Est-ce que j'attendais quelque chose de ce livre ? Non.
Est-ce que, malgré ça, il est parvenu à me décevoir ? Non plus.
Mais alors, pourquoi une telle note, te demandes tu ?
Accroche-toi bien à tes enchiladas, je vais t'expliquer.
Tu veux du cliché ? Des portes ouvertes non pas défoncées, mais arrachées à leurs gonds pour être expédiées par recommandé à plusieurs pays de là ? Tu es résolument au bon endroit ; L'héroïne forte et indépendante mais qui en fait a besoin d'amuuuur et de se sentir dominée pour être heureuse, le patron ex-amant con et égoïste, le meilleur ami PD, le macho de service qui tombe les femmes comme des mouches, la danseuse de flamenco bombasse au sang chaud, les flics incompétents et aux accents régionaux, la gosse de huit ans qui ne sert à rien mais se tape des réflexions d'adulte ? Tu auras TOUT. Bienvenue au pays des toreros.
La suerte de Matar nous raconte l'histoire de Lise, journaliste parisienne à TF1, la trentaine, mère célibataire et enquêtrice de talent, qui s'amourache un peu trop vite de mecs clairement nocifs pour elle. Et non, ce n'est pas de la chick-lit (me dit-on) mais bien un roman d'enquêtes. OK, pourquoi pas ? Ça nous changera du détective dépressif, alcoolo et misogyne en noir et blanc (oui, ben, quitte à faire dans le cliché, hein). le résumé nous la vend aussi féministe et anti-corrida, mais je n'ai pas trop bien vu à quels moments c'était censé être apparent.
Envoyée, avec son collègue Paco, sur les traces du matador Ortega en Espagne et au Mexique, pour réaliser un documentaire sur la tauromachie, la jeune femme se retrouve à suivre ledit Ortega dans sa tournée des arènes et des hôtels de luxe. Riche, séduisant, charismatique et arrogant, le torero a la cote, que ce soit auprès des femmes ou des aficionados.
À peine arrivés sur les lieux de leur premier tournage, les journalistes s'installent pour assister à la première corrida de Lise. Et à priori, celle-ci n'est pas trop intéressée. Voir un animal se faire mettre à mort pour le simple plaisir d'un danseur en capeline et d'une foule en délire, on va dire que ça ne l'excite pas autant qu'il le faudrait pour être bien vue dans cet univers. Heureusement, le copain Paco est là, et lui, s'il n'est pas un super extra-fan de la première heure, il s'y connaît quand même pas mal. Suffisamment pour nous servir de guide à nous, lecteurices béotien.nes, et à Lise. Et c'est là que va commencer le premier d'une longue liste de dialogues qui n'auront pour but que de nous expliquer comment ça fonctionne, à quoi servent tous les péquenots qui apparaissent et que veulent dire tous ces termes à la con employés en permanence par tous les personnages.
Et s'il faut bien, effectivement, en passer par là de temps en temps puisque la majorité des gens, du moins il me semble, n'est pas familière de ce vocabulaire, le faire comme ça, et aussi souvent, c'est chiant. Quand ils se mettent à expliquer, dans le détail en plus, les personnages se transforment en encyclopédie vivante, et le résultat est que ça ne ressemble pas du tout à une discussion normale entre deux, ou plusieurs, personnes. Ça manque de naturel et de cohérence.
Et si ce n'était que ça, à la limite, je laisserais couler. Mais on en parle des actions débiles de l'héroïne ? Elle qui rentre à l'hôtel et se met en sous-vêtements pour checker ses mails. Puis, quand on frappe à la porte, va ouvrir comme ça, presque à oilps, parce que bon, c'est probablement Paco, l'homo de service. Sauf que nope, c'est Ortega, son suspect numéro un, qu'elle dit détester mais sur lequel, bien évidemment, elle fantasme en secret. Comme toutes femelles normalement constituées, soyons bien d'accord. Elle, qui est journaliste, populaire et reconnue pour bien faire son travail ne trouve un peu trop souvent rien à répondre quand Ortega la mouche. Faut-il rappeler que c'est un métier où, il me semble, il vaut mieux être assez doué en réplique, parfois assassines, si on veut faire de vieux os, encore plus quand on bosse depuis des années sur, et avec, des tueurs en séries ? Mais il faut croire que son joli minois lui a été suffisant jusque-là.
De page en page on passe de ridicule en absurdité, mais ce n'est pas le pire.
Car il y a surtout l'évolution douce de Lise, qui passe crème si on n'y fait pas trop attention, et qui a pour but de nous faire revoir notre jugement sur la corrida. LE point sur lequel je ne laisserai rien passer.
Surtout qu'au vu de certains commentaires le but est parfaitement atteint.
