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Mireille Robin (Traducteur)
EAN : 9782221260562
176 pages
Robert Laffont (28/04/2022)
3.08/5   13 notes
Résumé :
Roman. Traduit du serbo-croate par Mireille Robin.

Quatrième de couverture:

Le narrateur - un petit garçon de dix ans - nous donne sa vision de la Seconde Guerre mondiale et de la révolution qui l'a suivie en racontant par le menu la vie de sa famille. Une mère défaitiste, un père alcoolique, un grand-père sceptique, un oncle coureur de jupons et deux jeunes tantes qui rêvent devant les photos de Tyrone Poxer font de leur mieux pour sur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Il aurait voulu une bicyclette, ou un chien, ou d'autres cadeaux dont je ne me rappelle plus, pour son anniversaire. On lui offre un cahier. Il en fera une sorte de journal, notant un peu ce qui lui arrive, beaucoup ce qu'il voit, et surtout ce qu'il entend. Parce qu'il a des yeux d'enfant, une ame de poete, et de grandes oreilles qui captent les dires et les reparties de son entourage.
C'est un gosse qui grandit a Belgrade, avant, pendant et juste apres la deuxieme guerre mondiale. Il note tout, succintement, dans une ecriture d'etudiant applique, comme si c'etait un devoir d'ecole. C'est frais, faussement naif, et carrement hilarant. Hilarant pour moi et pour d'autres lecteurs d'hier et d'aujourd'hui, surement moins pour son instituteur d'alors si jamais il eu acces a ce cahier, et surtout pas pour la censure communiste a la sortie de ce livre en 1969. Les censeurs ont du attraper une rage de dents: publie dans une edition artisanale, le livre a eu un succes immediat, inespere, et recut le prix Nin, le plus important prix litteraire yougoslave.
Pour donner une idee de ce qu'ecrit le jeune Bora dans son cahier, je vais le citer longuement (je demande comprehension et indulgence: je n'ai pas sa verve, et je suis feignant).


Il commence par decrire son entourage proche.
Une mere hypocondriaque: “Si seulement je pouvais connaitre le jour et l'heure de ma mort, je pourrais vivre tranquille!”.
Un pere alcoolique, representant et courtier d'affaires en tous genres. “Papa transportait dans une mallette des bouts de tissu numerotes, avec des chiffres romains et ordinaires. Il les montrait a differentes personnes dans les cafes et disait: Ce ne sont que des echantillons, allez savoir ou se trouve la marchandise”. Mais c'est un pere tres responsable: “Ma voix a commence a muer. […] Maman a dit a papa, alors qu'on etait a table: «Il serait temps que tu lui expliques, moi, je ne peux pas, je suis une femme.» Mon oncle a commente: «Tout cela, il le sait deja!» Je suis alle aux chiottes et maman a force papa a entrer derriere moi. «Dis-lui tout, d'homme a homme.» Papa m'a regarde uriner et a declare: «Ce n'est rien, c'est la nature!» Je lui ai repondu: «Je le sais!»”.
Un grand-pere grogneur: “Papa, en reve, nous donnait des leçons de gymnastique. Une nuit, grand-pere a saute au bas de son lit et a hurle: «Je vais appeler les pompiers!»”.
Et pour completer la maisonnee, un oncle coureur de jupons et deux tantes, vieilles filles qui revent de Tyrone Power.
Assez vite il passe a decrire les voisins, les copains, l'ecole, puis ce qui arrive, ce qu'il remarque avec le passage du temps.
La guerre: “Un jour, mon oncle nous a annonce: «Ils ont embarque toute la famille Baruh, meme les gosses!» Grand-pere a commente: «Pas etonnant, avec un nom pareil!»”.
La penurie: “Maman a commence a faire la queue devant divers magasins. Elle attendait longtemps, puis, quand son tour venait, elle s'entendait dire: «Il n'y a plus rien!» Cela se repetait souvent. Elle s'est lancee elle-même dans le negoce. Elle allait voir un commerçant et lui disait: «Cher monsieur, accepteriez-vous de m'acheter cette coupe avec une vue de Venise, même si elle est un peu ebrechee, malheureusement!» […] Mes tantes ont dit, glacees d'effroi: «Il parait qu'il y a des gens qui kidnappent des petits enfants pour en fabriquer des saucisses!» Maman s'est exclamee: «Dire que je pourrais manger mon propre fils sans meme m'en apercevoir!»”.
Enfin, l'arrivee des russes et la mainmise communiste sur le pays (et sur ses biens): “C'est alors qu'est arrive ce petit homme en chapeau. Il a sorti des papiers de son sac – un cartable d'avant-guerre – et nous annonce: «Vous allez devoir demenager dans un appartement d'une seule piece car ici doit venir s'installer un camarade avec toutes ses affaires!» Grand-pere a demandé : «Quelles affaires?» L'autre a precise: «Personnelles!»”.


