Je découvre qu’être le seul policier de service par quart de travail dans une petite ville de campagne exige de la débrouillardise. J’ai un radiotéléphone dans mon véhicule de patrouille pour répondre directement aux appels des citoyens, j’interviens seul, et pour l’essentiel, je gère des gars chauds qui se tapent dessus. Rien de nouveau sous le soleil, quoi. Je me pointe dans les bars où ça dégénère en bagarres générales, j’appelle la Sûreté du Québec en renfort, j’attends en retrait, et quand ils arrivent trois quarts d’heure plus tard, tout le monde est parti, et le concierge ramasse les pots cassés. Ce n’est pas à Saint-Césaire que je risque ma vie, mais j’apprends mon métier.
Face à l’imprévu, chaque policier est un funambule progressant sur un fil de fer: s’il trébuche, c’est la faute professionnelle (qui mène tout droit à la catastrophe), et s’il garde l’équilibre, l’intervention est réussie (et sauve des vies). Dans le tumulte, le chaos, la violence, l’urgence, nous devons souvent prendre des décisions à chaud, avec un maximum de sang-froid.
Malgré tout, j’attends chaque fois cette poussée d’adrénaline lorsque j’aborde les situations qui m’obligent à me surpasser.
Je n’ai jamais eu besoin de chercher le trouble. C’est le trouble qui me trouve, toujours.
Plus je médite, plus j’arrive à le comprendre, à le saisir. Je rejoins sa fréquence, comme on syntonise une station sur un poste de radio. Je tire de cette expérience une grande leçon: la meilleure façon de comprendre quelqu’un, c’est d’avoir l’humilité d’entrer dans son univers… C’est ainsi que je commence à pratiquer quotidiennement la méditation, une pratique que je poursuis à ce jour, et qui m’a très souvent aidé à conserver mon focus ou à le retrouver, ainsi qu’à apaiser mes nerfs parfois poussés à bout.
Je ne sais rien du tireur. Ni son nom ni ses motifs. Je ne sais même pas s’il agit seul. Mais je suis certain de trois choses: il est lourdement armé, le collège est rempli d’étudiants qui sont à sa merci, et nous devons le neutraliser avant qu’il fasse d’autres victimes.
J’ai rejoint les forces policières dans ce seul but: protéger la vie. Quitte à me mettre dans la merde jusqu’au cou.
Je justifie mon geste en invoquant le scénario: je suis censé être un évadé dangereux, prêt à tout pour ne pas retourner derrière les barreaux. De plus, dans une situation où ma vie est en jeu, ce n’est pas en utilisant comme bouclier un détenu dont je n’ai rien à faire qu’un policier me convaincra de me rendre. Jouant le tout pour le tout, je décide donc de les tuer tous les deux.
Entrevue télé par Denise Bombardier, émission L’envers de la médaille, Radio-Canada, 1991.