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Critique de mh17


mh17
20 septembre 2022
Quel bonheur de lecture ! Albert Cossery est un seigneur. Il fait des oubliés de Dieu, mendiants et fainéants, fumeurs de hashish et autres ramasseurs de mégots qui peuplent les bas-fonds du Caire, des princes et des sages. Cossery l'Egyptien écrit dans un français ciselé. La narration est élégante et claire, le ton balance entre compassion et dérision. Les dialogues réinventent le langage coloré et excessif du petit peuple cairote. Cossery croque en quelques lignes les pleureuses professionnelles, les habitués bigarrés du café des Miroirs, la salle d'attente minable et les prostituées illettrées du bordel, le tramway puant plein de promiscuité qui relie les deux côtés de la ville. Il évoque furtivement la ville lumière, celle des grandes avenues, des vastes appartements et s'attarde sur la ville de l'ombre, celle des ruelles sordides et des taudis. Cossery est indigné, révolté contre le système matérialiste risible et détestable. Pourtant ses héros ne choisissent pas de le transformer par l'action politique et encore moins par la violence. Ils choisissent la voie marginale, oisive et immobile. Ils se dépouillent, mendient et cherchent la jouissance.
Gohar le héros antihéroïque du livre a abandonné depuis longtemps l'université où il enseignait la philosophie parce que « enseigner la vie sans la vivre est le crime de l'ignorance le plus détestable.» Il a décidé de ne plus collaborer au système et a renoncé définitivement aux biens matériels ainsi qu'au travail. Au début du récit, Il dort à même le sol sur un tas de vieux journaux dans une misérable chambre en passe d'être inondée. Alors il s'assoit sur l'unique chaise et contemple le désastre avec le sourire. Il n'a plus rien à perdre. Son dénuement le rend invulnérable. Mais Gohar n'est pas complètement en paix tant qu'il n'a pas avalé sa boulette de haschisch. Il nourrit même le vague désir de s'installer en Syrie où la consommation de haschich est autorisée. Nous le suivons à travers les ruelles tortueuses qui nous mènent au café des Miroirs. Celui qui le fournit d'habitude est un jeune poète très laid qui l'a pris en modèle. Yeghen a honte de sa laideur et méprise sa mère. Celle-ci est une veuve tombée dans la misère par la faute de son défunt mari. Elle encense pourtant sa mémoire et trouve son fils indigne. Yeghen est orgueilleux. Il hait sa fausse dignité drapée dans les convenances. Gohar et Yeghen se retrouvent souvent au bordel tenu par Set Amina la mère maquerelle. Gohar y tient les comptes et écrit des lettres pour les filles. Parmi les prostituées il y a la jeune Arnaba qui va être étranglée et puis une vieille très malade. El Kordi un jeune client idéaliste s'est mis en tête de la sauver. Il est en mission contre l'injustice. C'est un tout petit fonctionnaire croquignolet qui met un point d'honneur à en faire le moins possible au bureau quitte à payer ses collègues pour le travail effectué à sa place. Tous ont des problèmes avec l'autorité et la morale. Même Nour el dine le policier autoritaire chargé de l'enquête sur la jeune prostituée assassinée semble faire son devoir à reculons, il voudrait être libre lui aussi et ne plus avoir à cacher ses moeurs.
Le livre date de 1955 et n'a rien perdu de sa qualité subversive.
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