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sur 345 notes

Critiques filtrées sur 1 étoiles  
Le Caire. Une ville divisee en quartiers pratiquement etanches. La ville europeenne et d'autres beaux quartiers sont terra incognita pour le petit peuple, qui vit retranche dans un environnement delabre et insalubre.
C'est dans ce decor qu'Albert Cossery place ses personnages: Gohar, un intellectuel desabuse qui a abandonne une chaire d'universite pour vivre dans un denuement qu'il idealise; et ceux qui se veulent ses disciples: Yeghen, un petit dealer de hashish, El Kordi, un fonctionnaire qui met son point d'honneur a ne rien faire, strictement rien, par haine de l'administration qui l'emploie et de la societe en general. Face a eux Cossery place un inspecteur de police, Nour el Dine, qui vit mal son homosexualite et finit destabilise. Ce sont les quatre piliers du livre, parfaitement rendus dans leur psychologie.

La misere circule dans les pages a travers d'etroites ruelles, des drogues, des ramasseurs professionnels de megots, des enfants aux yeux pleins de mouches. Leur precarite ne les rend pas malheureux, leur joie de vivre explose a la face du lecteur.

Gohar est un personage inoubliable, un maitre qui frequente les bordels pour y pratiquer la litterature, ecrivant les lettres des prostituees. Son addiction au hashish le fait rever a un voyage en Syrie, pays de cocagne ou on peut cultiver l'herbe a loisir. Nour el Dine, l'inspecteur, hait la mediocrite des crimes qu'il enquete et reve d'un criminel intelligent a qui se mesurer. Son addiction a lui, les jeunes ephebes, ne lui procure que souffrance. Plutot que comme des marginaux , les personnages doivent etre vus comme des reveurs sur qui la decadence n'a pas de prise. Ils assument leur tragedie, leur abjection, avec optimisme. Ce sont des survivants. C'est la vie meme qui importe, pas les choses de la vie. La strategie de vie de Gohar et de ses disciples se decline sous forme d'oisivete (pas forcement de paresse), ce qui permet de sentir et de ressentir le monde plus pleinement. Cela entraine une derision sans bornes face a la societe "bien-pensante" et aux pouvoirs etablis, qu'ils voient comme hypocrites et surtout ridicules. La dérision, cet instrument de non-violence et de plaisir, poursuit un double objectif: primo, elle prend le sens d'une attitude contestatrice et de remise en cause de l'ordre politique et social établi; secundo, c'est un moyen d'affirmation de soi et de développement personnel qui permet a ces individus de rire de tout, de se detacher du monde materiel, de se distraire, d'etre soi-même et de vivre libres. de rompre avec la domination, les hypocrisies, les leurres, les faux semblants.

N'allons pas croire que leur vie est un long fleuve tranquille. Tout n'est pas parfait. Gohar, un jour que sa drogue tarde a arriver, commet un crime, gratuit, que lui-meme ne comprend pas, mais qu'il accepte, comme il accepte l'idee de se faire arreter et emprisonner. C'est une des facettes de la vie. Je ne raconterai pas le denouement, quoiqu'en fait cela n'ait aucune importance: ce livre n'est pas un polar.


Est-ce qu'a travers ses personnages Cossery nous transmet sa propre philosophie de vie? Il faut croire que oui, des qu'on sait quelque chose de lui. C'est un egyptien qui a beaucoup bourlingue avant de se fixer definitivement en France. Plus exactement a Paris. Plus exactement a Saint Germain des Pres, dans un petit hotel, La Louisiane, ou il a passé les derniers 55 ans de sa vie. Sans jamais rien posseder, rien avoir, a part ses nombreux costards. Sans jamais quitter le quartier. Il sortait tous les jours, tire a quatre epingles, vers 1 ou 2 heures de l'apres-midi, prenait son aperitif au café de Flore, dejeunait chez Lipp, et faisait sa digestion aux jardins du Luxembourg. Une vraie legende: un mélange de dandy et de revolutionnaire, de moine et de satyre, ses deux seules occupations etant l'ecriture et la conquete de femmes, vivant du peu que lui rapportaient ses livres et surtout de l'aide de ses amis.

Il a peu ecrit. Moins d'une dizaine de courts livres. Il se targait de ne produire que deux pages par semaine. A sa mort, on l'a salue comme "prince de la paresse". Je crois quant a moi que ce titre nobiliaire donne une fausse image de lui. Deux pages, d'accord, mais quelles pages! Forgees a la main (Il ecrivait en effet a la main, ne sachant pas utiliser ou ne possedant pas de machine a ecrire), ciselees dans tous ses details. Et si l'on croit la rumeur qui le dit avoir "conquis" pres de 2000 femmes, quand on sait le temps, la perseverance, l'energie qu'il faut deployer pour en seduire une seule, la derniere qualite qu'on peut lui attributer c'est la paresse. Il croyait plutot en l'oisivete, comme affirmation d'un certain anarchisme de bon aloi.

Le jour de sa mort, les gens de l'hotel monterent voir pourquoi il n'etait pas descendu de sa chambre. Ils le trouverent etendu par terre, entierement couvert par un drap. Un paresseux, sentant l'heure de ses adieux, n'aurait pas pris la peine de descendre du lit et de se couvrir d'un linceul a la mode arabe. Non. C'etait un homme pour qui l'oisivete etait un art, une forme de civilisation. Un dandy raffine, un anarchiste qui rejetait l'idee meme de possession. Et un grand auteur. Auteur de haute couture, quoique ses livres soient d'une accessibilite de prêt-a-porter.

Ne soyez pas paresseux. Cherchez ce livre. Mendiez-le. Vous pourrez vous enorgueuillir de l'avoir lu.
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le livre Mendiants et Orgueilleux parle de Gohar, homme cultivé et sage qui a choisi sa voie: être mendiant en distribuant sa sagesse. Il ne rêve que de partir en Syrie pour y cultiver et consommer du hachisch. Il en vient à tuer une prostituée dans la maison close dans laquelle il travaille occasionnellement comme scribe pour les pensionnaires. Il tue une jeune prostituée pour les faux bijoux qu'elle porte et qui pourraient lui payer son voyage et son hachisch. Mais il ne culpabilise pas, au contraire car son crime n'est rien devant la tyrannie de son gouvernement. L'officier de police qui suit l'affaire, Nour El Dine, un orgueilleux et puissant, finit dans son enquête par parvenir jusqu'à lui, mais il ne peut l'arrêter malgré les aveux de Gohar. Au contraire, l'officier finit par comprendre que Gohar a raison.
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