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Critique de nadejda


Roman-enquête passionnant qui montre toutes les implications de la construction de la Grande Arche et permet de mesurer la complexité d'un projet architectural tel que celui-là sur le plan technique, la mise en oeuvre du chantier, et toutes les luttes d'influence qui viennent s'agglutiner autour des enjeux qu'entraîne son envergure.
Si la mise en oeuvre du projet et les contraintes de la construction de ce monument vont être une suite de défis, l'écriture de Laurence Cossé en relève un autre car, nous dit-elle, avec l'humour qui se retrouve tout au long de ce roman-enquête :
"La littérature fait courir des risques dont l'auteur n'avait pas idée avant de s'y lancer, sans quoi il aurait préféré l'ethnographie ou le saut à la perche.(...)
Je savais que l'approximation et la précarité gouvernent les amours humaines, les relations sociales, les pouvoirs quels qu'ils soient, les entreprises artistiques, la préparation des entremets, les illuminations religieuses, mais je croyais qu'il existait dans l'univers un ordre de réalité frère, immuable , en un mot sûr, qui précisément était la technique. Tout ce qui est béton, marbre ou acier me semblait être du solide. Et je découvre en travaillant la différence entre précontrainte (du béton) et postmodernité que l'incertain règne là comme ailleurs." p 191

Ce pourrait n'être qu'une comédie grinçante, illustrant le cynique affrontement des pouvoirs politiques et les luttes d'intérêt, dans le choix des décisions concernant les projets qui se sont succédés au cours des trente années écoulées entre les premières interrogations des années soixante, pour combler le trou de la Défense, et l'inauguration de la Grande Arche lors des commémorations du bicentenaire de la révolution française.

Mais ce fut aussi le drame d'un homme, l'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen, dont le projet est retenu le 25 mai 1983, suite au concours international lancé au début de la présidence de Mitterrand.
Laurence Cossé remarque à propos de la nuit de voyage en train de Spreckelsen qui rejoint Paris après avoir appris que son projet était retenu : "Peut-être la nuit qui suivit a-t-elle été la plus heureuse de la vie de Spreckelsen. Y a-t-il gloire plus pure que celle qui couronne un inconnu sans ambition autre qu'artistique, non pas au terme d'une intrigue, ou d'une lutte de pouvoir ou de quelque autre stratégie sociale, mais à l'issue d'un concours anonyme, en reconnaissance de la force et de la beauté d'une oeuvre d'art ? Y a-t-il joie plus claire ?"
La joie première va vite être obscurcie par une suite de malentendus et d'incompréhensions qui aboutiront à la démission de Spreckelsen.
Cet homme exigeant et intègre, cet artiste, ce poète, va devoir s'incliner après s'être épuisé à tenter de contourner les exigences budgétaires et les contraintes techniques pour préserver l'âme de son oeuvre. Il ne s'attendait pas à tous les obstacles qui allaient surgir, croyant naïvement que la faveur et le soutien amical d'un président de la République que ce projet passionnait, lui en garantissait l'aboutissement.
Même si le résultat n'est pas celui dont rêvait son initiateur l'Arche est là, elle existe et vit.
Les pages magnifiques du chapitre 25 du roman en témoignent :
"Faire à pied ces huit kilomètres entre le Louvre et La Défense , un jour de grand beau temps et tôt le matin, avant que n'enfle la circulation, est l'approche de l'Arche à la fois la plus simple et celle qui, loin de la dévoiler un peu plus chaque mètre, conformément à une loi de progression linéaire, en fait entrevoir par à-coups ce qui l'apparente au mirage, la légèreté, le mystère, la grâce, la vie. On la voit disparaître lentement à l'horizon, comme le soleil au couchant, à ceci près que la luminosité est constante, puis en émerger d'un coup, à l'Etoile, tableau de ciel sur fond de ciel, et croître formidablement en taille, en blancheur, en splendeur .
Ce mouvement superbe, cette lente plongée et cette soudaine émergence, Johan Otto von Spreckelsen ne l'a jamais observé. Parmi tous les marcheurs qui avancent vers l'Arche, parmi les passants qui s'arrêtent à sa vue, puisse l'un ou l'autre, un instant, avoir une pensée pour celui qui n'aura pas vu la Forme très pure dont il avait eu la vision."

Je remercie les éditions Gallimard et Babelio pour la lecture de ce livre qui m'a fait découvrir, entre autres, toutes les méandres que peut suivre un projet architectural jusqu'à son aboutissement. Une aventure passionnante !!!
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