Au départ, notre héroïne est carrément défavorable à la corrida, elle trouve ça barbare et refuse même au début, de faire un reportage sur ce sujet. Malgré tout, elle reste « ouverte » d'esprit et ne se braque pas quand elle se rend compte que 100% de son entourage y est favorable. Son super copain/collègue est un passionné ? C'est pas un problème, ça reste un brave type. L'entourage d'Ortega, le flic qu'elle rencontre pour en apprendre plus sur le crime qu'elle soupçonne le matador d'avoir commis, les gens qu'elle croise brièvement le temps d'une page ou deux, tous sont pro-corrida. À croire que toute l'Espagne et la moitié de la France le sont (ce qui n'est à priori pas le cas si on prend en compte les sondages régulièrement effectués à ce sujet). En plus iels ont quand même plus de qualités que de défauts tous ces gens. Et aimer cette barbarie ne fait pas d'eux des gens mauvais, bien au contraire. D'ailleurs, il ne s'agit nullement de barbarie, mais d'une danse, d'un accord tacite entre l'artiste et l'animal, comme il le lui sera répété 100 fois au cours de ces 250 pages.
Et donc, à mesure que son reportage avance, au même titre que son désir pour le torero, et qu'elle rencontre des gens du métier, la petite Lise va revoir son avis et va même pouvoir assister aux corridas sans avoir de larmes qui lui montent aux yeux, sans même avoir à détourner le regard. Car, comme on le lui a bien répété, le toro il est volontaire dans cette danse, il joue avec les matadors, avec les clowns en habits de lumière et il ressent l'honneur qu'on lui fait en le sacrifiant au jeu de la vie et de la mort, après lui avoir transpercé le garrot de six ou dix banderilles. Il est probablement fier de savoir ses oreilles et sa queue lui être arrachées pour la beauté du geste, il est même possible qu'il les offre de lui-même pour remercier son bourreau d'avoir si bien accompli sa besogne.
Et si l'avis de Lise a changé, pourquoi celui de la lecteurice n'en aurait-il pas fait de même ? À part au début, où Lise est considérée comme inexpérimentée et un peu trop sensible, cet état de fait n'est jamais remis en cause ; La corrida c'est bien. Ce n'est pas un loisir barbare pour dégénérés mais une communion entre deux êtres qui se comprennent et se reconnaissent comme égaux le temps d'une danse.
Après tout, et là je vais faire une supposition juste basée sur mon expérience personnelle, libre à toi de me corriger si te penses que je me trompe ou de m'apporter des éléments auxquels je n'ai de prime abord pas pensé et qui pourrait me faire revoir ma copie. Après tout, disais-je, la plupart des gens ne sont pas antispécistes, ils ne sont même pas végétariens, et s'ils désapprouvent la corrida c'est peut-être un peu par réflexe, tout comme ils rejettent la chasse. Car la première impression est celle d'un jeu abjecte réalisé par des sociopathes. La mise à mort leur semble gratuite, en plus elle a lieu après 15 à 20 minutes de torture.
À part dans les milieux taurins, c'est pas franchement bien vu de se dire pro-corrida. Mais du coup, pour beaucoup ne s'agit-il pas d'un rejet viscéral ? On n'y connaît rien, on n'a pas envie de s'y connaître et on juge.
Et puis il y a ce bouquin, qui, sous prétexte d'une enquête criminelle, nous ouvre la porte vers ce monde. Il nous explique les termes, nous rassure à coup de « le taureau ne souffre pas », « c'est un art noble », « il n'y a que les dégénérés qui gracieraient un taureau qui a encorné un matador. le rôle du taureau ce n'est pas ça, il doit se plier aux règles du jeu. »
Et au fond, si le bien-être animal n'est pour nous que le nom d'un nouveau ministère à la con qui coûte des sous aux contribuables, oui, pourquoi ne pas accepter cette nouvelle définition de la corrida ? Qu'est-ce que ça changerait à nos vies ? On deviendrait juste plus ouverts d'esprits et plus tolérants, c'est plutôt une bonne chose d'être tolérants, non ?
J'ai lu ailleurs, et plusieurs fois, que la corrida n'était qu'une toile de fond pour l'enquête et qu'il n'était pas question ici de définir si cette passion était bonne ou néfaste. Bizarrement, j'ai ressenti l'exact inverse. L'enquête n'est qu'un prétexte à nous faire aimer la corrida.
D'ailleurs, en matière d'enquête, on a déjà vu plus sérieux. Déjà pas follement intéressante, peut-être car noyée sous de la propagande pro-corrida toutes les cinq lignes, l'enquête ne décolle jamais vraiment. On ne ressent aucune urgence, et pour cause, le meurtre date d'il y a deux ans, les suspects et suspectes sont d'un ennui (oserais-je dire mortel ?) car généralement innocenté.es en quelques pages, les pistes sont bancales, et, bien qu'il soit reconnu que les policiers doivent être de gros nullos dans les romans d'enquêtes où le personnage principal n'en est pas un, là, ils se surpassent. En trois jours, Lise a recueilli plus d'infos qu'eux en deux foutues années.
