AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de leschroniquesdeminuit


« Salouparddddd, faaniant, bon a rrrrien. Ta ma daga!
Ta ma daga? C'est quoi? On comprenait rien de ce qu'il disait. » p.9

À livre particulier, retour un peu particulier.
Je viens de refermer le livre Grand Père de Jean-Louis Costes. Je l'ai acheté par curiosité un peu morbide, un peu malsaine. J'ai entendu parler de son auteur depuis de nombreuses années, par sa musique, ses idées, quelques émissions de télé, des personnes qui ont eu l'occasion de le rencontrer, de discuter un peu avec lui et qui m'avaient raconté. Personnage de la scène underground, c'est un milieu qui m'attire autant qu'il m'effraie. Mais ce livre, j'en ai tellement entendu parler que j'ai voulu me faire mon propre avis. Et puis quand un livre est annoncé comme dans sa version non censurée, ça aiguise mon côté voyeur. J'ai voulu tremper mon sucre quoi. J'étais prévenue…

« Franchement, tu piquais grave de grave, Bon-Papa! » p.36

Comme le titre l'indique, Jean-Louis Costes raconte ici la vie de son grand-père. Né en 1900 en Arménie, Garnick Sarkissian est le fils du maquignon d'un petit village. L'Arménie est depuis la nuit des temps une terre déchirée par les guerres entre ses proches voisins, les turcs et les russes. En 1915 les tsars ont été découronnés, le territoire devient le terrain du conflit entre les communistes soviétiques et les pro-royalistes cosaques. C'est le début des pogroms en Arménie et d'un abominable génocide. le fils du marchand de chevaux, adolescent, échappe miraculeusement à deux massacres qui vont décimer toute sa famille et sa communauté. Il survit de corps, mais son esprit s'emplit d'une haine sans limite et rejoignant les cosaques il ne va avoir de cesse de se venger. Ce qu'il a subi il va le faire subir et n'aura pas assez de toute sa vie pour soigner la violence par la violence.

« Tous, femmes enfants vieillards et salopards, sont volontaires pour faire la révolution. Ils se disputent les plus grosses pierres et lapident le père de mon grand-père à qui mieux mieux. Sous l'oeil attendri satisfait du chef-coco. L'aube d'un jour nouveau…
Toute la nuit, au pied de la vierge empalée au clocher en feu, le chien grogne rogne les os du maquignon… » p. 29

C'est cet aïeul bien loin de l'image d'Épinal du bon « Papi » que Jean-Louis Costes va connaître toute son enfance et jeune adulte. Un homme rustre, ultra violent, alcoolique, vouant du mépris à la terre entière y compris sa famille, et qui malgré tout éveille la curiosité de son petit-fils chez qui il suscite de prime abord honte, écoeurement et crainte. Jean-Louis Costes écrira cette biographie des années après la mort de Garnick, donnant ainsi à ses lecteurs sa vision d'une existence aux antipodes de la vie telle qu'on peut la concevoir dans notre contexte plutôt confortable, une vie aussi bien remplie de guerre que de lassitude du quotidien.

Impossible pour moi de dire si j'ai aimé ou non cette lecture. D'ailleurs ce n'est pas vraiment le propos. Comment peut-on prendre du plaisir à lire un texte exposant de manière tout à fait abrupte les pires violences et tortures, les pires attitudes, tout ce qu'on peut rencontrer de plus vil chez l'être humain? Garnick est devenu un monstre dégueulasse et son petit-fils le dépeint sans aucun édulcorant dans ses propos. Un homme violent, violeur, meurtrier, sans aucun remord de quoi que ce soit, une sorte de psychopathe ayant tout de même réussi une pseudo-insertion sociale puisque malgré tout il n'a pas terminé sa vie dans la rue. Les scènes de barbarie sont très nombreuses, il faut le savoir, et décrites de manière totalement crue.

« Sur la place de l'église, les hommes sont nus. Sexe honteux dans la main, leurs haillons sur le bûcher. Ils n'en auront plus besoin. Derrière, les femmes prient et les enfants pleurent pour le salut des mâles.
Sonne pope! Priez femmes! Pleurez enfants! C'est la musique adéquate pour le supplice!
Le sabre entre les fesses, les femmes savent ce qui les attend. » p. 57

Toutefois, Jean-Louis Costes écrit de manière tellement directe, inventant ses images, ses métaphores, poussant le récit à des extrêmes que je n'avais jamais lu nulle part… et bien chez moi c'est passé crème de chez crème. À n'y rien comprendre. Peut-être que ce qui est raconté est tellement lourd, tellement atroce, que le cerveau le range dans un coin « grosse fiction » et continue son boulot de cerveau-lecteur sans trop vraiment imprimer. Pourtant j'ai bien compris tout ce qui était raconté, que c'était du réel, aucun doute là-dessus.

Mais l'image du monstre sanguinaire n'est pas la seule à retenir de cette histoire de vie. Tout au long de son texte, Jean-Louis Costes revient sur les traumas initiaux, sur ce que Papi a vécu et qui l'a rendu si mauvais. Non pas qu'il cherche des excuses, non, il explique, rappelle, dissèque le cheminement qui amène un être à sombrer dans une folie. À travers ce portrait, c'est une autre version de l'histoire géo-politique du XXè siècle qui est donnée au lecteur et surtout comment les populations ont vécu les événements, au quotidien. Garnick nous emmène aux quatre coins du monde faire face à une réalité terrible, celle des petites gens en temps de guerre, tout ce qui a été infligé et caché. Malgré moi, même si je le trouve abominable, infect, j'ai quand même ressenti de la compréhension pour lui, non pas dans ses actes, mais dans le « pourquoi ».

« Ces zombies me transmettent leur virus de mort. Sens de la défaite et non-sens de la fête. Papi m'inocule le pogrom et Mamie la bonniche. L'Histoire de l'Arménie plus l'Histoire de France. Quel mélange de merde! » p. 107

Jean-Louis Costes questionne beaucoup, à sa manière si spéciale, l'hérédité, le poids de l'histoire familiale et comment vivent les générations suivantes. Ce livre n'est pas une réhabilitation de son aïeul, mais plutôt une manière de cohabiter avec cette légende familiale. Je suis peut-être un peu cinglée mais je trouve que c'est touchant, vraiment.

Pour finir, je dirais que je suis contente d'avoir lu ce livre si dérangeant et particulier. Malgré l'horreur de ce qui est décrit, il m'a apporté beaucoup, ne serait-ce que sur cette question du lien familial qui peut être un poids phénoménal. Et puis on aime ou déteste, mais la plume étrange, hors-norme de Jean-Louis Costes, je l'ai trouvé parfaite. Pour ce récit-là en tout cas. C'est compliqué d'écrire sur tout ça. On en parle plutôt?

« Un Golem échappé de l'Enfer erre sur la Terre… Un Golem à vélo slalome entre les Français morts, sa bonniche sur le porte-bagages… Jouissance du rescapé, revanche du métèque. le Golem qui pédale dans le charnier se sent un peu führer. Alors il fait un « Heil Hitler! » Au premier Panzer venu.
C'est juste un bras d'honneur aux sédentaires, d'un vieux Golem qui erre depuis trop longtemps sur la Terre. » p.221

- Pour lecteur très très averti -
Lien : https://leschroniquesdeminui..
Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}