Ce petit monde de l'image est charmant, prospère : l'intermédiaire y tient beaucoup moins de place qu'aujourd'hui et, comme la plupart des graveurs éditent eux-mêmes leurs oeuvres avec un fonds de planches qui constitue le bien de famille, la boutique n'est souvent séparée de l'atelier que par une cloison, quand il y a une cloison. L'élève y apprend son métier dans une atmosphère familiale, il y acquiert en même temps la notion de la clientèle, et la clientèle c'est aussi bien la bourgeoise, qui achète le Benedicite, que l'encyclopédiste en mal de documents, ou le grand seigneur auquel le patron va cérémonieusement porter les épreuves d'une planche à ses armes. Après quelques années de cette existence, un gaillard intelligent est armé pour faire de la bonne gravure et pour en tirer parti.
Certaines estampes en couleurs comportaient une retouche discrète au pinceau, d'autres une collaboration plus large de l'aquarelliste, telle, par exemple, la série des pièces galantes, dessinées, croit-on, par Huet et publiées chez Bonnet, d'autres enfin, comme la Leçon de clavecin de Freudeberg, sont coloriées entièrement à la main et la gravure se réduit à un léger travail d'aquatinte ou même à un simple trait.
On a voulu considérer comme une machine à graver le physionotrace imaginé et exploité vers 1786 par Gilles-Louis Chrétien, musicien de la Chambre du roi. « Cet appareil, disait Quénedey, qui fut d'abord l'associé, puis le concurrent de Chrétien, permet de calquer la nature en. quatre ou cinq minutes et les portraits qui sortent des mains de l'artiste ne peuvent être comparés qu'à ceux qui sont moulés sur nature. » D'après le profil qu'il établissait rapidement avec son Physionotrace, Quénedey gravait gentiment à l'aquatinte et à la roulette un médaillon de 18 lignes de diamètre et, moyennant 24 livres, il remettait à son client le grand dessin, la planche gravée et douze épreuves de celle-ci.
La silhouette était-elle obtenue par un système de lentilles, de prismes, par une. adaptation de la glace d'Albert Dürer et de Léonard de Vinci, par une ombre chinoise ?
C'étaient des gens de la bonne race, de celle où l'on a l'amour de son métier, la fierté de son enseigne, et où l'on prépare un artiste par deux générations de bons ouvriers, la race des Audran, des Tardieu, des Cars, des Cochin, des Moreau, des Saint-Aubin et de bien d'autres, dont l'arbre généalogique comporte des graveurs, des planeurs, des marchands d'estampes, des imprimeurs, des ouvriers d'art et des membres de toutes les sections de l'Académie.
Toute la rue Saint-Jacques est enrôlée dans la confrérie de Saint-Jean-Porte-Latine, qui célèbre le 18 octobre la fête des graveurs, imprimeurs et enlumineurs de taille-douce. Il y a, clans la taille-douce, une opération dangereuse, c'est la cuisson de l'huile de lin dont se servent les imprimeurs ; saint Jean, qui sortit indemne d'une chaudière d'huile bouillante à la Porte-Latine, était un patron tout indiqué.