Instant spoiler :
De plus, c'est quoi cette histoire avec le papillon ? OK, le mec à qui le tueur a piqué l'arme élève aussi des papillons... Mais pourquoi, diantre, aller lui chourer un papillon en plus du flingue pour le déposer sur les lieux du crime ? Ça n'a aucun putain de sens. Sauf s'il voulait ajouter un serial à son titre et signer ainsi ses crimes futurs. Mais ce n'est clairement pas le but, donc... Pourquoi ? On ne me fera pas croire non plus que le lépidoptère s'est gentiment posé sur son épaule au moment du larcin et l'a accompagné jusque chez la victime. Faudrait voir à pas pousser.
Pour parler rapidement des personnages, beaucoup ne sont pas crédibles entre le début et la fin du roman. On s'est déjà beaucoup appesanti sur Lise donc je lui ferai grâce d'en remettre une couche (comme les matadors font parfois grâce aux toros, il faut croire qu'elle a été plus brave que je ne le pensais de prime abord).
Mais prenons Ortega. L'homme nous est présenté comme un mâle dominant dés les premières lignes. Il est classe, charismatique, belle gueule et il empeste la testostérone à 150 mètres à la ronde. On le découvre au départ taiseux et solitaire. S'il échange trois mots avec Lise dans la première moitié du livre, c'est beaucoup. Même après l'avoir culbutée il reste quasi-muet et on l'imagine sans peine terminer chacune de ses courtes phrases par un « grumpf » d'homme des cavernes. Pourtant, il va se découvrir amoureux de la belle Lise. Chose qui va arriver comme un cheveu sur la soupe. On ne tombe pas amoureux au premier regard, putain, on n'est pas dans un Disney. Qu'il ait eu envie de la baiser dés le moment où elle est arrivée, OK, ça correspond même très bien au personnage, mais qu'il en soit tombé amoureux... Non. Juste non. On ne se trouve pas face à un personnage fleur bleue, mais bien face à un tombeur. S'il tombe amoureux quand même on DOIT savoir pourquoi. Des femmes, il en a connu cent mille, qu'est ce que cette petite française a de plus que les 99 999 autres ? de plus, dés ce moment il va devenir câlin et protecteur, il sera même intimidé par la gamine de sa conquête. Mais POURQUOI ? C'est quoi ce personnage qui change de personnalité à mi-parcours ?
Pire que ça, pourquoi Lise, qui est quand même tombée amoureuse de lui alors qu'il se comportait comme un connard et qu'il la considérait comme un fleshlight avec des seins et des hauts talons, ne se désintéresse t-elle pas de lui ? Il n'est clairement plus le mâle alpha imbuvable qui l'a fait mouiller au départ.
Car faut-il le rappeler, Lise, qui est une idiote, va accepter de vouvoyer Ortega quand celui-ci lui ordonnera de ne pas le tutoyer, et ce, même s'iels sont en pleine partie de sexe. Elle qui est émoustillée quand elle voit le matador toréer un taureau « pour elle » dans une ferme, qui se met à espérer qu'elle soit spéciale à ses yeux après s'être fait baiser alors qu'elle sait qu'il collectionne les conquêtes (et non pas après « avoir baisé avec », car on est là dans une situation ou une personne en baise une autre, et pas ou deux personnes baisent ensemble, ça a son importance), qui se soumet à la première oeillade alors qu'elle est censée être « une femme forte, indépendante et féministe » (je me marre) (et oui, on peut avoir envie de se soumettre lors de jeux érotiques, et non ce n'est ni un problème ni dégradant, mais là ça dépassait largement le cadre des jeux sous la couette).
Si elle est le genre de nana à tomber amoureuse de ce genre de macho, elle devrait, en toute logique, ne plus trouver son compte avec lui une fois qu'il se transforme en gentil petit bichon. Pourtant ça n'a pas trop l'air de la déranger. C'est. Pas. Logique.
Tu l'as compris, on est a mon sens, plus sur de la chick-lit à tendance propagande (ou de la propagande à tendance chick-lit, je me tâte) que sur du policier.
Et, bien que j'ai envie de te recommander de te faire ton propre avis sur la question en le lisant toi même, je ne peux te conseiller sérieusement cette lecture fastidieuse. Sauf si, comme moi, tu en profites pour en lire des extraits à voix haute dans le but de faire marrer tes amis ou ta famille. Là, OK, il y a matière à rire.
En même temps, avec Sieu K, on a beaucoup rit en se lisant des extraits du torchon « Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus » du coup, c'est peut-être juste nous qui avons un humour déplorable, je te l'accorde.