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Critique de audelagandre


Trois heures du matin, autoroute des alcooliques (itinéraire bis pour éviter les contrôles de police en cas d'alcool avéré), un homme passablement éméché voit surgir d'un champ de blé, une jeune femme dans un piteux état. Elle tente de lui voler sa voiture. Brutalement, il l'extirpe du siège conducteur et lui fracasse accidentellement la tête contre une pierre. Démuni, totalement perdu, incapable de vraiment réfléchir à ce qu'il fait, le narrateur la jette, morte dans le coffre de sa voiture.

Il faut dire que cet homme, dont on ne connait pas le nom, a eu son lot d'emmerdes pour une vie entière : au chômage, après la fermeture de l'usine dans laquelle il travaillait, il a sombré progressivement dans l'alcool pour supporter son mal de vivre, trompe sa femme pour s'occuper. C'est l'antihéros par excellence, celui qu'on détesterait dans la vie réelle, si l'on était amené à le rencontrer. À ses côtés, Mathilde, sa femme, prof de son état, toujours très présente, encourageante, positive, n'a qu'une phrase à la bouche « Il faut qu'on se batte. », mais aussi une petite fille qui aime son papa éperdument.

Dans ces circonstances, en banlieue de Rouen, dans un climat sombre, face à une situation économique très préoccupante, le lecteur a des envies de coups de pied aux fesses et se fait la réflexion que décidément certaines personnes ne veulent pas être aidées et méritent au fond le désarroi dans lequel ils se trouvent.

On pourrait parler d'un roman social, fermeture d'usines, syndicats qui prennent la main, cellules de reclassement, salariés qui plongent lentement dans la misère et acceptent quelques milliers d'euros pour s'en sortir… Sauf que…. Nous sommes bien dans un roman noir axé sur la psychologie des personnages, notamment celle du narrateur.

Évidemment, on se pose la question de ce qu'on aurait fait à sa place… Aider cette jeune femme, ou non, aller se dénoncer pour cet accident dramatique, ou non, mais ces interrogations ne durent pas, car il se produit quelque chose d'assez rare dans un roman, que je trouve toujours intéressant à exploiter, à savoir, réussir à faire basculer le lecteur du côté du héros, salaud de préférence, dont les actions n'ont aucune logique.

Rapidement, le lecteur se retrouve dans un manège lancé à grande vitesse. de ceux où vous avez la tête en arrière et qui va si vite que vous ne distinguez plus les formes des choses qui vont entourent. le style narratif incomparable contribue à ce tourbillon, par l'utilisation de phrases courtes, parfois quelques mots seulement, et surtout de nombreuses répétitions, phrases psalmodiées comme des mantras par des retours à la ligne constants. « Nous sommes loin de la douleur du monde, Faut qu'on se batte, On ne connait jamais vraiment les gens qu'on aime ». Rajouté à cela, une litanie interminable de nouvelles déversée par les chaînes d'infos en continu à rendre cinglé l'être le plus mentalement stable. Évidemment que des horreurs, de mauvaises nouvelles sont balancées à la pelle, tout le temps. Un joli reflet de notre société qui pour ma part finit par me rendre cinglée. Faut-il avoir une case en moins pour avoir cette fichue télé allumée en permanence, et laisser son subconscient avaler toutes ces choses nauséabondes dont on s'abreuve par justification d'être au courant de tout, mais surtout à cause d'un odieux voyeurisme nauséabond. Voir et entendre à quel point le monde va mal nous fait nous sentir mieux : notre situation pourrait être tellement pire… regardez tous ces malheureux qui crèvent sur nos écrans. Belle lucidité de David Coulon sur cet aspect de notre société malsain qui finit par bouffer même les bien-portants, et rend la violence si ordinaire.

Il y a d'autres choses que j'ai beaucoup aimées dans ce roman et qui en font un livre à part, inclassable, à l'ambiance glauque omniprésente qui déteint sur le lecteur.

D'abord cette obsession du narrateur pour ce corps qu'il transporte dans sa voiture et cette forme de tendresse malsaine qu'il voue à la dépouille en tissant avec elle, un lien particulier qui s'apparente à ces trésors que l'on cache, mais dont on prend grand soin. Puis la volonté farouche de trouver absolument qui elle fuyait et pourquoi. Une manière d'exister, d'avoir un but, d'avoir l'esprit occupé par une mission imaginée de la plus haute importance, comme si toute sa vie en dépendait. C'est dire à quel point le narrateur est plongé dans une solitude abyssale. Autour de lui, le monde semble tourner à toute vitesse quand sa vie à lui semble figée.

Dans cette ambiance mortifère, l'auteur évoque le couple. Oh misère… c'est moche. Il y a les mots d'amour qu'on se dit sans les penser, et les yeux qui disent tout le contraire. Tout ce qui me terrorise au final. Plus le courage de se dire les choses, le mensonge comme mode de fonctionnement, l'enfant qui joue le rôle d'un trait d'union qui n'a plus lieu d'être, par obligation, par lâcheté. Mieux vaut respirer un grand coup parce que c'est assez déprimant.

Évidemment, David Coulon développe la culpabilité et le fait de devoir vivre avec sa conscience quand on sait qu'on a fait une chose répréhensible. Ça coupe la respiration, ça donne des envies de se foutre en l'air. La vie n'est qu'une question de choix qu'il faudra assumer quoi qu'il en coûte….

Outre le style que j'ai beaucoup aimé, les thèmes développés, les problématiques, le portrait très travaillé du narrateur, je n'oublie pas le scénario puisque nous sommes bien dans un thriller/roman noir. J'ai vu venir le twist par déduction, mais cela n'a en rien gâché ma lecture, car j'étais curieuse de savoir comment il allait conclure : brillamment !

Alors, je vous donne un conseil : allez faire un tour, de temps en temps, dans votre stock de livres au lieu de courir sans cesse vers la nouveauté, parce que vous n'êtes pas à l'abri d'y trouver de petites pépites qui prennent la poussière. Cela a été le cas pour « Je serai le dernier homme », pour l'auteur dont je n'avais jamais rien lu, pour le style que j'ai personnellement j'adoré, plus saisissant encore dans une lecture à haute voix, pour l'ambiance anxiogène, admirablement retransmise, pour son personnage principal qu'on finit par aimer, malgré tout, parce que son désarroi devient le nôtre.

Le propre d'un bon livre est de faire vivre plusieurs vies, parce qu'on y plonge facilement et qu'on se laisse emporter en oubliant la notion du temps : je peux vous dire que c'est un sacré bon livre !!

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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