J'espere avoir donne une idee de l'humour corrosif avec lequel Cosic portraye sa famille et retrace cette eprouvante et chaotique epoque de l'histoire dans les Balkans. le livre rayonne encore de nos jours de la meme fraicheur subversive qu'il avait lors de sa parution. Procurer une lecture-plaisir sur une periode atroce, un vrai tour de force. Et puis c'est un livre court, c'est ce qui a pu etre sauve du carnet originel. “On m'a d'abord demande de decrire certains evenements de notre vie familiale, puis on m'a menace: «Ne prends plus jamais un crayon en main!» Auparavant deja, je notais parfois les nobles pensees formulees par mon grand-pere ou mon oncle, celles de papa beaucoup moins souvent. Grand-pere a trouve les feuilles que j'avais ainsi noircies, il les a decoupees avec le gros couteau de cuisine et mises dans le sac a papier des chiottes”. A chacun l'autodafe qu'il merite.


P.S. Pour la reedition du livre cette annee, Bora Cosic a ajoute une preface: “Cinquante ans apres". le moins que je puisse dire c'est que sa vieillesse ne depare pas sa jeunesse. Pour preuve, encore une citation, grincante, que je me suis pris en plein dans les dents: “A cette epoque, cependant, je n'avais que neuf ans, j'etais amoureux de la belle dame solitaire qui vivait dans la mansarde : je lui apportais les journaux du matin, et quand elle m'ouvrait la porte, elle n'avait rien sur elle. Dans le meme temps, le fils du fripier du rez-de-chaussee, qui etait plus jeune que moi, me battait regulierement – je n'etais pourtant pas juif –, et un chien m'avait fait tomber et avait mange un morceau de ma chaussure. La fin du monde, que ma mere attendait en tremblant, n'etait pas encore arrivee, et il n'y avait pas de pogromes car nous etions en majorite des Aryens. J'ai compris plus tard que les pogromes n'etaient pas ineluctables car la facon dont on vivait dans la maison de Zeleni venac, a Belgrade, au numero 10, vers le milieu du siecle dernier, c'etait deja un pogrome. J'avais aussi compris qu'on ne peut absolument pas vivre sans pogromes, puisque c'est en les attendant qu'on vit ce que le monde a de plus merveilleux”.
Il ne me reste plus qu'a lui decerner le prix de l'humour juif.
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Petit livre (version poche), traduit du serbo-croate, étonnant, détonant, tragico-comique et qui trouve, sans doute malgré lui, et selon mon tout humble avis, un écho dans l'actualité des années 2020.
L'édition que j'ai lue est préfacée par l'auteur « Cinquante ans après », soit rédigée en décembre 2021. Dans cette préface, Bora Cosic (il a alors près de 90 ans), s'émerveille : « Tous les protagonistes de ces évènements sont morts aujourd'hui. Je m'étonne parfois que le livre qui parle d'eux ait réussi à leur survivre. Peut-être est-ce parce que ce qui est écrit n'est pas de la même matière que la vie, laquelle est inéluctablement mortelle, alors qu'un livre, même le plus insensé, bien qu'instantanément chose morte, dure de façon indéterminée, justement grâce à cela. »
Comme le titre l'indique, c'est l'histoire d'une famille, celle de Bora Cosic, racontée par un enfant de neuf ans (au début), telle qu'il l'a observée, vue, entendue, au lendemain de la seconde guerre mondiale, en Yougoslavie, et dans les années d'installation du régime socialiste-communiste du Maréchal Tito.
Cette famille n'est pas piquée des hannetons : une mère fantasque, déprimée et déprimante, mais non dépourvue d'humour, un père, un peu voyageur de commerce, beaucoup porté sur la bouteille, un oncle queutard, deux tantes évaporées, et un grand-père qui en a vu d'autres. Et le gamin, le narrateur, qui nous fait participer à tous leurs embarras quotidiens émaillés d'éclats de joies.
Le style est celui d'un gamin qui voit et qui rapporte. Des phrases courtes, beaucoup de répliques, directes, vives, des mots précis qui frappent vite.
La construction est à l'image de l'écriture : des chapitres courts, comme des rounds dans un match de boxe.
Les premières pages m'ont surprise, un peu agacée, puis prise au jeu, au rythme, les personnages sont tellement désopilants, attachants, désespérants, rebondissants, que j'ai été scotchée jusqu'à la dernière ligne par leur combat pour une vie sincère, « utile ». L'utilité étant alors définie par le régime titiste, dont l'autoritarisme absurde et les règles granguignolesques mais effrayantes, sont épinglés avec brio.
