l'autre tordue, là-bas, a dit Johnny avec rancune. Une minute et demie du temps du métro et celui de ma montre, qu'ils aillent se faire foutre. Alors comment c'est possible que j'aie pensé, moi, pendant un quart d'heure, hein, Bruno ? Comment on peut penser un quart d'heure en une minute et demie ? »

« L'homme à l'affût » est une plongée dans la psyché tourmentée d'un musicien touché par la grâce. Éternel insatisfait, Johnny évolue dans une réalité parallèle, égare régulièrement son saxophone, arrive en retard aux sessions d'enregistrement organisées à Saint-Germain-des-Prés, ne se reconnaît pas lorsqu'il se regarde dans la glace et aperçoit des urnes funéraires lorsqu'il traverse un champ.

Il touche du doigt la beauté absolue lors d'une session new-yorkaise improvisée avec Miles Davis et ne parvient pas à accepter que la magie de cette rencontre avec les anges fût si fugace. Son génie est aussi sa malédiction. Johnny vit dans un temps qui se dilate, dans un univers qui n'est pas le nôtre, et qui nous est inaccessible. Lors de ses longs dialogues avec le narrateur, il tente en vain de construire un pont entre son monde intérieur et la réalité, mais la destinée semble l'avoir condamné à vivre comme un étranger en ce monde.

« L'homme à l'affût » dissimule derrière un hommage à la destinée de Charlie Parker, une spéculation sur la nature du génie qui habite, malgré eux, les créateurs. Cette interrogation spéculative permet à une autre forme de génie de se déployer : le génie littéraire de Julio Cortázar. À travers un récit dénué de mièvrerie, l'auteur argentin porte un regard touchant sur la trajectoire d'un musicien surdoué, la trajectoire d'une étoile filante qui éclaire une nuit sans lune avant de disparaître à tout jamais dans l'inconnu.

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L'homme à l'affût est une nouvelle extraite du recueil Les armes secrètes, publié initialement en 1958, soit trois ans après la mort de Charlie Parker. Bruno V..., le narrateur et critique, suit Johnny Carter, le saxophoniste dont il a écrit la biographie, à Paris avant son retour aux Etats-Unis, où il meurt peu de temps après. La nouvelle est composée de dialogues marquants qui arrivent à l'improviste dans la narration réaliste léchée, comme des improvisations de Jazz.
Les deux personnages sont duels, auto-destructeurs et à l'affût de quelque chose. d'un côté le génial Johnny Carter (notez les initiales) et de l'autre Bruno le narrateur, son cynique évangéliste, un peu Judas sur les bords et conscient de l'être.
Johnny survit dans une chambre d'hôtel crasseuse où pendouille une ampoule pleine de mouches. Il est assis sur un fauteuil galeux, nu sous une couverture. Il est fiévreux. En manque. Il a oublié son saxophone dans le métro. Dédée sa dernière compagne doit lui en trouver un avant le surlendemain car elle lui a dégotté un contrat. Johnny se moque du contrat et des dates. Bruno sort une bouteille de rhum. Et là Johnny tente d'expliquer à son biographe à l'aide de belles métaphores (ascenseur, métro) que lorsqu'il joue, il change d'endroit, part dans un voyage qui dure rempli de réminiscences. Un voyage qui dure deux minutes à peine dans la réalité. Johnny voudrait vivre pour toujours dans ce pays enchanté. Mais cette éternité lui échappe et il pleure, inconsolable. Sur le coup Bruno comprend vaguement ce qu'il veut dire mais à peine est-il dans la rue, il est irrité, il n'arrive pas à rationaliser, il a pitié de lui, il le méprise. Bruno l'aide cependant à trouver un saxophone. La biographie que Bruno a écrite masque des aspects de la vie réelle de Johnny et ses voyages hors du temps. Il fait l'éloge de sa musique divine en l'expliquant doctement. Johnny ne s'y reconnaît pas du tout et ne veut pas de son bon Dieu. Mais il ne lui en veut pas.
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José Muñoz rend un bel hommage au magnifique texte de Julio Cortázar, L'homme à l'affût, qui rendait lui même hommage au grand Charlie Parker, avec El Perseguidor, album puissamment illustré. Cette vingtaine de dessins à l'encre de Chine qui accompagne la nouvelle de l'auteur argentin est une oeuvre en soi.
Après Gardel, après Billie Holiday mais sans son compère Sampayo, Muñoz continue son incursion dans la musique, avec ce sens unique du noir et blanc qu'il maîtrise parfaitement et qui est devenu sa signature. Les planches voyagent des Etats-Unis à Saint-Germain-des-Près, racontent le génie d'un homme brûlé par ses excès, accompagnent la lente et inexorable déchéance d'un musicien hors norme qui se perd dans l'alcool et les drogues.
Muñoz n'occulte pas le texte de Cortázar, il le magnifie. Charlie Parker méritait bien un double hommage, et comme chaque fois que l'on relie la nouvelle, on retient toujours cette phrase incroyable, "Esto lo estoy tocando mañana" "ça je suis en train de le jouer demain ».
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Cette petite nouvelle a été écrite en hommage à un grand musicien de jazz, Charlie Parker (Johnny Carter dans le livre).
Le narrateur, Bruno, est un critique de jazz, ami avec johnny, un brillant saxophoniste, un génie qui sombre dans la maladie, la misère..Trop de vin, de cognac, de marijuana. du sexe, de l'amour, des délires paranoïaques.
On suit cette lente descente avec le jazz en toile de fond, la personnalité ambiguë du musicien, ses suicides manqués;
Un peu de tristesse nous traverse parfois mais il y a du rythme dans cette vie.
On sent l'âme de Saint Germain des prés, Boris Vian, les clubs de jazz et cela fait du bien.
Entre émotion et réalisme, ces 93 pages se lisent très vite.
Cette nouvelle fait partie du recueil "Armes secrètes" de Julio Cortazar.
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On croit entendre les accents déchirants du saxo de Charlie Parker...quand l'écriture se fait musique...Un portrait bouleversant, une écriture au diapason, une vraie "correspondance" baudelairienne!
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Bruno.V, notre narrateur, critique Jazz, suit ici Johnny Carter (fantôme littéraire de Charlie Parker), afin d'écrire sa bio.

