Citations sur Une bête au paradis (263)
Il n'avait pas pu, ce n'était pas que son corps refuse de la besogne, au contraire, mais Alexandre n'était pas un garçon de grange, d'oeufs, de de cornes, Alexandre n'était pas un garçon de marécage, de lisier, de grenouilles, Alexandre était un homme impatient dont les rêves dévorants dépassaient les contours du Paradis, et l'amour qu'il portait à Blanche, son amour d'adolescent, vif, éblouissant, ne suffisait pas à l'immobiliser en ces terres, près de ses pauvres parents, de leur maison étroite, près de la vieillesse d'Emilienne et du regard noir de Louis, près de la mélancolie quotidienne de Gabriel qu'il évitait à tout prix, craignant d'être contaminé par elle.
Déjà, ailleurs, on s'armait contre la concurrence, d'une cruauté sans pareille, moderne, dévorante, indifférente ; la concurrence sonnait ses cloches dans les campagnes, aux informations on évoquait la détresse des agriculteurs, on parlait des suicides, des impayés, de la solitude affreuse.
Elle l’avait laissé dehors pour qu’il se vide de ses larmes, de sa colère, de ses coups, oubliant que larmes, colères et coups sont des fleurs qui poussent en toute saison, même dans des yeux secs, même dans des corps aimés, même dans des cœurs réparés.
On construirait bientôt des maisons qui se ressembleraient, jumelles multipliées, fonctionnelles, la ville arriverait avec ses bras de goudron, de peinture et de péages, elle viendrait jusqu'au Paradis et il ferait partie de cette ville rampante. Les hommes et les animaux mourraient pour que les villes continuent de grandir, dévorantes.
Gabriel grandit tordu. Gentil, mais d'une gentillesse obligée, une gentillesse de celui qui ne sait rien faire que penser à ceux qui devraient être là mais ne sont pas là, une gentillesse qui signifie "ne me faites pas de mal, je suis déjà griffé".
Il arrive, parfois, que les choses aillent à leur propre vitesse, sans se soucier de ceux qui sont blessés, ou de celles qui le seront bientôt.
Au début, il cognait sans raison, simplement parce qu'il faisait partie des hommes dont les poings avaient remplacé la bouche, les coups les mots.
Bientôt, malgré ce qu’elle avait apporté en ce lieu, bientôt elle n’appartiendrait plus à cette terre. Ou plutôt elle lui appartiendrait complètement, elle serait mangée par elle.
Ses parents étaient presque épatés que ce fils s'en sorte si bien, il ne leur avait pas traversé l'esprit que ce petit puisse être meilleur que d'autres, alors qu'eux avaient toujours été moins bons que tout le monde.
Aurore comprenait qu’elle ne soignerait pas Gabriel, qu’il y avait en lui un arbre noir depuis l’enfance, que la mort de ses parents avait arrosé de colère ; elle ne pouvait pas le tomber, cet arbre, seulement couper quelques branches quand elles devenaient trop encombrantes. Elle le rafraîchissait, le frictionnait de ses mots et de son sourire, elle le secouait pour que tombent de son âme des feuilles mortes et des fruits empoisonnés.