Si le livre a survécu à ses "héros", c'est qu'il aborde une thématique profonde : pourquoi le changement sensé améliorer la vie quotidienne (instruction, logement, travail, santé, amitié, paix) n'a-t-il apporté que chaos, confusion et peur ?
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Tragi-comédie dans l'ex-Yougoslavie. Ce roman écrit du point de vue d'un enfant raconte la vie d'une famille à travers les turbulences d'un pays. L'occupation allemande, la Libération puis l'installation du nouvel ordre communiste brossées par un gamin qui bien évidemment ne comprend pas tout. Et c'est ça qui est drôle. C'est ce regard naïf qui éclaire les contradictions de la collaboration, les erreurs idéologiques du communisme, les absurdités et l'hypocrisie quelque soit les maîtres.
Si j'en crois le grand internet, ceci est le seul roman de Bora Ćosić traduit en français.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
On nous avait priés d'espionner ce que tramait l'ennemi dans notre voisinage et nous avions refusé, à cause de notre stupidité innée, laissant ainsi les activités hostiles se développer jusqu'à des limites impensables. Nous avions été les témoins de scènes terribles, telle l'expulsion de monsieur le professeur, dans l'appartement duquel vint s'installer un de nos camarades, mais le pire était que nous avions ensuite raconté cela à tout le monde. Le camarade Jovo La Hache avait beau nous expliquer que nous n'avions pas vu ce que nous avions vu, nous n'en faisions qu'à notre tête, ce qui eut des conséquences que personne ne souhaitait. Nous n'arrivions pas à comprendre que certains événements ne pouvaient être advenus, puisqu'ils n'avaient pas été prévus, tout cela en raison de notre vieille habitude de ne pas avoir les yeux dans notre poche. Le camarade La Hache nous avait démontré que ne pouvait se produire que ce qui était souhaitable, le reste étant exclu, mais grand-père avait aussitôt demandé : " Comment cela ? ", venant tout gâcher.
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Le lieutenant Vaculić nous a demandé : « Pourquoi n’allez-vous pas donner votre sang ? On en a besoin plus que jamais. » Maman a dit : « Quoi, encore ! » Elle pensait, ce faisant, à toutes les effusions de sang au long de l’histoire. Il a répondu : « Il faudra en passer par là tant que c’est nécessaire ! » Papa s’est aussitôt levé et a dit : « Moi, j’y vais ! » Grand-père l’a rappelé à l’ordre : «Ce n’est pas d’alcool dont ils ont besoin ! »
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Mon oncle a fait remarquer : "L'hiver, ici, ce n'est rien ; quand les Russes seront là, nous aurons des hivers sibériens, et vous verrez un peu ce que c'est !" Grand-père a demandé : "D'où tiens-tu ça ?" Mon oncle a poursuivi : "En Sibérie, il gèle si fort qu'il suffit de sortir pour avoir aussitôt le nez qui se détache du visage !" Grand-père a ronchonné : "Bien fait pour eux, ils n'ont qu'à rester chez eux !"
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Nous discutions sans arrêt, juste comme ça, pour le plaisir de parler, au lieu de nous taire et d'écouter les autres, même s'ils étaient plus bêtes que nous. Quand grand-père avait quelque chose à reprocher à quelqu'un, il le lui envoyait en face, et c'était une erreur. Maman évoquait souvent des événements atroces, quoique véridiques, qui relevaient de l'histoire. Il aurait fallu oublier tout cela et remplacer ces souvenirs par des faits bien plus réjouissants, quoique n'ayant jamais existé. Nous envisagions souvent l'avenir de manière confuse, à cause des livres que nous avions lus durant la période précédente, et c'était là notre faute, irrémédiable. On nous avait enseigné qu'il était bien plus sain pour l'organisme de rester debout dans le tramway, de ne pas manger salé et de dormir à la dure, et nous n'avions pas voulu y croire. Nous aurions dû pourtant. Nous continuions à lire de gros romans, le plus souvent sans illustrations, au lieu d'en faire don à une institution pour enfants aveugles, qu'ils auraient pu pervertir.
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D'autres racontaient : "Chez eux, c'est un véritable bordel, on ne sait pas qui fraie avec qui !" J'ai demandé à Raul Tajtelbaum : "Un bordel, est-ce que c'est bien une association de citoyens libres en vue de la promotion de la culture et de la pensée ?" Il m'a répondu : "Je ne sais pas, j'étais absent lorsqu'on a fait cette leçon-là".
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