L'histoire se déroule dans un St-germain des prés qui sent bon la trompette (de la mort ?)
Effectivement, cette période Parisienne dans la vie de Parker (ou Johnny Carter, on s'y perd) annonce déjà le drame à venir.

Passion musicale, coup de génie, concerts et impros à tomber, mais aussi... descente vertigineuse, hôtel minable et nescafé...le sexe, drogue, picole, Jazz, sauce Cortazar/Parker.
Le génie est bien là, il dynamite le Jazz, révolutionne la scène, un nouveau son est en train d'émerger..le BeBop est né.
Mais le géant est fragile, il se perd dans le temps, dans notre temps à nous ; dans le sien les minutes s'étirent un quart d'heure, et, comme il dira à Miles (autre grand génie en formation), il entend des solos qu'il a déjà joués demain.
Le danger d'être un génie, c'est de se retrouver seul et incompris.
Ça t'envoie droit dans le mur.

Notre narrateur, lui, assistera à la déchéance de son ami, mais poursuivra son but... écrire sa bio et trouver la reconnaissance, mais si sa biographie passe à côté de l'essentiel... après tout, si elle se vend bien.

J'ai vraiment bien aimé cette nouvelle de Julio Cortazar (que je ne connaissait pas).
On y retrouve quelques épisodes de la vie du saxophoniste, des musicos, des amis (es), des lieux...
L'atmosphère très sombre qui devait planer sur "Bird" à cette époque de sa vie est plus que palpable.
Il manque tout de même un élément qui a eu un rôle certain dans la vie (et dans la mort) du musicien (et de toute une floppée de Jazzmen de talent d'ailleurs... Miles, Coltrane, Billie Holliday, Chet, Art Peppers... pour les plus connus)... c'est l'héroïne.
En effet, elle se retrouve gommée du récit, alors que l'addiction à la came de Parker n'est un secret pour personne.
M'enfin...c'est une nouvelle sur Johnny Carter, pas une bio de Parker, alors..... tirons un trait! :)

Je me suis fait plaisir en prolongeant ma lecture par 4h de podcast consacrées à la Baronne "Pannonica", "Tica" dans le livre, "Nica" dans la vraie vie , fille du banquier "Rothschild", chez qui mourra Charlie Parker à son retour aux Etats Unis, suite à cette aventure Parisienne.

Pour ceux que ça intéresse :
" Pannonica de Koenigswarter "
La bonne étoile du Jazz.
( Sur Radio France).

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Grande amatrice de musique et de jazz, c'est avec beaucoup d'envie que j'ai entamé ce livre, et avec déception que je l'ai refermé.
Julio Cortazar y rend hommage au génie saxophoniste et co-fondateur du Bebop Charlie Parker - Johnny Carter dans le texte. Sans soucis d'exactitude ni prétention de biographie, il livre son interprétation de cet artiste, de son talent, de son génie dévorant, mais aussi et surtout de sa folie et ses addictions.
Je ne suis pas rentrée dans cette histoire, je m'y suis ennuyée et l'émotion m'a cruellement manqué, même si quelques phrases m'ont interpellée ; je n'avais vraisemblablement pas envie de rencontrer ce Charlie, et vais retourner à ses disques.
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Un critique d'art a écrit un livre sur un grand joureur de jazz. Il est devenu un des amis les plus proches de ce musicien. Il racontre comment l'alcool et la droue ont détruit cet extraordinaire saxophoniste.

