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Critique de Merik


« On ne passe pas à Aulus, on s'y rend », est-on prévenu en exergue. Aulus, un village Ariégeois au bout d'une vallée où serpente le Garbet, splendide mais trop souvent à l'ombre – surtout l'hiver, de montagnes « désespérément fixes ». Un « terminus géographique ». La narratrice et son père semblent pourtant s'y rendre le coeur guilleret, en entrée du « portrait rapiécé de ce lieu sans contour ». le père a acquis le Grand Hôtel de Paris aux enchères, sa vétusté justifiant la nécessité de s'y rendre en camion pour y emménager et aborder le chantier de sa restauration, malgré les ruelles de pierre qui les attendent.

Pas d'histoire tout en bloc, pas de récit élaboré sur une trame narrative classique. On est vite informé de la teneur éclatée, et les historiettes s'égrènent sans lien apparent entre elles. Personnages passés ou présents, bâtisses le plus souvent obsolètes, nature majestueuse environnante constituent les thèmes essentiels. La narratrice nous en dispense les bribes éparses en observatrice fine d'un monde sclérosé et pittoresque, semblant se replier sur lui-même ou derrière son passé florissant, au « temps des calèches et du Grand Casino, des montreurs d'ours et des champs de seigle noir avec leurs étendues de fleurs blanches ».
Ici, Fafa tenait le tabac-presse-boulangerie, accordait un quart d'heure à chaque personne car « il n'y a pas de clients, seulement des villageois et un village à raconter chaque jour. »
Ici, l'église est sinistre malgré ses « fausses notes boiteuses qui la rendent touchante », les bancs sont tristes l'hiver, « nus et parsemés de gouttes d'eau ».
Ici, la narratrice s'exerce à la randonnée en plus de ses pérégrinations affûtées sur la « surface cabossée, boursoufflée » du village, pour contempler à 2568 mètres d'altitude « les aiguilles de pierre » qui « piquent le ciel comme des fleurets ».
Ici, l'ancienne mine de tungstène est enterrée, « c'est une tombe sans fleur, sans croix, sans corps », aux relents d'amiante et de PCB. Pourtant lorsqu'une société australienne souhaite la réouvrir, la mémoire collective se fait volatile.
Ici l'artiste local, à la recherche d'imagerie humaine dans les végétaux, finira par perdre la tête, comme un symbole.

« Réel et fiction s'entremêlent » dans ce rapide et premier roman de Zoé Cosson. Sa construction rapiécée peut dérouter, même si son sens est justifié pour un village insaisissable dans son unité. le lecteur pourra trouver son intérêt ailleurs, dans la restitution d'une ambiance pittoresque notamment, parsemée de bons mots précis poétiques fréquents (les adjectifs s'y succèdent souvent ainsi), comme autant de perles à dénicher sur son parcours. Ni roman rural, ni roman d'incitation franche au déconfinement au grand air, ni roman à parader dans les devantures d'offices touristiques, « Aulus » ressemble plutôt à un texte réfléchi et ciselé, à la saveur de recherche littéraire. Il questionne en filigrane l'influence de l'environnement sur les habitants, ainsi que l'équilibre instable d'un village hibernant depuis son lustre d'antan, avant « la déprise rurale et industrielle ». Une franche réussite.

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