Au moment où elle va fêter sa communion, Lucie est invitée par ses parents à choisir les images pieuses qui lui plaisent. Pour le texte, sa mère exhibe un ancien carton sur lequel figure « Hélène Morgenstern, en souvenir de la première visite de Jésus dans mon coeur, le 30 mai 1946. » Bien évidemment, on changera le nom et la date. Mais ce n'est pas ce qui perturbe Lucie. « C'est qui, Hélène Morgenstern ? » Une petite fille qui porte le même prénom que maman et dont elle n'avait jamais entendu parler ? Vraiment? Sa famille ne cacherait-elle pas de sombres secrets ?
De
Dominique Costermans, j'avais lu des nouvelles qui m'avaient vraiment beaucoup plu. A la radio, j'entends parler de cette histoire vraie d'un Juif qui fut l'auxiliaire de la Gestapo. Incroyable ! C'est cet épisode réel qui constitue la base du premier roman de l'auteur.
Je me précipite donc en librairie pour acquérir cet ouvrage.
Dominique Costermans ne souhaite pas rédiger un documentaire à propos d'un événement historique, si étonnant soit-il. Ce qui l'intéresse, ce qu'elle analyse finement dans son récit, ce sont les relations problématiques d'une mère et de sa fille qui vont s'affronter au sujet d'un secret de famille (thème que j'affectionne).
Le personnage principal, Lucie, est aussi la narratrice d'une partie de l'histoire. Elle a à peine sept ans lorsqu'elle se rend compte que les adultes lui cachent quelque chose.
Quand ses parents l'invitent à choisir les illustrations de ses souvenirs de communiante, elle s'étonne que sa mère lui propose un texte qui a déjà servi. C'est celui d'une mystérieuse Hélène Morgenstern dont le nom n'a jamais été évoqué. Interrogée, Hélène Lambert, sa mère, lui répond, un peu trop vite, peut-être, avec un peu trop d'assurance, sans doute, qu'il s'agit d'une condisciple de son enfance. Lucie n'est pas tombée de la dernière pluie. On a tort de croire les enfants aveugles, sourds demeurés. Comment donc ? Sa mère aurait eu une amie suffisamment proche pour qu'elle garde pendant toutes ces années et en dépit des événements troubles qu'elle a vécus, une carte de sa communion ? Cette petite fille aurait porté le même prénom que sa mère et celle-ci ne l'aurait jamais mentionnée ?
Mais « Lucie sait que, dans cette famille, il y a des questions à ne pas poser et des sujets à ne pas aborder. » Sa curiosité est éveillée et, dès lors, elle va entamer une quête difficile, car elle se heurte au silence buté de sa mère. Depuis l'enfance, Lucie, dont le prénom prédestiné signifie « lumière », va chercher inlassablement à mettre au jour ce secret qu'on lui tait, mais qu'on souhaite, peut-être inconsciemment, lui voir découvrir, puisqu'on l'enferme dans la chambre parentale, dans laquelle elle a ainsi tout loisir d'entreprendre une fouille en règle pour découvrir des documents pas si bien cachés.
Assez vite, Lucie exhumera ce grand-père odieux, sans scrupule. Ce Juif qui, sans aucun état d'âme, s'évertua à débusquer et livrer à l'occupant, des coreligionnaires, des jeunes réfractaires au STO. Comment s'étonner qu'on n'ait pas envie d'être la fille, la petite-fille d'un tel homme, qui, non seulement a collaboré, mais n'a jamais renié ses détestables convictions. Qui a collectionné les femmes qu'il n'a pas hésité à abandonner quand elles ne lui convenaient plus, non sans les avoir dépouillées : maison entièrement vidée, meubles et effets personnels vendus. Qui a semé derrière lui les enfants, mais ne s'est jamais soucié d'eux.
Par delà la mort, Lucie parle à ce grand-père maudit. Elle s'adresse à lui à la deuxième personne du pluriel. Ces interventions, en italiques, adoptent un ton sec, froid, détaché, clinique.
Avant que ne commence l'histoire, une note prévient le lecteur qu'il trouvera, en fin de volume, un arbre généalogique de la famille Morgenstern. Celui-ci est bien précieux pour aider à s'y retrouver dans les liens existant entre des personnages de la même famille, mais qui, parfois, ne se connaissent pas, ne portent pas le même nom, ne soupçonnent même pas l'existence de ces cousins inconnus.
Au fil de ses recherches, Lucie rencontre des parents qui découvriront avec joie des membres de leur lignée. En revanche, d'autres refuseront de la rencontrer, de lui parler, ou même, tout simplement, de répondre à ses missives.
Elle va aussi patiemment grignoter le mur de silence que lui oppose sa mère, la faire sortir de sa réserve, la faire raconter.
Hélène ne se livrera jamais totalement, certes, mais elle évoquera certains souvenirs, montrera certains endroits, fera sortir de l'ombre certaines personnes qui ont constitué son passé, qui forment les origines de Lucie.
Au-delà de l'intérêt historique de cet épisode surprenant, incroyable et vraiment original de la Deuxième Guerre mondiale, dont on croit tout connaître,
Dominique Costermans étudie les relations familiales, les rapports mère-fille, le poids délétère du silence, la quête de l'identité, la difficulté à se construire sans racines.
J'ai beaucoup aimé ce roman.