Le livre est peut-être un peu dur, mais très beau et très profond à la fois. C'est un livre hyper poignant.
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J'ai lu cette nouvelle (60 pages) alors que j'avais à peine 17 ans, et j'ai été assez impressionné par le portrait succinct d'un musicien de jazz de génie qui se tue à cause du doute, de la drogue et de l'alcool. Près d'un demi-siècle plus tard, je l'ai relu, et en plus du portrait intrigant, les couches philosophiques et méta-littéraires sont maintenant également apparues, tout aussi impressionnantes.
Le Johnny Carter de cette nouvelle est apparemment calqué sur le saxophoniste Charlie Parker (1920-1955), le pionnier du Bebop, qui a considérablement repoussé les limites du jazz, mais a succombé aux addictions et aux psychoses. J'ai l'impression que Cortazar joue délibérément sur notre fascination pour des figures aussi complexes où génie et fragilité humaine vont de pair, révélant l'ambiguïté inhérente à tout être humain. L'ambiguïté est le concept clé de cette nouvelle, je pense. En témoigne la sous-couche philosophique, qui est explicitement appliquée par Johnny lui-même avec des réflexions sur la relation entre le temps et la réalité, et qui est même stylistiquement renforcée par Cortazar par l'utilisation de temps verbaux qui brouillent la division entre passé, présent et futur. Les courtes réflexions sont intrigantes, mais en même temps elles ne sont que des blancs d'idées qui décomposent notre vision généralement acceptée de la réalité sans offrir une vision alternative. Et donc Cortazar joue encore plus avec les ambiguïtés. Par exemple, à quel persécuteur le titre fait-il référence ? Est-ce le narrateur Bruno qui, en tant que critique et biographe, traque chaque détail sur Johnny, ou est-ce Johnny qui met Bruno mal à l'aise en remettant explicitement en question ses idées ? Ou Bruno, qui cultive une image particulière de Johnny, car il ne sait pas situer les aspects de sa personnalité. J'étais déjà assez impressionné par Jorge Borges, mais la littérature latino-américaine a apparemment produit d'autres grands avec une vision perturbatrice de la réalité.
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Cette nouvelle fait partie d'un recueil nommé "Armes secrètes" de l'auteur argentin Julio Cortazar publié chez Gallimard en 1973, et rééditée seule chez ce même éditeur en 2002.

L'Histoire, c'est celle de Johnny Carter, racontée à la première personne par, Bruno V., critique de jazz, qui a suivi ce saxophoniste de jazz «de génie» pour écrire un essai sur son oeuvre et qui, est devenu son ami. Il assiste, lors d'un épisode Parisien de la fin de sa vie, à sa lente descente aux enfers, dans la maladie, la misère, à ses abus de cognac, de marijuana, de délire... Il parle du génie du musicien, des folies de l'homme.
Cette nouvelle a été écrite par l'auteur « en hommage » (et là je mets des guillemets!) au grand musicien de jazz, Charlie Parker. Un format court, de 93 pages, qui se lit très vite. Et qui ne laisse pas indifférent, loin de là.

Il y a un rythme jazzy dans cette écriture, dans cette vie qui nous est rapportée. On sent l'âme d'une époque, celle des clubs de jazz à Paris. La nouvelle est écrite sur un ton très réaliste, liée à une narration à la première personne du journaliste Bruno V. Si Johnny Carter est Charlie Parker, qui est Bruno V. ? B.V.... Des initiales bien proche de celle de Boris Vian avec lequel Charlie Parker. aurait parait-il lié amitié... Sur la personnalité du narrateur, il y à, a mon avis beaucoup à dire là aussi. Il est … « peu attachant » (pour ne pas dire pire) à mon sens en tout cas, ce qui rend notamment possible de s'attacher un peu plus à la personnalité du musicien.

Chez moi, ce bouquin a laissé une double amertume. L'amertume face à la déchéance d'un musicien qui a, ou aurait pu ?, frôler le génie, mais également celle d'un homme qui, fasciné par lui, n'a pas su être vraiment son ami, mais juste son critique, son biographe. Comment peut-on aimer Johnny Carter, c'est à dire Charlie Parker finalement, après ça ? Ou même le critique Bruno V. ? Parcqu'ils sont humains, profondément imparfaits, égoïstes, comme nous tous. J'ai aimé ce livre parce qu'il m'a dérangé. Parce qu'il m'a obligée à voir ce que je n'aurais pas voulu voir, l'homme faible, fou, derrière le musicien. La part de chaos, de morbide même, derrière le génial.
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