AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


« Aulus tient et persiste donc dans un coin de ma tête. Ce village ramassé, esseulé au fond d'une vallée étroite que la déprise rurale et industrielle a progressivement usée, élimée, vidée, se borne à la montagne. Il s'y confronte, il s'y soumet. En raison de cette topographie spécifique, Aulus m'est toujours apparu comme un terminus géographique. On ne passe pas à Aulus, on s'y rend. »

Zoé Cosson tisse un portrait sensible d'Aulus-les-Baines, village des Pyrénées ariégeoises. Deux rues, trois commerces, une centaine d'habitants. le portrait subjectif d'un territoire s'organise en vingt-deux courts chapitres attentifs aux lieux, aux hommes et à la nature, entre géographie intime et géographie physique.

« Ce livre est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui l'élucide rien. Ce n'est ni une histoire ni un bloc. »

Comme un patchwork impressionniste qui exprime le territoire et dessine le temps qui passe. Quelques interludes en italique confrontent le présent au passé à travers des cartes postales qui prennent vie, quand c'était la Belle époque et qu'Aulus-les-Bains était une station thermale florissante et fourmillante de vie, la temps des calèches, du Grand casino et des montreurs d'ours. le temps a passé, donc. L'auteure fait surgir le monde contemporain par petites touches qui troublent la quiétude et l'assoupissement général : un procès pour le droit d'eau relatif à la centrale hydroélectrique, la lutte contre les compteurs Linky, les mines de tungstènes de Salau qui pourraient rouvrir alors qu'elles déversent toujours dans le sol du PCB cancérigène.

Zoé Cosson a le sens des détails. Elle dessine une ambiance en quelques phrases. Elle observe le quotidien pour y chercher de la beauté, pour empêcher que cette beauté ne disparaisse tout à fait. Sa qualité d'écriture, ciselée, nette et poétique, m'a totalement absorbée. Elle permet au lecteur de regarder avec les mots, dans un rythme lent propice à la contemplation et à l'introspection. On s'abandonne, entre minéral, végétal et monde humain.

«  Les jours sans nuages, je pars cueillir des fleurs poilues. Des chardons bleus, des crocus à peau de soie. J'allonge les végétaux sur des feuilles blanches, j'écrase de livres, je prépare l'itinéraire pour mes marches d'été. J'explore, j'apprends.
J'apprends la lumière du matin qui peine, vacille, s'élève faiblement au-dessus des crêtes avant de peindre chaque brin d'herbe. J'attends qu'elle glisse et révèle la soulane, la pente de lumière. Ensuite, le grand rond jaune domine tout-puissant le temps de tracer son bout d'arc trop court et de retomber de l'autre côté de la vallée, le mauvais, pas le nôtre. J'apprends les chemins d'herbe écrasée, tapis, les routes de ruban gris, les cirques où se marient l'eau, la pierre, le gispet. J'apprends le mot gispet. L'herbe glissante, gelée, mouillée, trop grasse. J'apprends les arbres solitaires qui poussent droit malgré le dévers, les passages délicats, les échelles en fer à béton vissées sur la roche, le corps serré contre la montagne, pendu dans le vide. »

Et puis, très subtilement, derrière Aulus et ses habitants, se dégage le portrait d'un père, entre délicatesse et pudeur, ce père qui a racheté un hôtel vétuste pour y vivre, ce père qui vieillit, atteint d'une étrange maladie. Oui vraiment, cette parenthèse empreinte de douceur nostalgique et de vitalité de l'instant en suspens m'a vraiment plu.

Lu dans le cadre du collectif des 68 Premières fois 2022 #3
Commenter  J’apprécie          1107



Ont apprécié cette critique (106)voir plus




{* *}